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demoniak01 · Sound System

03-08-14 23:35:54

19-11-12 · 219

  

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Université de Montpellier III
(Antenne de Nîmes)
Département de Médiation Culturelle et Communication
Maîtrise de Conception et Mise en OEuvre de Projets Culturels
Sous la direction de Madame Sabine TEULON
Année universitaire 2002/2003

A LA RENCONTRE DU CIRQUEET DE LA FREE PARTY :
VERS L’INVENTIONDE NOUVELLES FORMES ARTISTIQUES.
Martin GEOFFRE

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

.
Aux habitants de l’Entrepôt.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

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«Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme»
Antoine-Laurent deLavoisier,
Chimiste deslumières

« Our attitude is : makesome fucking noise »
Mark Harrison,
Membre fondateur de la Spirale
tribe
Au croisement du Cirque et de la Free Party :Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

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SOMMAIRE
              Introduction………………………………………………………………… 2
Partie I : Le cirque, univers artistique et choix de vie………………. 4
I.I. Le cirque moderne, histoire de la construction d’un genre..... 5
I.II. Identité artistique du cirque…………………………………… 11
I.III. La musique, élément artistique fondamental du cirque……. 22
I.IV. Le nomadisme……………………………………………………27
Partie II : Free Party: le mouvement sans concession………………38
II.I. Genèse de la Free Party……………………………………….. 39
II.II. Définition de la Techno et réflexion sur le son de la Free
Party………………………………………………………………. …..50
Partie III : Tentative de rapprochement du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 62
III.I. Rencontre de la techno et du cirque…………………………...63
III.II. A la convergence du cirque et de la Free Party……………...69
III.III. Proposition d’une combinaison du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 81
Conclusion………………………………………………………………… 88
Lexique……………………………………………………………………….90
Bibliographie……………………………………………………………… 92
Annexes………………………………………………………………………
SOMMAIRE
Introduction………………………………………………………………… 2
Partie I : Le cirque, univers artistique et choix de vie………………. 4
I.I. Le cirque moderne, histoire de la construction d’un genre..... 5
I.II. Identité artistique du cirque…………………………………… 11
I.III. La musique, élément artistique fondamental du cirque……. 22
I.IV. Le nomadisme……………………………………………………27
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Partie II : Free Party: le mouvement sans concession………………38
II.I. Genèse de la Free Party……………………………………….. 39
II.II. Définition de la Techno et réflexion sur le son de la Free
Party………………………………………………………………. …..50
Partie III : Tentative de rapprochement du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 62
III.I. Rencontre de la techno et du cirque…………………………...63
III.II. A la convergence du cirque et de la Free Party……………...69
III.III. Proposition d’une combinaison du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 81
Conclusion………………………………………………………………… 88
Lexique……………………………………………………………………….90
Bibliographie……………………………………………………………… 92
Annexes………………………………………………………………………94
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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INTRODUCTION
Depuis plus de dix ans, la Free Party* fait paysage dans l’ensemble de la France et de l’Europe. Il s’agit d’une forme festive techno, rattachée aux sonorités hard core*, qui se caractérise par son irruption sauvage et clandestine : elle envahit à l’improviste et sans autorisation préalable, des lieux abandonnés ou déserts, les transformant en espaces festifs éphémères.
Or, lorsque ce mouvement underground a été identifié par le grand public en France, l’engouement fut tel qu’il devint un phénomène de masse. La quête et les valeurs qui constituaient l’âme de la Free Party
s’en sont trouvé noyées : la consommation s’est substituée àl’expérimentation.Dès lors, l’Etat, qui se doitd’assurer la sécurité de l’ensemble deses citoyens, ne pourra plus fermer les yeux sur l’existence de ces
pratiques auparavant marginales. Inévitablement, il leur assènera lecoup fatal en interdisant tout rassemblement non autorisé.Désormais, l’amateur de Free party devra se satisfaire des soirées
techno aseptisées des raves commerciales et autres teknival*autorisées, ou s’inscrire dans une radicalité par l’exil en Europe du Sudet de l’Est où l’esprit du mouvement est encore signifiant.
Une troisième possibilité s’offre à nous, elle s’appuie sur lesaspects nomade et artistique de la Free Party : tel un cirque, le soundsystem*tekno* pourrait vivre son itinérance sous chapiteau. Ainsi il se
doterait d’un statut convenant à l’Etat tout en restant un art hors lesmurs. D’autre part, nous pensons que la démarche artistique de la FreeParty et celle des arts du cirque se rejoignent à différents niveaux et on
tout intérêt à se rencontrer.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

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Le présent travail cherche à vérifier notre postulat qui affirme
comme une évidence la rencontre du cirque et de la Free party.
Pour évaluer la pertinence de cette hypothèse, il nous faudra
d’abord présenter les caractéristiques de chacun des champs artistiques
mis en jeu.
Ce mémoire étaye sa réflexion grâce aux travaux d’auteurs glanés
au sein d’ouvrages dans le domaine du cirque, de la techno, mais aussi
au coeur d’essais sociologique, esthétique et d’études théâtrales.
Nous présenterons dans notre première partie un historique du
cirque, ses aspects artistiques et son rapport à la musique, ses
caractéristiques en tant qu’art nomade.


Notre seconde partie contiendra un historique de la Free Party et
une présentation de la musique techno suivi d’une réflexion sur le son de
la Free Party.
La dernière partie sera une tentative de rapprochement des deux
champs artistiques mis en jeu. Elle présentera des expériences de
métissage artistique déjà conduites par le cirque et la Free Party, elle en
confrontera les différents aspects précédemment mis en lumière. Enfin,
une proposition de combinaison de ces deux univers sera exposée, dans
la perspective de l’invention de propositions innovantes, propres à
répondre au dépérissement inéluctable de la Free Party.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Partie I :
Le Cirque,
univers artistique et choix de vie.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Les rapports entre cirque et Free Party se déclinent selon différents
modes. Pour obtenir une vision globale de ces deux champs artistiques,
en distinguer les différentes facettes, pour ensuite situer où ils se
croisent, se rejoignent, s’éloignent, se superposent ou s’opposent, il est
incontournable de d’abord les présenter individuellement.
Cette première partie a pour vocation de mettre en évidence les
principes mis en jeu au cirque, afin de pouvoir décrypter le regard que
porte cet art sur le monde. Pour ce faire, nous rappellerons les
évènements et les innovations qui jalonnent l’histoire du cirque, nous
mettrons en évidence ses caractéristiques artistiques fondamentales
susceptibles d’interpeller la Free Party,, enfin nous interrogerons le
mode de vie nomade.
I.I. Le cirque moderne, histoire de la construction d’un
genre.
En décrivant les grandes étapes qui ont fondé le cirque, nous
mettons en évidence ce qui a fait sa gloire et son déclin. Nous désirons
aussi comprendre comment s’est constituée son imagerie.
Cet historique est rédigé à partir de Le cirque, du théâtre équestre aux
Arts de la piste, de Pascal Jacob.1
I.I.I. Naissance du cirque moderne
Le cirque est comme le père Noël, on le pense ancestral, alors qu’il
n’est apparu qu’à l’époque moderne. Bien sur, il existe une préhistoire au
cirque, les Arts de la piste sont eux millénaire mais n’ont jusqu’alors
jamais été réunis en un même lieu. Le cirque moderne a emprunté aux
jeux antiques son vocabulaire et son mythe afin de se construire une
1 Pascal Jacob, Naissance du cirque moderne, l’élégance française, exotisme et curiosité, New York – Moscou,
in Le cirque, Larousse, / Reconnaître et comprendre, Paris, 2002
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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respectabilité le distinguant des foires, mais leur seule caractéristique
commune est la ‘’représentation’’ dans le cercle.
· Le cheval, emblème du cirque
Le cirque moderne tel qu’il est apparu sous sa forme structurée
dans la seconde moitié du XVIIIeme siècle en Grande-Bretagne est le
fruit de la rapide cristallisation d’influences issues de multiples
sources. Il se formalisera, se codifiera, pour ensuite rayonner et
conquérir l’ensemble du monde occidental.
Le cheval, animal mythique, en est la figure emblématique. Cela
annonce déjà le rapport ambivalent de l’Homme et de la Bête,
constituant déterminant de l’univers circassien.
En parallèle existent déjà quelques théâtres, tenus par les
descendants d’anciennes dynasties d’origine Tzigane, qui incluent
dans leurs représentations des acrobates et des équilibristes. Le
principe d’hétérogénéité cher à la piste naîtra à cette époque.
La foire, ses bateleurs et leurs exhibitions en seront le catalyseur.
Au XVIIIeme siècle donc, apparaît en tant que spectacle une
discipline nouvelle : la voltige équestre. Celle-ci provient du cadre
militaire qui, en s’assouplissant pour les besoins du cirque, accomplira
un geste profane. La piste circulaire naît, pour permettre le pas régulier
de l’animal. Elle induit la focalisation des regards, permet aux
spectateurs de tout voir (et être vu…), ce qui la différenciera de la
représentation théâtrale. Cette conception de l’espace circassien
contient un tout autre pacte avec le public.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Philip Astley, considéré comme le père du cirque moderne,
ouvrira en 1768 sa propre école, où sera, à force d’expérimentation,
entreprise la structuration de cet art nouveau.
Sur la piste circulaire est présenté un spectacle mosaïque avec
comme seul lien la prise de risque, et comme contenu la gestion du
merveilleux, la dimension comique.
Fort de son succès, Astley tente l’aventure française en
présentant son spectacle durant six semaines à Paris. La même
année, il inaugure son premier établissement en dur, The Astley’s
Amphitheatre Riding House.
Depuis 1660 en Angleterre et 1701 en France, le droit à la parole
est sévèrement réglementé dans le monde du spectacle vivant. Au
cirque, le corps se substituera alors aux mots, pour donner un sens à
l’acte, en se faisant l’écho de l’actualité.
Bientôt, d’autres suivront l’exemple du père fondateur. Le mot
« cirque » apparaîtra alors, en référence aux jeux antiques.
· Le début du nomadisme, expansion du cirque
Pour survivre, la multiplication de l’audience est une dimension
fondamentale. Il apparaît plus facile de renouveler un public en se
déplaçant, que de trouver sans cesse de nouveaux artistes sur un lieu
donné.
L’itinérance de la première heure entraînera le cirque aux confins
de la lointaine Russie. Et c’est certainement cet « attachement viscéral
à l’aléatoire quotidien »2 qui permettra au cirque le développement
qu’on lui connaît.
2 Idem, p.43
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Le cirque atteindra l’Amérique en 1742, où il effectuera une
rapide démultiplication.
Le modèle anglais se trouvera vite dépassé, repris par les
Français, les Italiens, les Allemands. Des cirques stables seront
construits partout dans les villes européennes, signe de la
bienveillance de l’institution pour cet art. En fonction du territoire, des
spécificités esthétiques se ressentiront.
Le cirque s’embarque aussi vers d’autres latitudes, avec comme
destination les colonies occidentales tel l’Inde, l’Australie, l’Afrique.
I.I.II. Evolution et innovation
· Le chapiteau, la marginalisation et les animaux sauvages.
En 1825, le chapiteau fait son apparition aux Etats-Unis, puis en
Europe. Ce mode de fonctionnement deviendra régulier à partir
de1870.
C’est dans la seconde partie du XIXeme siècle qu’apparaissent
les futures grandes dynasties circassiennes. La famille est le
constituant fondamental de cet univers particulier. Les divers mariages
entre ces différentes familles engendreront alors l’aristocratie
circassienne ; chaque famille étant une caste bien précise d’écuyers,
acrobates, jongleurs, voltigeurs ou plus tard dompteurs.
De plus, l’ex-communion dont ils sont frappés amène ces artistes
à multiplier les appuis auprès de sociétés secrètes à caractère
ésotérique. Ces affiliations à une famille spirituelle seront constitutives
d’une identité forte, qui achèvera d’instituer les circassiens comme une
communauté marginale.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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A partir de 1848, l’emploi d’animaux exotiques devient
systématique. Cet engouement est initié par l’Allemagne. L’emploi de
fauves initie une fracture brutale, sauvage. Le cirque se fait plus
exhibitionniste, plus commercial aussi, l’emploi de ces attractions
nouvelles étant coûteux.
La fascination et le rapport trouble, entre complicité et
asservissement, qu’entretient l’homme à l’animal sont révélateurs de
son désir angoissant de pouvoir et du profond malaise qu’il a
développé envers la nature.
· Le gigantisme américain : amorce de la décadence
Aux Etats-Unis, le cirque se déplace désormais grâce au train,
qui amorce la transformation de ce genre, populaire et artisanal en une
machine industrielle et populiste. De même, la propension au
gigantisme, avec l’utilisation de trois pistes simultanées, aboutit à la
transformation du spectacle en spectaculaire. Le contrat initialement
passé avec le spectateur, lui promettant de « tout voir », est rompu, et
le fait passer aux statuts plus ambigus de voyeur et de consommateur.
Le géant « Barnum and Bailey » entreprendra une tournée en
Europe à partir de 1897. En conséquence, les entreprises allemandes,
françaises et anglaises, auparavant fondées sur l’élégance,
s’adapteront à ses méthodes, faisant leur la loi du gigantisme et de la
démesure. Cette coloration, cette sonorité deviennent alors la norme,
et jusqu’à aujourd’hui encore l’image d’Épinal du cirque.
« Lancé dans une nouvelle course à tous les publics, le cirque
s’enlise rapidement dans les ors factices, les présentations guindées et
s’offre souvent comme une entreprise maladroite, développant avec
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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constance et naïveté une esthétique surannée, baroque, populiste et
tapageuse. »3
· Le déclin du cirque traditionnel
Le cirque classique occidental, pris dans le tourbillon de la
seconde guerre mondiale, ne lui survivra pas. Après une brève période
d’euphorie due à la reconstruction, le cirque succombera sous les
coups portés par le changement de mentalité consécutif au conflit
mondial, par les avancées sociales et du droit du travail, puis plus tard
par le choc pétrolier.
Ailleurs, en Chine ou dans les pays soviétiques, le cirque est
vecteur d’idéologie, sert la propagande politique et culturelle. Les
tournées dans les démocraties populaires sympathiques au régime
serviront de lien diplomatique. Surtout, l’école soviétique sera
génératrice de formes esthétiques novatrices.
Le XXème siècle porte en lui les germes de l’affaiblissement :
itinérance forcée, surenchère du risque, exhibition au détriment de
l’acte répété et maîtrisé. En réaction, à partir des années 70,
s’épanouira un autre éventail de couleurs, de saveurs et d’images,
greffé sur un modèle depuis trop longtemps considéré comme « unique
et parfait, et qui se découvre à la fois dépassé et affadi »4. Ces
nouveaux praticiens viennent de la rue, de la danse et du théâtre, avec
le désir ardent de renouer avec la tradition ancestrale des pratiques
foraines et des saltimbanques, symboles de liberté.
3 Idem, p. 113
4 idem, p.135
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
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Que reste-il du cirque ‘’traditionnel’’, lorsque s’étant épanoui et
ayant conquis la planète, il se trouve étouffé par son propre
gigantisme ?
L’issue d’une renaissance s’opérera par
· Un retour à intimisme.
· La transmutation d’une autre forme artistique.
I.II. Identité artistique du cirque.
Des années soixante-dix à nos jours, la notion même de cirque
est bouleversée. En parallèle de la sortie du cirque de sa chrysalide,
une analyse en direct des métamorphoses s’est construite. De
nombreux écrits décrivent bien sûr les changements opérés, mais
surtout dissèquent la nature profonde, fondamentale de cet art.
Cette partie pour l’essentiel ne fait donc que reprendre des
éléments d’analyse particulièrement pertinents de deux parutions sur le
cirque contemporain, l’un édité par Théâtre aujourd’hui5, l’autre par
Artpress6. Le travail suivant, qui consiste à mettre en avant certains de
ces aspects, nous permet d’élaborer une base de réflexion, amorce
indispensable pour la tentative de rapprochement des arts de la piste
et de la culture tekno7 alternative.
I.II.I Fondamentaux du cirque
En se projetant dans la sphère des arts contemporains, en
rupture avec un héritage codifié, le cirque se découvre la capacité
d’une esthétique plus recherchée, entraînant une réflexion sur le
5 Le cirque contemporain, la piste et la scène, Théâtre Aujourd’hui N°7, CNDP, Paris, 1998 - Le cirque au-delà
du cercle, Artpress spécial N°20, 1999.
6 Le Cirque au-delà du Cercle, Artpress N°20, Paris, 1999
7 ‘’tekno’’ orthographié ainsi, désignera, pour ce travail, la frange alternative de ce phénomène.
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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tenant des contenus présentés. Le métissage et la confrontation avec
d’autres arts plus matures, au discours déjà élaboré, tel le théâtre ou la
danse, a permis au cirque de se définir, de mettre en avant ses
spécificités et ses fondements. C’est d’ailleurs l’idée du cirque plutôt
que sa réalité propre qui travaille la théâtralité contemporaine…
Le renouveau du cirque a amené ainsi à se questionner sur le
rapport au public.
· Identité du cirque de toujours
Il s’en est dégagé l’identité du cirque, formé d’un ensemble
extrêmement compact
· d’ingrédients : le chapiteau, la piste, les fondamentaux8
(voltigeurs, clowns, funambules, jongleurs, présentateurs,
orchestre, cavalier, magicien et fauves).
· De percepts: l’odeur du crottin, et celle de la barbe à papa, le
doré, la musique « de cirque ».
· D’imagerie: la roulotte gitane, le nez rouge d’Auguste, l’affiche
« de cirque ».
· Et de mythe : la nature métaphysique du cercle, semi-divine du
trapéziste, inhumaine de la vie d’artiste.
· Du cirque traditionnel au cirque contemporain, éléments de
rupture
8 Au sens où l’entend la critique circassienne : les arts de la piste traditionnels
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Les différentes étapes consommant la rupture avec l’héritage
traditionnel sont ainsi identifiées
· La disparition des numéros de dressage
· la remise en cause de la piste et du chapiteau
· la mise en oeuvre d’une nouvelle écriture dramaturgique
· La multiplication des esthétiques.
· Les différents styles adoptés par le nouveau cirque, le
discours qui s’en dégage :
Les processus de construction, de création ont évolué, allant
jusqu’à hisser le spectacle circassien au rang d’oeuvre.
Dans le cirque traditionnel, l’artiste présente son numéro, il ne
représente pas, ne se dédouble pas. La juxtaposition séquentielle des
numéros et le crescendo émotionnel fondent la structure dramaturgique.
Le rire et la peur joue le rôle de liant. Le numéro de cirque avance par
ellipses, par enchaînement de courtes séquences bouclées sur ellesmêmes…
Dans le cirque contemporain, une unité stylistique est désormais
recherchée ( l’atmosphère que confèrent un spectacle, des choix
particuliers de couleur, de volume, de son). Cimenté par des éléments
fédérateurs, des composantes telles une thématique. Les règles de
composition sont comme autant de renvois aux propos de la Compagnie
( présentation simultanée de plusieurs actions pour Archaos, utilisation
de la citation et la répétition pour Cirque Plume ).
Dés lors, Le personnage est unanimement adopté.
Le nouveau cirque, a consacré ses fondamentaux en tant qu’Art de
la Piste, et permis l’autonomisation de chaque spécialité.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
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Le discours du cirque a évolué. Alors que le crescendo dit l’effort
de l’être humain pour dépasser l’animalité, puis l’enfance, le nouveau
cirque prône d’autres valeurs : l’humain dans son infinie variété,
l’acceptation des limites. Tout ne peut être maîtrisé.
Le cirque traditionnel est un art qui sublime l’homme. Depuis
l’humour et la dérision tempèrent l’échec. Le spectacle peut alors devenir
total : il libère le spectateur de son admiration béate.
La plupart des compagnies ont adopté un univers poétique,
féerique ou merveilleux. Pour tous, le plastique, le visuel est roi. Le
« drôle » est aussi un caractère commun.
La voie de l’absurde tire parti de la gratuité absolue, inutilité de la
prouesse acrobatique, pour la mettre au service sur la condition
inhumaine de ce siècle. Le spectacle ne se fait plus ascensionnel, mais
cyclique : on ne sort pas de l’animalité, « nulle transcendance n’est
possible dans l’aveuglement de soi »9.
Certains critiques ont ainsi relevé que l’ensemble des spectacles
de nouveau cirque était désormais réductible à quatre ou cinq modèles,
qu’une standardisation du genre avait eut lieu. Dans le rapport
cirque/théâtre, tout a-t-il déjà été inventé ?
I.II.II. Dimensions métaphysiques du cirque
9 Yan Ciret, Cirque, la tentation du théâtre, in Théâtre aujourd’hui No7, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
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· Archaos, Zingaro, Cahin-caha : exemples de cirques de la
cruauté
Nous allons maintenant aborder succinctement le travail de
certaines compagnies, considérées comme parmi les mères du
renouveau du cirque en France : Archaos et Zingaro. Ces exemples,
maintes fois analysés, ne peuvent évidemment suffire à révéler le
dynamisme créatif qui embrase aujourd’hui les arts de la piste.
Archaos, ‘’Cirque de caractère’’, se décrit comme une « première
tentative, unique en son genre, de mettre le cirque au service d’une
expression sociale et politique. Il y a volonté de « mettre en évidence les
contrastes révélés par le choc des cultures. » Le spectacle Métal clown
(1991) invoque un « devenir cirque » du monde, dans un temps futur où
« toutes les races sont mélangées ».
Dans ce contexte de guerre généralisée, l’Art du chaos se fait
alors volontairement manichéen : affrontement binaire entre pauvres et
riches, colonisés et colonisateurs ou plus généralement exploités et
exploiteurs.
Dans cet univers carnavalesque (littéralement ‘’ La chair
prime’’…), ce cirque punk fait de la rue et de la fête salvatrice
l’alternative joyeuse à une société de consommation en pleine
décomposition, symbolisée par un décor constitué de l’amoncellement
de carcasses de voitures et autres mécaniques, qui rappelle ces univers
« Destroyed » créés par le film Mad Max. Alors que l’emploi de nouvelles
technologies, virtuelles semble à l’inverse du travail sur le corps, concret,
et que le nouveau cirque est plus enclin à des valeurs douces et
poétiques.
Archaos lorsqu’il se réfère ainsi au mythe des jeux du cirque
antique, rappelle que, face à l’univers policé « des écuyères nubiles et
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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des trapézistes célestes », existe un petit théâtre de la cruauté inhérent
au cirque. Archaos, selon Pierrot Bidon, son fondateur, est, malgré ses
extérieurs provocateurs, plus proche de cirques de facture classique qu’il
ne le laisserait supposer:
« Même si ce que nous faisons peut surprendre, nous gardons l’esprit
du cirque traditionnel avec des numéros de prouesse classique » ;
il affirme aussi
« Astley bâtissait un spectacle total ; il transformera en exploit et support
essentiel du spectacle le moyen de communication de son siècle : le
cheval. La démarche d’Archaos est rigoureusement identique. La
différence ne réside que dans l’environnement de notre époque : les
moyens de communication de maintenant sont des machines ».10
Alors qu’Archaos décrit un monde d’après l’Apocalypse, et joue à
fond la carte du post (post-industriel, post-nucléaire), le théâtre équestre
Zingaro fait revivre un monde d’avant le passage de l’Homme.
Zingaro se tourne vers les grands mythes Trans-humains ; ceux
d’avant la Genèse : « D’un point de vue scientifique, comme d’un point de vue
religieux, l’homme est apparu après l’animal, il est venu le sixième jour. Ce qui veut
dire que l’animal est plus près des origines, de la Genèse, plus près d’une vision
instinctive de l’univers. »11
Zingaro peut-être lu comme une tentative de réinvestir le cercle
dans son fonctionnement métaphysique. Le merveilleux est ici poussé
jusqu’au chamanique. Ces spectacles tiennent autant du rituel que de la
représentation : « S’il s’agit de raconter une histoire, le théâtre en effet ne
m’intéresse pas. Les histoires ? Elles sont les mêmes depuis la nuit des temps… Le
théâtre qui me passionne est au contraire un lieu où l’on officie, un lieu rituel…. »12.
10 Pierrot Bidon, Théâtre aujourd’hui N°7, op. cit. , p.66.
11 Propos issus de l’émission d’Yvonne Taquet « Le bon plaisir de Bartabas », France-Culture, cités dans
Théâtre Aujourd’hui N°7, op. cit.
12 Télérama N° 2791, 9 juillet 2003
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Cette démarche est peut-être à rapprocher de celle de Découflé
qui se demande « A quel moment le réel se met-il en scène ? »13
Enfin, nous tenions à évoquer le travail de la compagnie Cahincaha,
aux contours artistiques peut-être plus nuancés que ceux des
deux compagnies précédentes. En témoignent des extraits du dossier
présentant leur deuxième spectacle contes de Grimm, contes de
l’ombre, alors en phase de gestation :
« Une poursuite de notre mission tient dans le choix de l’orchestration du
chaos : équilibrisme sur la fine ligne entre la performance contemporaine
et l’art populaire ».
« Nous avons l’intention de continuer à développer nos méthodes de
travail qui passent par la collaboration, la célébration, la recherche de
spiritualité, la provocation, la politique, la diversification, la richesse et la
rigueur. »
« Le mélange des formes et des cultures continue de s’imposer à nous,
c’est le travail type du nomade : traverser des frontières, résister aux
catégorisations et à tout autre enfermement, accepter les différences pour
accomplir des tâches collectives : cirque, marionnettes, théâtre, musique,
danse, art plastique, fête, nourriture, film… »
A propos de Chiencru, leur précédent spectacle : « C’est une recherche sur
la place du sacré, aliment essentiel de l’être humain dans notre monde.»
Les thèmes de cette compagnie sont : la chute (la condition humaine :
’’la chute de l’homme immortel dans le temps et la fragmentation’’),
le sacrement, la guerre, l’érotisme, « pour un théâtre d’image très physique. »14
Les scénarios sont basés sur l’absurde et l’analyse sociale.
On s’aperçoit au regard de ces aventures artistiques que les
compagnies de nouveau cirque, ne piétinent les lois du cirque classique
que pour mieux les refonder. Et lorsque le cirque se fait bousculer, cela
13 Théâtre Aujourd’hui N°7,op. cit. , p.134.
14 Toutes les citations concernant la compagnie Cahin-Caha proviennent du dossier ‘’Cahin-caha’’, centre de
documentation de HorsLesMurs, Paris 19ème.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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permet, à nous spectateurs, de mieux saisir ce qui en fait l’essence
même.
Ces expériences, sans concession, nous intéressent
particulièrement, en tant que chacune d’elle à sa façon interroge une
vision particulière du monde que nous chercherons à mettre en
résonance avec celles des acteurs de la Free Party.
· Caractères intrinsèques du cirque
Nous nous référons maintenant des extraits des deux revues
précédemment citées qui mettent en avant des caractéristiques
intrinsèques au cirque : sa dimension sémiologique, son rapport
particulier à l’espace et au temps, sa recherche métaphysique, la nature
trouble de ces origines.
o La sémiotique
Cet extrait définit le cirque, art du signe, comme rituel:
«… Une suspension physiologique du temps […] ordonnait un espace où
chaque évolution renvoyait à une idée (beauté, courage, dépassement).
Cette idéalisation du geste tendait à rendre abstraite la construction des
signes de piste. Il faut aller jusqu’à parler d’un « signe pur » dépouillé de
tout fondement signifiant ou astreint à la pesanteur du référent.
On omet souvent de dire qu’à l’origine, le cirque n’est pas censé faire
sens. Cette insignifiance défiait toute emprise psychologique du discours.
Elle n’offrait aucun droit à une interprétation autre que métaphysique.
Réfractaire à toute assignation à représenter, le cirque a pu s’extraire de
la passe proprement théâtrale, celle de l’écoulement du temps dans un
monde hors temps, l’arrivée du sens dans un univers dédié au signe […]
Parce qu’avec le temps, vient l’incarnation munie de son inévitable drame
de la matière. »15
15 Théâtre Aujourd’hui N°7, Le cirque Contemporain, la Piste et la Scène. Cirque, la tentation du
théâtre, Yan Ciret, p.58/59
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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La mise en oeuvre d’une nouvelle écriture dramaturgique est
passée entre autre par la volonté de donner du sens au geste du cirque.
A cet art qui ne parle qu’avec des images.
L’intérêt du signe vis à vis du sens est pourtant défendu. L’intérêt
du cirque n’est pas la quête de sens. Certain y voient l’élimination du
subjectif. Il se bat contre ce ‘’ psychologisme triomphant ‘’ en mettant le
corps en jeu. En présentant un corps non stérilisé, il détruit ‘’l’intériorité
feutrée du théâtre moralisateur’’. Le corps dans le cirque prétend,
comme l’indiquera Artaud, accéder ‘’ à la dignité du signe ‘’.
o La métaphysique
Le cirque est perçu comme un monde du pré-langage, d’avant la
chute. On n’y trouve ni discours, ni représentation. Le cirque est
immédiat et éphémère. Le temps est celui de « la présentation ». Il nous
projette traditionnellement dans un ‘’ monde de vibration décuplée ‘’,
constitué d’ ‘’ une succession de pur présent intensifié ‘’ :
« Une essence du cirque […] est toute entière contenue dans sa
métaphysique : ni le temps ni l’espace, ni la vie ni la mort ne vont de soi.
[…] C’est de toute autre chose qu’il s’agit. D’un lieu profane et tout entier
consacré à la révélation […], la courbure du temps n’a ni bord ni fin, […]
l’espace n’a pas livré tous les secrets de ses dimensions, […] la vie n’est
qu’un passage dans le cercle de l’éternel retour.»16
Le cirque est un lieu d’une grande porosité, sans dedans ni
dehors : « Le plus intéressant dans le cirque réside dans la dilution de la frontière
entre le dedans et le dehors »17.
16 Idem
17 Théâtre aujourd’hui°7, op. cit..
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Le cirque signifie l’impureté des genres, des registres, des
disciplines. Il y a travail sur les frontières, l’entre-deux, du passage en
temps que révélation, de la métamorphose. « Le local est en prise avec
l’universel ».
o L’anthropomorphisme
La frontière entre l’homme et l’animal questionne le cirque :
« Le discours du cirque n’est jamais politique ou social, il porte sur les
éléments qui fondent l’espèce humaine, qui décrivent sa place dans une
cosmogonie. Il n’essaie pas de représenter, mais de présenter le réel
sous toutes ses formes, ses extensions spatiales, temporelles. Il y est
question de voler, de marcher, de se suspendre, de s’élever, de tomber,
de tout ce qui touche les lois de la pesanteur et de la gravitation des
corps. L’art de la piste se situe toujours dans une lignée organique de
transmission du savoir qui le fait correspondre à une anthropologie
incarnée.
C’est la séparation et l’union de l’univers humain et animal, leur contiguïté
contagieuse. »18
o La cruauté
Le désir de voir à tout prix étant la base du contrat passé avec
chaque spectateur des « scènes dans le cercle », il n’est pas étonnant
de constater l’existence d’un « petit théâtre de la cruauté » inhérent au
cirque. Il existe des éléments de violence qui traversent les arts de la
piste.
Et c’est de l’alternance de ce ‘’ mouvement Sadien ‘’ et des
‘’ aspects séraphiques ‘’ ( bisexuel, d’avant la chute originelle) qui fonde
’’ l’Ambivalence Primordial ‘’19. Cette oscillation définissant une
18 Anthropologie, in Artpress, le cirque au-delà du cercle, op. cit. , p. 162.
19 Yan Ciret, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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conception propre à une certaine idée du cirque, on perçoit alors
l’étrangeté du monde, et sa propre différence (solitude ?) irréductible.20
Trouver l’étranger en nous (jusqu’à l’horreur) se révèle alors
comme la condition de notre acceptation du monde.21 Le théâtre est la
mise en scène de cette acceptation.
Le baroque, si cher aux circassiens, se définit
comme ‘’ l’irrégularité qui entache la perle dans sa perfection ‘‘. L’arc de
cercle de l’hystérie est une figure circassienne classique.
Deux mythes, impurs, fondent le cirque : les jeux du cirque – tels
que définit par l’Antiquité- et l’arche de Noé. Cette image du cirque est
éloignée de l’idée d’un spectacle policé, fait pour les enfants (certains
ont tendance d’ailleurs à oublier que l’enfance est aussi un espace
trouble et cruel…).
Au commencement du cirque, est la confluence de différentes
pratiques issues de la rue et du champ de foire. Ce n’est qu’au début du
siècle dernier, qu’il y a séparation entre attraction foraine et piste.
« Les entresorts et leurs exhibitions de phénomènes, de monstres de
toutes nature, ne peuvent plus figurer aux nombres des spectacles
admissibles. »22
Le cirque est à l’inverse de la pureté (dont on connaît les dérives
fascisantes…), le lieu de toutes les mixités. C’est peut-être pourquoi
l’image de notre monde se trouble, une fois passée à travers le prisme
du cristal forain.
Nous avons donc présenté les fondamentaux du cirque, et les
éléments de rupture entre cirque traditionnel et contemporain, ainsi que
20 Ce mouvement est à rapprocher de celui qui fonde la tragédie selon Nietzsche – cf. supra, partie III.III
21 voir le texte de Dagerman en annexe
22 Théâtre Aujourd’hui°7, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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les styles artistiques adoptés par ce dernier. Nous pouvons constater
que le nouveau cirque ne renie pas le cirque traditionnel, il le refonde.
Il a été surtout été mis en avant certaines caractéristiques
essentielles au cirque de toujours :
· Le cirque n’utilise pas la forme verbale, mais a développé d’autres
styles de langages en privilégiant particulièrement le travail sur le
corps. Il ne prône aucun discours politique ou social.
· Le cirque traditionnel présente ses numéros, il ne représente pas,
le travail est sur le signe, non sur le sens. C’est le nouveau cirque
qui a apporté la narration.
· Le cirque, foncièrement profane et métaphysique, développe un
espace/temps particulier, questionne nos origines et la place de
l’homme dans la nature.
· Sous ses apparences formelles « lisses», voire empreintes de
naïveté, le cirque est un art trouble et cru.
I.III. La musique, élément artistique fondamental du
cirque
La musique est l’un des fondamentaux artistiques constitutif de tout
spectacle de cirque. D’origine militaire, elle y est forcement fonctionnelle.
Traditionnellement, il existe une ‘’musique de cirque’’, aux grands éclats
de cymbales et aux rythmes chaloupés, dont les instruments
incontournables sont les cuivres, les bois, les percussions (jamais de
cordes ou de claviers…). Cette musique très connotée (on reconnaît
immédiatement la musique de cirque), véhicule inévitablement son lot de
clichés.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Désormais, tous les styles de musique se mélangent (opéra,
classique, jazz, rock, musiques du monde, contemporain…), participants
privilégiés du perpétuel enrichissement qui traverse les Arts de la piste
(la connotation sociale des genres musicaux colore une compagnie de
cirque…). Si bien que l’on se demande s’il est possible de réduire ces
créations musicales à de la simple ‘’ musique de cirque’’. Car, avec la
narration, la relation à la musique a été l’un des grands bouleversements
dans l’univers circassien.
I.III.I. Musique et cirque
· La musique de cirque
Discipline et rigueur sont des caractères communs aux arts du cirque
et à la musique, surtout dans leur capacité à les faire oublier. Ceci
explique peut-être que la place de la musique au cirque semble
évidente. Il est intéressant dans la perspective de notre étude de
rappeler que la ‘’musique de cirque’’ (traditionnellement) est considérée
comme bruyante, et que le silence, insolite, y est synonyme de danger…
Le cirque aime à envelopper son public de sonorités. Bien sûr,
l’orchestre est là pour accompagner les artistes, les soutenir, leur
communiquer sa force tonique, mais la musique à aussi se pouvoir de
rassembler de rassembler tous ceux qu’elle touche au même moment, et
donc de mettre en ‘’communion’’ artistes et spectateurs.
· La création musicale
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Le nouveau cirque met la musique, et particulièrement le Live (en
direct) à l’honneur. C’est devenu la colonne vertébrale du spectacle,
capable d’assurer de fines liaisons entre les numéros.
La contrainte de la musique pour le cirque, est l’aspect aléatoire de
certains numéros acrobatiques, dont la durée n’est pas fixe. La musique
se doit d’être flexible. Elle est alors construite en boucle, ou en ruban.
Une affirmation revient pourtant souvent chez les musiciens ayant
travaillé pour du cirque : c’est un lieu de liberté totale pour la création.
« Les artistes de cirque déploient une énergie fantastique. Ils sont les
artisans d’un théâtre sauvage, démystifient. La danse contemporaine
semble un peu déshydratée, et le théâtre impose au compositeur une
approche microscopique de la musique. On travaille dans le minimum. Au
cirque, c’est diamétralement opposé : le musicien travaille dans le
macroscopique […] [La musique de cirque] s’adresse encore au grand
public. Je la trouve même sexuée, sexuelle. Cette musique-là n’est pas
encore ni intello ni prolo. Elle est simplement libre, sauvage. »23
Autre exemple, Roland Auzet, percussionniste travaillant pour
l’IRCAM (l’un de ses travaux pour le cirque a consisté a considéré le
chapiteau comme un gigantesque instrument, dont il a samplé les bruits
(grincements, cordages…), ainsi que ceux qui l’habitent (trapèze en
mouvement, sauts, souffles des artistes…)). Il parle de la construction de
‘’paysage sonore’’, d’un ’’théâtre musical interactif’’ où se noue
‘’l’abolition des frontières entre le réel et le vrai’’24. Comme l’ensemble
de ses confrères, il souligne l’importance de ne pas tomber dans
l’illustration, de ne pas faire de la musique redondante, qui seulement
accompagne.
23 Philippe Foch, Arts de la piste N°27 ‘’musique et cirque’’, Ed. HorsLesMurs, Paris, Janvier 2003, p.23
24 Roland Auzet, Art de la piste N°27, op. cit. , p.22.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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I.III.II. Les différentes interactions possibles entre musique et
cirque.
La question de l’interaction entre geste visuel et musique constitue
le cas particulier d’un problème général, nommé synesthésie (accord
des sensations provoquées par des moyens de natures différentes).
Cette relation spécifique peut être de trois ordres principaux : La
symbiose, l’écart, l’analogie. Nous nous sommes permis de reproduire
une part importante d’un article définissant ces notions.
· La symbiose
« Dans la symbiose, nous n’avons pas l’impression que le geste commande la
musique ou l’inverse, que la musique ‘’accompagne’’, ‘’illustre’’, ‘’enrobe’’ mais au
contraire que le geste et la musique procèdent tous deux d’un principe unificateur
transcendant, que l’on pourrait nommer tantôt ‘’dramaticité’’ tantôt ‘’chorégraphicité’’
et plus généralement musicalité, ou encore énergie ou rythme ; Comme le disait Paul
Klee : ‘’Un rythme, cela se voit, cela s’entend, cela se sent dans les muscles’’. La
symbiose repose donc sur une musicalité intrinsèque du geste de cirque. Elle est à
l’état pur dans quelque cas, […] où la musique sourd du geste lui-même, ou encore
lorsqu’elle est produite par l’agrès ou l’accessoire lui-même […]. Autre cas évident :
les acteurs de cirque sont eux-même musiciens ».
· L’écart
« L’écart consiste à l’inverse à dissocier le visuel et le sonore pour jouer du
contraste entre les registres du sensible. Le cas extrême est le silence, qui met en
exergue la ‘’pureté’’ du geste pour le geste […], ou à l’inverse la saturation musicale
[…]. Les cas intermédiaires jouent sur le désaccord rythmique (musique ‘’étale’’ sur
geste très syncopée ou l’inverse) ou dramatique (musique joyeuse sur geste
éprouvant), pour crée des effets de tension. Notons que l’écart maximal comme on
l’observe par exemple, entre les chorégraphies de Merce Cunnigham et les
musiques de John Cage, et qui consiste à refuser toute idée de connexion – et de
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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tension – entre les deux formes d’expression, comme si elle relevaient chacune d’un
‘’univers parallèle’’ est très rare au cirque. »
· L’analogie
« L’analogie reste le mode de relation le plus fréquent. Comme en danse
classique (ou de salon), le geste et la musique sont reliés par la motion
d’expressivité : ils sont sensés se renforcer l’un l’autre, jusqu’à la redondance
musique de tango ‘’illustrant’’ une scène de ménage, musique de rock soulignant une
rébellion, musique romantique renforçant un geste langoureux, etc. Dans le meilleur
des cas, l’accord confine à la symbiose, mais trop souvent on perçoit un écart non
voulu : la musique a l’air d’épouser le geste mais on la sent plaquée ou bien une
musique intéressante masque un geste creux. Le paradoxe de la relation analogique,
c’est qu’on peut aisément dissocier le geste et la musique alors même qu’ils
semblent se soutenir l’un l’autre : sur la même, on pourrait placer des gestes
différents, sur les même gestes jouer une autre musique. Les artistes sont de plus en
plus conscients du risque de la ‘’fausse justesse’’ qu’implique ce mode de relation, et
c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles musiciens et artistes de cirque
créent aujourd’hui ensemble, et se retrouvent ensemble sur le même plateau ou sur
la même piste.
Dans tous les cas - symbiose, écart, analogie – la relation entre musique et
cirque n’est intéressante que pensée, que consciente de ces effets probables sur le
public, sur le corps des interprètes… et sur la relation entre artistes de cirques et
musiciens. Car au-delà des spéculations un peu abstraites sur les rapports entre les
arts, la vraie question, fort prosaïque, est celle des rapports entre les artistes, en
particulier entre les musiciens et les autres, rarement soumis aux même contraintes
économiques et sociales. » 25
25 Guy Jean-michel, M usique : simple accompagnement de numéro ou fondement musical ? , in Arts de la piste
N°27, op. cit. , p.27.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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La question de la création musicale et du rapport entre musique et
cirque est évidement incontournable pour ce qui est de penser la
rencontre entre la musique techno et les arts du cirque.
Nous avons donc abordé dans cette partie:
· La notion de ‘’musique de cirque’’ dans le cirque traditionnel et ses
caractéristiques.
· L’importance de la création musicale et de la musique Live dans le
nouveau cirque.
· Les trois relations spécifiques entre musique et geste : la synergie,
la rupture et l’analogie.
I.IV. Le nomadisme
Après 1968, le cirque symbolise l’art de la fête et de la marge : la
fête, qui ne se limite pas à la simple représentation, mais fait évènement
au sens fort, et la marge considérée comme une micro société
autonome, non soumise aux règles sociales. On peut prendre l’exemple
du Living Theater, fortement inscrit dans la démarche artistique du
Happening, qui efface la ligne de démarcation entre cabaret et cirque ;
ou celui du Magic Circus qui véhicule l’utopie de la fête permanente.
« Le portrait de l’artiste en saltimbanque »26, le mythe de la baraque de
foire, le nomadisme, sont fantasmés et prennent une valeur subversive.
L’itinérance est rêvée comme une alternative à la solitude et au
chômage. Et la pratique foraine liée aux notions de proximité et de
spectacle.
26 Starobinski Jean, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Skira-Flammarioin, 1983
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Cette partie, qui clôt notre tour d’horizon de l’univers circassien,
peut-être considérée comme centrale, car l’itinérance, le campement, le
collectif, sont des points de convergences évidents entre le cirque et la
free party. L’un des buts de ce travail est de définir la notion d’art
nomade.
Les trois sources qui viennent éclairer notre réflexion sur ce sujet
sont des éditions de HorsLesMurs, centre de ressource des arts de la
rue et de la piste. Cette association nationale a été créée en 1993 à
l’initiative du ministère de la Culture pour assurer le développement de
ces secteurs.
Notre première référence est le numéro 2 de « Scènes
Urbaines, Art/ rue/ espaces / publics », dont le sujet est « Théâtres
nomades. » Il ne s’agit pas d’une réflexion sur le cirque, cependant le
rapport à la création artistique du théâtre et des arts de la piste semble
se confondre lorsqu’ils ont en commun ce désir d’itinérance. Nous
considérerons donc que le contenu de cette revue entre en résonance
avec notre sujet. Notons que ce sujet avait déjà été brillamment traité
dans le Cassandre numéro 43 : « Chantier nomade » (Ces deux
dossiers ont été coordonnés par Alix de Morant.)
Nos deux autres sources sont les numéros 17 et 24 de « Arts de la
piste », dont les sujets de dossiers sont respectivement « La troupe et le
collectif » et [le] « Campement.»
Il est donc ci-après exposé un certain nombre de réflexions sur la
notion de nomadisme, emprunté aux auteurs au fil de ces différentes
lectures.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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I.IV.I. Art nomade
· Art nomade et institution
« Le théâtre de rue tend aujourd’hui à se structurer en prenant
garde d’éviter les modalités d’une institutionnalisation dangereuse,
sclérosante mais nécessaire à la qualité de la création et à la
pérennisation du mouvement »27
Ainsi, alors qu’être bohême semblerait aujourd’hui réduit à un
phénomène de mode (mais que les gens du voyage sont toujours plus
marginalisés), la vitalité du théâtre nomade conteste, comme à chaque
crise de la représentation théâtrale en Occident, « la boîte noire et son
isolement 28». Elle remet du même coup en cause la « domination
insolente de l’institution théâtrale 29 ».
Ces artistes ne semblent se soucier ni de l’économie des festivals, ni
des directions sur l’excellence artistique émise par les institutions. La
question de « la création en dehors de la convention » est manifeste.
o Nomade, un choix de vie particulier
L’itinérance est pensée comme mode de création. Le savoir-faire
s’en trouve réhabilité : «Tous ont fait le choix d’un théâtre rudimentaire et
sans faux-semblants où l’esthétique se coltine la mécanique 30 ». Et à
Alexandre Romanés d’ajouter que « Ce ne sont pas les cinq minutes
passées dans la piste qu’il faut voir, c’est tout le reste31 ».
La mobilité de la troupe (comme autrefois celle de Thepsis et son
chariot, des Italiens et de la commedia Del art, de Molière…)32, réfute les
27 Alix De Morant, Scène itinérante - Emergence, résurgence, Université Paris X, 1999
28 Jean-Luc Baillets, Théâtres nomades, Scènes urbaines, HorsLesMurs, Paris, 2002, p.4
29 idem, p.4
30 Anne Quentin, L’odyssée des théâtres à roulettes, in Théâtres nomades, op.cit, p.26.
31 Romanès, Un peuple de promeneurs, Ed. Le temps qu’il fait, Cognac, 2000, p.68
32 voir André Degaine, Histoire du théâtre dessinée, édit. Nizet, 1992.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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impératifs de vitesse et d’efficacité pour réinstaurer « le théâtre comme
un périple, la vie comme un voyage »33.
L’artiste nomade, minoritaire, doit constamment adapter son
dispositif au contexte et non l’inverse. Ce saltimbanque a fait le choix
d’abolir la frontière entre son art et sa vie, il s’immerge alors dans un
« processus quotidien faisant fi de cette reconnaissance qui se juge à
l’aune de la visibilité 34 » . L’artiste nomade est en effet un rien
caricatural. On rejoint la conception du comédien selon Copeau, Léon
Chancerel et ses Comédiens routiers, pères de la décentralisation
dramatique.35
o Un art non institutionnalisé.
Dans cet article titré « Entre le dehors et le dedans », Alix De
Morant évoque enfin « un théâtre d’accès facile, de petite jauge, renouant avec
la nécessité première de la communauté de l’instant, capable de poser en un rien de
temps son bagage poétique au milieu de tous, [qui] propose ainsi de rompre avec le
quotidien pour voyager vers l’ailleurs. »36
« On peut observer que dans la société occidentale le lieu théâtral
obéit de façon synchronique à une oscillation dessinant un schéma
dialectique connu : espace/action, dramaturgie/architecture, abri/édifice,
hors les murs/dans les murs, dispositif/décor, mobilité/stabilité,
provisoire/permanent, marginalité/centralité. Le rapport entre théâtre fixe
et théâtre ambulant s’inscrit dans ce jeu d’oscillation. »37
33 Alix De Morant, Théâtres nomades, op. cit. , p.5
34 idem, p.6
35 voir Abirached Robert, histoire de la décentralisation, le premier age 1945-1958, Actes Sud- ANRAT, 1992.
36 Alix de Morant, Théâtres nomades, op.cit., p.6
37 Alix De Morant, Scène itinérante- Emergence, résurgence, op.cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o La ‘’philosophie’’ du démontable.
Outre la question artistique, dans l’article « Architecture nomade, la
philosophie du démontable », Patrick Bouchain, architecte et
scénographe, rappelle que plus de la moitié de l’humanité vit sous le
seuil de pauvreté, que peut-être un tiers n’a pas de toit. Lorsque l’art se
fait sous un bout de toile, il se rapproche de l’ensemble de l’humanité.
L’art nomade semble alors, au-delà de la représentation, véhiculer
certaines valeurs : le travail : « ni un labeur, ni du divertissement, mais les deux
à la fois. […] Quand on sait pourquoi et pour qui on soude, on soude mieux. » ;
l’hospitalité : « être dans la mobilité et se présenter aux autres comme un étranger,
c’est enrichir l’humanité de la présence de l’autre 38 ».
« Monter, démonter, être là puis disparaître, aller au devant des gens et
du public sans attendre qu’il vienne à toi »39.
Philosophe aussi, Napo, constructeur de chapiteaux et de
structures pour le spectacle vivant, suggère: « Avec les structures
démontables, il s’agit d’échapper à une société qui veut tout encadrer, tout régir. »
L’architecture non pérenne remet en cause les principes de la
commande, la propriété, la responsabilité…
« Le vide n’intéresse personne quand il est délaissé, mais si on s’y
installe, cela inquiète. Nous avons perdu cette idée de gratuité dans notre
société. (…) Les artistes, en s’installant sur ces « délaissés », créent de la
valeur autre que marchande et spéculative. (…) Leur travail intuitif,
spontané, tout ce non programmé fait aussi partie de la ville. »40
· Le rapport au public
Igor et Emmanuel de Véricourt, de la Volière Dromesko, proposent,
en regard de leur spectacle La Baraque, un rapport différent au public,
particulièrement nourrissant pour notre réflexion.
38 Bouchain, Théâtres nomades, op. cit.
39 Napo, Théâtres nomades, op. cit. , p.15.
40 Bouchain, Camper sur ces positions, in Art de la piste N° 24, p.25
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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« Entre eux, entre nous
[…]
Igor : Au bout de deux heures, on fait des choses qui auraient été
totalement impossibles et fausses dans un espace temps plus rétréci…
Les gens savent qu’ils sont venus voir un endroit atypique, mais quand la
musique s’arrête après deux ou trois morceaux, le silence peut planer
quelques minutes avant qu’ils se mettent en état d’être présents les uns
aux autres. Heureusement qu’on est là pour les bousculer un peu […].
Après, ils arrivent à nous oublier complètement et il faut de nouveau
creuser pour amener de nouveaux éléments.
Emmanuel : Au théâtre, d’habitude, on ne regarde pas son voisin.
A la cantine, on mélange les gens, on les confronte les uns aux autres. On
provoque la rencontre tout en la contenant pour qu’elle ne déborde pas
notre propos. […].
Théâtres
Igor : C’est une traversée de trois heures qui peut parfois durer
huit heures. C’est là pour nous l’endroit de la réunion. (…) »41
« Notre utilisation de l’espace est impulsée par notre vision du rôle du
spectacle itinérant, sa relation privilégié avec les spectateurs : convivialité,
mystère, surprise et mouvement. Nous croyons pouvoir provoquer une
rencontre authentique »42
Bruno Tackels, dans l’article Le campement, outil de résistance43
rappelle que « face à ces guerres qui appellent à résister, il fallait créer ces
contre-espaces actifs, vite dérisoires, et pourtant inextinguibles, où la parole tient
bon et fait tenir. »
Il définit aussi la « dépense », comme un événement (une fête)
faisant effraction dans le cours de la vie. « Un excès dont l’ordinaire croit
41 Alix de Morant, La baraque, la traversée des apparences, p.4, 1 in Théâtres nomades op. cit.
42 Cie cahin-caha, dossier de presse de la compagnie, centre de documentation de HorsLesMurs, Paris 19eme.
43 Bruno Tackels, Le campement, outils de résistance in Théâtre nomade, op. cit. , p 44
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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ne pas avoir besoin ». C’est au mythe salvateur de Dionysos auquel on
fait ici référence.44
« Cet édifice qui se déplace et se construit en une nuit, qui apparaît et
disparaît comme quelque chose de fugitif et libre, c’était le merveilleux
qui entrait. »45
I.IV.II. La figure du campement
Le campement est une figure hautement symbolique du cirque de
toujours, qui met encore une fois en avant cette confusion entre mode
de vie et mode de création. Le nomadisme ne se réduit pas alors
simplement à ce parfum de liberté et d’errance, mais une véritable
philosophie de l’échange pour « un collectif en mouvement ».46
· Espace et temps du campement
Tout le cycle du bivouac s’organise autour des phases de
montage et de démontage. « Toujours le campement montre l’engrenage de
trois phases de reconstitution : du spectacle, du matériel et de la force de travail. »47
De même, le campement n’est pas qu’un site d’hébergement :
Cette cité faite de toiles et de roulottes, qui se déploie et s’organise
toujours autour du même axe fondamental, la piste, peut-être tout à la
fois considérée comme le décor du spectacle, un mode de production,
et représentatif d’un style de vie et de pensée. Le cirque, c’est avant
tout la figure du campement, et donc du cercle. La mythologie de
l’errance en troupe est une image puissante et intemporelle des artistes,
44 voir Maffesoli, L’ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de l’orgie, librairie des Méridiens, 1985.
45 Fernand Léger, Le Cirque, éd. Teriade, Paris, 1950.
46 Arts de la piste no24, Editorial, Ed. HorsLesMurs, 2002
47 Emmanuel Wallon, Arts de la piste N°24, op. cit. , p.15.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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poussés à recréer en même temps leur lieu de vie et leur raison d’être :
la représentation48
· La symbolique du repère
Choisir l’itinérance repose sur le désir puissant d’échapper au
code d’une société sédentaire par trop policée. Mais le nomadisme est
au départ du moins, rappelons le, une obligation économique. Donc un
choix loin d’être évident. Le voyage, véritable rite de passage, relève
des trois étapes « de la séparation, de l’isolement et de l ‘agrégation »49.
Ainsi, en clin d’oeil aux artistes de la route, on peut évoquer leur
besoin de repère. Le campement est un lieu refermé sur lui-même,
fermé donc au visiteur, et organisé autour de la vie de ses habitants.
La piste est un espace codifié par sa dimension, son décor. C’est
un cadre familier où qu’il soit installé. La caravane est tenue pour un
lieu secret, hautement intime.
I.IV.III. La troupe et le collectif
Le monde du cirque est l’un des derniers en matière d’art vivant à
fonctionner sur le modèle du collectif, de la troupe. Mais au-delà des
images éculées du communautarisme, ces groupes se perçoivent
désormais plus comme une collection d’individualités, où l’on prend en
compte la singularité de chacun. On parle de tribu solidaire, mais nous
sommes éloignés de cette « incapacité à penser l’individu séparément
de l’espèce »50 qui caractériserait le « primitif »…
Ces collectifs sont les inventeurs critiques de nouveau sentiments
d’appartenance. L’équilibre de la troupe tient en une alchimie secrète que
48 voir La troupe et le collectif, Arts de la piste no17, Ed. HorsLesMurs, 2000
49 Arnold Van Gennep, les Rites de passage : étude systématique des rites, Paris, éd. Picard, 1981, cité dans La
symbolique du repère, Arts de la piste, N° 24, op.cit., p.21
50 Durkeim, Les formes élémentaire de la vie religieuse, P.U.F, 1968, p.227, cité dans L’ombre de Dionysos, op.
cit. , p.68.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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« l’impatience de traverser la vie au plus vite, pour échapper au reste du
monde, peut briser. Intégrer une troupe, c’est aller vers le ‘’ tout ’’ et faire
don de son inconstance »51. Ce qui est sans doute le cas dans n’importe
quelle aventure vécue au sein de l’art vivant.
· L’individu et le collectif
En interrogant les oeuvres de compagnies de cirque contemporain, on
peut observer en filigrane les questionnements que ces collectifs
traversent en ayant choisi ce mode de vie particulier. La plupart des
compagnies se disent apolitiques, cachent le politique sous
l’esthétique, mais celui-ci suinte de partout. Dans le nouveau cirque,
peu de personnages sont socialement typés, c’est l’éternité de
l’homme qui est incarnée, plus que la société qui la traverse. Et il est
souvent question d’êtres qui sont en conflit pas. Il est sujet entre autre
de la difficulté de s’aimer, de cohabiter ou pas. C’est le « solisme »52
qui est mis en scène, où cette impossibilité de pouvoir exister sans
autrui et la difficulté d’exister avec.
La cohésion du collectif tient donc, les spectacles le laissent
transparaître, dans la difficulté d’établir un équilibre entre le désir
d’entreprendre ensemble et le besoin de garder sa liberté individuelle.
La caravane est alors perçue comme un intermédiaire entre la
résidence collective et l’habitat individuel.
L’affectif est donc autant un facteur de cohésion que de division ;
le but affirmé étant la réussite d’une oeuvre commune.
« Un campement, c’est un village qui se déplace, le tissu social est très
important en tournée »53.
51 Tierry Voisin, la troupe et le collectif, in Arts de la piste no17, éd. Horslesmurs, 2000.
52 Jean-michel Guy, l’oeuvre composite, métaphore social, in Art de la piste no17, op. cit. , p.16
53 Roger Peyramaure, Cie des oiseaux fous, Art de la piste no17, op.cit., p.22
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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L’aspect familial n’est pas complètement exclu du nouveau
cirque, des couples formant souvent la base de la troupe. La différence
essentielle avec le cirque traditionnel est un sens de la hiérarchie
moins affirmé dans le partage des responsabilités.
Nous pouvons donc déterminer quatre caractéristiques du
nomadisme :
· L’art nomade se construit en s’opposant à un art institutionnel,
notamment dans la recherche d’un rapport autre au public.
· C’est un art où mode de vie et mode de création sont confondus.
· Le sédentaire a vis à vis de l’art nomade et de son image
autarcique un double mouvement d’inquiétude et de fascination.
· La question existentielle de la place de l’individu au sein du
collectif.
Lors de notre tentative de rapprochement du cirque et de la Free
Party, cette définition de l’art nomade nous sera précieuse pour
comparer l’itinérance tekno et circassienne.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Partie II :
Free Party :
Le mouvement sans concession.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Le but de cette deuxième partie est de mettre en évidence l’état
d’esprit qui émane de la free party, tant par les valeurs qu’elle prône que
par sa démarche artistique.
II.I. Genèse de la Free Party
Cette partie prend appui sur une émission programmée sur France
Culture en août 2002, elle s’intitule « Sound system et Free Party,
cinquante ans de musiques amplifiées et voyageuses. » Elle intègre une
série d’émissions sur le nomadisme.
Nous ne nous intéresserons qu’aux deux derniers chapitres de ce
panorama, qui raconte et analyse la naissance de la Free Party en
Angleterre, puis son expansion dans le reste de l’Europe occidentale.
Tout comme l’historique du cirque dans notre première partie, le
rappel de ces évènements permet de déterminer les lignes de forces
tracées par ce phénomène.
II.I.I. L’acid* House* s’organise autour des sounds systems.
Les musiques amplifiées sont déjà une constante culturelle (ou
contre culturelle) en Grande-Bretagne. Le sound system a quitté la
Jamaïque avec les immigrants caribéens pour s’implanter en Angleterre.
Le déclic viendra d’un autre pays, l’Amérique, où naît l’acid House. Elle
suscite une véritable révolution sociale en Europe.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Les raves, fêtes où l’on écoute cette musique au son caractérisé
par des « volutes hypnotiques et synthétiques »54, engendrent plus qu’un
genre musical mais un certain mode de vie. Il devient pour beaucoup
générateur de profit. On s’adonne à la danse toute la nuit, et la fête se
prolonge souvent jusqu’au matin. Le rapprochement avec la drogue est
donc vite mis en avant.
Et c’est dans ce contexte déjà stigmatisé que vont apparaître les
« trublions d’un sound system d’un genre nouveau » : la Spiral Tribe, qui
se posent d’emblée hors du circuit des raves commerciales. A cela, ils
préfèrent les fêtes pirates, le plus souvent en pleine nature, et en toute
liberté.
« Les clubs vous vendent une bonne nuit : votre seule action est de vous
y rendre et de payer […] Le gouvernement sait cela, qu’il est dangereux
qu’un nombre important de personnes en harmonie les une avec les
autres se réunissent autour de quelque chose en complet désaccord avec
leur système de valeur. Ce système de valeur, c’est l’argent, et le nôtre
n’a rien en commun avec l’argent, c’est gratuit. On ne peut pas faire plus
antinomique. »55
En 1990, ils inventent le concept de Free Party et sont devenus
aujourd’hui un véritable mythe.
Leur route se perd désormais aux quatre coins du monde : nous verrons
comment la plus forte vigilance jamais organisée autour d’un groupe de
musiciens (depuis le mouvement punk) va conduire à une diaspora qui
touchera de plein fouet la France puis d’autres pays du sud et de l’Est de
l’Europe, qui prendront à leur tour exemple sur le nomadisme initié par la
Spiral Tribe.
54 Jean-Philippe Renaud, présentateur de l’émission
55 Simon Lee (Christal Distorsion), membre fondateur de la Spiral Tribe, Bruyante techno, réflexion sur le son de
la Free party, Edition Seteun, Paris, 1999, p.26
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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· Naissance de la spirale Tribe
« L’acid House est arrivé, et la séduction a commencé »56
Cette musique semble, pour les personnes qui la découvrent en
1988, agir comme une révélation. C’est une musique nouvelle, vecteur
de relations nouvelles. En tout cas, la House ouvre de nouveaux
territoires.
« Spiral Tribe a émergé de ce mouvement de ravers. Nous avons fait
connaissance au fil des fêtes (…) Nous expérimentions alors dans tous les
sens du terme, à travers les arts, les drogues, nous avons changé notre
manière de vivre, pour nous il s’agissait d’explorer, de s’ouvrir, de découvrir
la vérité. » 57
« Ensuite avec la commercialisation des fêtes, l’esprit acid House semblait
avoir complètement disparu, jusqu'à la rencontre avec des gens qui
squattaient une école, c’était Marc, Simon et Debby. En vérité, cette fête est
la première où l’on retrouvait vraiment l’esprit de 88. Il y a eut effet boule de
neige. (…) Il y a une envie massive des gens d’aller dans les champs, la
vibration est vraiment différente quand c’est gratuit ».58
Au bout de six mois, l’organisation de différentes fêtes permet
l’acquisition d’un sound-system. Le groupe décide d’aller poser59 au
festival de Stone Age, pour le solstice d’été. Ce festival est déjà depuis
les années soixante-dix, le symbole du conflit qui oppose « l’Etat » et les
« marginaux ».
« Nous sommes partis de Londres pour le festival, et nous ne sommes
jamais rentrés. Nous avons décidé de continuer le prochain week-end,
celui d’après. De plus en plus de gens venaient, ça a pris de
l’ampleur. »60
Les membres de la Spiral Tribe parlent de ce rassemblement de
stone age comme d’une grande révélation pour chacun.
56 Marc Harrison ( Stormcore), membre fondateur la Spiral Tribe
57 Sébastien (69 db), membre fondateur des Spirals
58 Idem
59 Le groupe décide d’aller installer leur système de sonorisation amplifié…
60 Marc Stormcore, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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« Nous avons aperçu comme un grand éclair blanc, ça nous a fait
comprendre qu’il existait quelque chose de plus grand, de plus important
[…] que la nature n’est pas semblable à ce que nous avons appris à
l’école. Il y a une autre réalité. […] Ce n’est qu’au solstice que nous avons
compris pourquoi nous étions appelés Spiral Tribe. »61
Le passé mystique des alignements de Stone Age apparaît
évident. Il y a une recherche de spiritualité pour cette génération, mais
pas de modèle a priori, ni de croyance dans les religions dominantes. On
recherche dans des rites ancestraux, pour laisser s’épanouir ce qu’on
ressent dans la musique. Ces rassemblements sont autant un désir de
retour aux sources, qu’une façon de défier l’autorité (Stone Age est au
milieu d’une propriété militaire…)
Le mode social de la tribu sert un projet idéologique, il y a notion
de primitivisme, non régulé par la norme, l’institution.
Un sound system est monté avec une grande efficacité. Une free
peut-être installée en demi-heure. Dans une énergie quasi militaire,
similaire à un commando.
Chaque week-end, durant quinze jours parfois, des
rassemblements sont organisés. Il y a de plus en plus de sounds
systems, de plus en plus de monde. L’apothéose se déroule en mai 92 à
Castel Morton, au Avon Free Festival, la plus grosse rave illégale de
tous les temps.
« Une plante, ça germe, ça pousse, ça fleurit. L’épanouissement était si
énorme, si extraordinaire, l’autorité ne pouvait pas l’identifier. Ca ne
pouvait pas aller plus loin, ni du point de vue des politiques, ni du point
de vue de sa propre évolution. »62.
Il s’ensuit un procès qui a duré plus de deux ans. Mais le groupe
veut continuer. C’est pourquoi ils sont allés en Europe.
61 Marc Stormcore, op. cit.
62 idem
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Artistiquement, notons que le live*, plus que le mix*, permet d’être
sur l’instantanéité, il permet d’être en interaction avec le public, c’est une
matière « fraîche », sur le moment présent, ce qui alimente aussi la
dimension spirituelle. Il y a une énergie particulière qui vient de
l’évènement.
Le son, se durcit ensuite considérablement, à la hauteur de la
répression. « Cette bande sonore est ancrée dans une perspective idéologique :
une musique hardcore* pour un monde hardcore ».63
Les sounds systems vont rencontrer les travellers*. C’est la
mobilité comme idéologie.
II.I.II. De la rave au camion nomade, les sounds systems
s’essaiment en Europe.
Après l’éclosion de l’Acid House et des raves, les Sounds systems
retournent en plein air. En Jamaïque comme en Angleterre, la fête est
gratuite, ce n’est donc pas un phénomène récent. Ce qui est original,
c’est que ce mouvement touche un public marginal, laissé pour compte
par la société : les travellers. Ce sont des « écolos » tendance dure (Eco
warriors), des beatniks de la deuxième génération, ou tout simplement
des chômeurs envoie de marginalisation.
Le rassemblement de Castel Morton, en cela, inaugure la
rencontre inédite64 entre les sounds systems et les travellers. Ce
teknival rassemble plus de 50000 personnes, et est à la une de la presse
63 Citation de Mark Harrison, in Collin Matthew, altered state, the story of Ecstasy culture and acid House,
London, Serpent’s Tail, 1997,p.207. L’expression s’inspire, parait-il, du fameux “industrial music for industrial
people”.
64 On peut mettre en doute cette affirmation, au regard par exemple des photos de rassemblements d’Alan Lodge
(voir site web). Les travellers et les sound-systems tekno se sont sans doute croisés durant toute la période des
summer of love (les étés 87,88,89 où les parties ont pris leur essor en Angleterre) et entre autres aux
rassemblements de Glastemberry (89,90). Mais, il ne s’agissait pas alors à proprement parler de Free party…
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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et de la télévision durant quinze jours. On parle alors de « new age
travellers ».
Les Spiral sont alors poursuivis en justice, écroués, libérés contre
une grosse somme d’argent. C’est le début de la répression. La Criminal
Act Justice est adoptée. Elle fustige les squats, les rassemblements
illégaux et les sounds-systems, qui deviennent alors hors la loi.
La plupart des sounds systems font alors cause commune, et
contournent relativement facilement la loi. Mais les Spiral, ceux par qui le
scandale est arrivé, choisissent une autre voie : l’exil.
· La Zone d’Autonomie Temporaire : utopie pirate.
En 92 donc, ils quittent le pays et parcourent toute l’Europe du Sud
et de l’Est. De là naîtra le mythe de la Free Party. Une nouvelle forme de
résistance est née : le nomadisme tekno65.
« Une heure avant la fête, nous ne savions pas où elle allait se
dérouler. C’est une question de mobilité. (…) C’est un très bon exemple
de zone d’autonomie temporaire (TAZ)66. Sitôt que quelqu’un essaye de
l’arrêter, elle a disparu. »67
La TAZ, phénomène analysé par Hakim Bey dans son ouvrage
éponyme68, est référence dans le milieu de la free party. C’est «une
insurrection qui ne serait pas tournée directement contre l’Etat, une opération de
guérilla qui libère une aire (de temps, de terrain, d’imagination) et puis se dissout
pour se reformer ailleurs à un autre moment avant que l’Etat ne puisse l’écraser ».69
L’écrit de Bey se présente comme un essai politique très vaste,
dont l’objet n’est pas le phénomène tekno, et qui englobe beaucoup de
notions différentes. Il critique entre autres la société du spectacle. Bey y
prône le fait de résister sans faire la révolution (vu que celle –ci ne fait
65 Tekno écrit ainsi désigne la fange alternative du mouvement…
66 Temporary Autonomy Zone ou T.A.Z…
67 Marc stormcore, op. cit.
68 T.A.Z. Hakim Bey, Editions de l’Eclat, Paris, 1997, trad. Christine Tréguier.
69 T.A.Z, Hakim Bey, op. Cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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que recréer ensuite un autre ordre institué…). La solution est l’échappée,
d’être mobile.
Il y a analogie entre la TAZ et le principe de fonctionnement d’une
free. On ne cherche pas la confrontation. On ne fait qu’apparaître et
disparaître. Il faut rester à l’écart de tout mouvement médiatique, viser
l’invisibilité.
Ces préceptes n’ont pas été respectés par le mouvement en
France, qui va bientôt céder à la tentation, en jouant le jeu des médias,
ce qui va concourir à l’explosion du phénomène en France, et donc
amener une répression accrue. Les principes de la TAZ, partiellement
respectés, ont coûté la vie au mouvement tekno dans ce pays.
«Quand nous organisions ces fêtes, nous n’avions pas de plan, pas de
politique, pas de philosophie. Il nous semblait naturel de continuer, de ne
pas s’arrêter, et voir ce qui allait arriver. Maintenant, je vois les choses
autrement. Tout le monde était très naïf. Et c’était une force. Nous étions
forts parce que naïfs. Nous ne savions pas que nous allions nous attirer
autant d’ennuis.
La TAZ existe dans toutes nos fêtes et exprime de manière exacte et
poétique quelque chose de très intéressant. Peut-être que les autorités
sont conscientes de tout cela et doivent le repousser de façon violente.
C’est le coeur, le noyau de toute fête. […] Là existe une résistance à un
régime autoritaire qui voudrait nous empêcher d’être connecté à vousmême
ou aux autres et d’exprimer cette créativité. Personnellement, je
cherche un espace créatif : La TAZ, zone de mobilité temporaire ou
semi-permanente. La vie est éphémère, nous sommes tous des
travellers. […]
Tous ceux qui ont participé à ces fêtes pour les organiser ou tout
simplement pour danser, ne peuvent comprendre le degré de violence
que les autorités sont prêtes à utiliser pour les arrêter.
La TAZ prend le parti pris de résister. Elle évite le conflit direct, mais
utilise le mot résistance. Moi, je veux résister […]
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Nous avons maintenant formé différents groupes (encore l’image de la
plante, qui sème, s’égraine). Nous sommes en rapport avec des gens de
différents pays. Avec d’autres sounds systems du monde entier. Nous
avons tout changé, pris des directions différentes. […] Le monde est
grand, si nous avions fait qu’un seul groupe, nous n’aurions pas pu aller
partout. Mais en tant que facettes d’un même mouvement, c’est déjà fait.
Nous sommes en contact avec presque le monde entier. Beaucoup de
groupes français que je connais font le tour du monde avec plein de
courage et pas d’argent, seulement leur talent. Ca marche, on peut-être
nomade toute sa vie, juste avec le message dans la musique. »70
· La Free party arrive en France
A l’arrivée des Spirals en France en 92, des liens ont déjà été
créés avec la scène rock alternative. Quelques frees sont posés. Le
premier tekos en France est Beauvais, en 93, organisé avec Nomad,
premier sound system français. Le teknival, c’est un peu « le village
gaulois dans l’empire romain ». Il faut tenir le plus longtemps possible.
L’Angleterre est le brouillon de ce qui va se faire en Europe, elle joue le
rôle de déclencheur.
En Hollande, Allemagne, France, Portugal, partout où les Spirals
se déplacent, ils créent des émules, qui montent leur propre sound
system.
Les Parisiens découvrent l’esprit de la free party lors des afters*
organisés sous le pont de Tolbiac.
« C’est une scène alternative, qui a toujours prôné la gratuité, le droit
de faire la fête sans pour autant être parqué dans des clubs ou
même des raves légales. A la base, l’essence de la rave c’était ça :
on va dans un endroit complètement secret, nouveau, juste pour une
nuit, c’est gratuit, c’est géré par une bande de potes, du son à
l’organisation, à comment on « drive » les gens […]. Quand un
70 Marc Stormcore, op . cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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phénomène grossit, les débordements sont inévitables, là dessus, il
n’y a aucune discussion possible avec le gouvernement. Des
endroits, il y en a plein, il y a des usines à foison à l’abandon, vingt
potes se mettent deux mois dessus, et la rénovent, et font en sortent
qu’elle soit aux normes de sécurité, […] ils en font des ateliers et
parfois des fêtes à l’intérieur, mais il n’y a pas moyen, ils veulent pas
lâcher ces endroits là. C’est stupide, car ils poussent à une inégalité
qui parfois peut être dangereuse pour l’individu… Après faut pas
venir se plaindre non plus. On demande quelque chose, on nous ne
le donne pas : OK, on va le prendre nous-même alors. »71
La frange la plus radicale du mouvement tekno cite le punk comme
une référence pour cette éthique du D.I.Y (Do it yourself).
C’est un mode d’action directe une culture de l’immédiat. Le label
français Kanyar parle de ‘’l’esprit musical du mouvement techno punk’’.
Le gouvernement français a décidé d’agir quand le mouvement a
pris trop d’ampleur. Les sons sont saisis, la loi française72 ressemble à la
Criminal Justice Act, où le phénomène tekno (alternatif) n’est perçu que
comme une pure nuisance sociale.
Mais il y a aussi un phénomène de démotivation de la part des
premiers acteurs du mouvement. La plupart ont désormais plus envie de
se focaliser sur l’aspect artistique, associatif de la culture, et non
seulement festif et illégal. Ceux qui prennent la relève n’apportent pas
forcément satisfaction à leurs prédécesseurs car ils ne respectent pas
toujours les « dogmes » de la free party et de la TAZ. Ils ont souvent la
folie des grandeurs, accueillent parfois de 5000 à 10000 personnes sans
avoir les moyens de s’en occuper. Il y a dérive. Selon beaucoup
d’acteurs du mouvement, le phénomène dépérit…
71 Manu le Malin. Les propos de ce D.J. sont ici retranscrits au plus près de leur forme orale initiale, tels que
fournis par l’émission de France Culture, op. cit.
72 Loi de Sécurité Quotidienne, adoptée (merci Jospin) en 2002, sur proposition du député Mariani.
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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· Nomadisme et tekno
En quoi le nomadisme est comparable et différent des autres
cultures nomades ?
Il existe un nomadisme pur et dur, celui des Roms, des Gitans, des
Touaregs. Le nomadisme est subi, hérité. On est ici mobile parce que
l’on doit fuir, en raison d’une invasion par exemple. Ce sont des cultures
au sens fort, avec une langue, des moeurs, un drapeau, une religion.
C’est un phénomène intergénérationnel, externe à la Société, qui
traverse d’autres sociétés.
Le nomadisme ici est d’évasion, désiré. Il ne s’agit pas de fuir, mais
plutôt de partir. Il s’agit moins d’une contre-culture, d’opposition, que
d’une culture. Elle est générationnelle (la jeunesse), et interne à la
société. Ce nomadisme est dans le sillage de celui des beatniks.
Le nomadisme traditionnel est défensif. Ses membres se font
écraser, sédentarisés de force. Le nomadisme tekno est offensif, en
expansion, il fait de nouveaux adeptes.
Ces deux types de nomadisme ont en commun qu’ils sont perçus
comme une menace pour l’ordre institué, ils subvertissent les normes. Ils
sont étouffés soit en étant intégrés, soit en étant éliminés.
« Je suis très heureux dans mon camion. Nous sommes en Sicile
actuellement, il y a une bonne énergie qui se dégage là-bas, avec un
sound system de trente Kilos.(…) Moi, je déteste avoir le même jardin
sous les yeux tous les jours. Nous, ça change tout le temps, un jour la
plage, le lendemain un entrepôt pour le week-end, la campagne. Le
seul côté négatif, c’est que les gens te regardent comme une poubelle
ambulante, mais le genre humain a toujours été nomade »73
73 Simon Lee (Christal distorsion), des Spiral Tribe, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Notons aussi la place du chien : l’animal comme compagnon du
voyageur, qui l’accompagne et le protège, un symbole de liberté comme
le camion d’autonomie.
En conclusion, cette réflexion de Mark Stormcore sur l’essence du
nomadisme : le travelling est avant tout un voyage de l’esprit. Le but du
voyage est le voyage lui-même.
« La vie même est un voyage. Il n’y a rien de permanent. Tout change à
chaque instant. En tant qu’organisme, nous sommes forts quand nous
choisissons le changement. La force de l’homme est sa capacité à
s’adapter au changement.(…) Les régimes politiques sont stagnants. La
nature de la vie est d’être en perpétuelle évolution, de changer à chaque
seconde. »
Cette partie conduit à définir les lignes de forces de ce mouvement,
permettant d’ébaucher des points de convergence avec d’autres types
d’art ‘’populaire’’:
· Une partie des valeurs de la société occidentale sont rejetées,
une alternative, prônant le ‘’do it yourself ‘’, la ‘’zone
d’autonomie temporaire’’, se vit au fil des fêtes.
· Le nomadisme est vécu comme une perspective idéologique.
· Il y a à travers ces pratiques une quête spirituelle, la (re)
découverte de la ‘’Vérité’’, des ‘’origines ‘’.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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II.II. Définition de la Techno* et Réflexion sur le son de
la Free Party
« La musique Techno74 n’a fait que répondre d’une manière
monosémique, en clamant à tout rompre le bruit comme seul médium
cathartique (voir comme seul âme salvatrice) d’un vieux monde largué,
sali, détrôné, et bien qu’en voie de déconnexion, parfois encore aux
aguets »75
La partie précédente retrace les débuts de la Spiral Tribe et de la
Free party, qui avec un regard surtout sociologique mettait en avant
essentiellement les caractères subversif et spirituel du mouvement. Nous
allons donc plus nous attacher maintenant à ses aspects artistiques et
musicaux, en commencent d’abord par définir des objets appartenant au
phénomène techno en général.
II.II.I. Présentation de la musique techno
· Genèse
Voici comment la House et la Techno sont apparus : « 1986, des DJs
américains fatigués par les sons discos et attirés par la mouvance électronique
venue d’Europe (Kraftwerk, Front 242, Tangerine Dream…) commencent à
expérimenter de nouveaux sons mêlant sons de synthétiseurs et vocaux féminins :
La House Music est née. Son siège est Chicago et son créateur certainement
Franky Knuckles. Puis très vite, les bases musicales étant jetées, la production
House prend son essor à Chicago puis atteindra l’Angleterre. Parallèlement à la
House (qui garde une trace du Disco : les vocaux), des artistes s’exercent à
différents essais. […] A Detroit, les DJs essayent de supprimer globalement la totalité
74 ‘’techno’’ ainsi orthographié signifie le phénomène dans son ensemble : Club, rave, free party.
75 Castanet P-A, Préface, in Bruyante Techno, op. cit., p.5
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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des voix en les remplaçant par des sampling (échantillons sonores), la techno voit le
jour.» 76
Derrik May estime que la différence entre ces deux genres
musicaux est plus profonde qu’elle n’y paraît : « La house a encore son coeur
tourné vers la Disco des années soixante-dix, nous n’avons aucun respect pour le
passé, c’est strictement la musique du futur. Nous avons une bien plus grande
aptitude à l’expérimentation. »77
· Définitions
Cerner la notion de musique Techno semble difficile, nous vous en
proposons deux définitions :
· « Principalement, la musique techno est définie par sa dévotion au rythme,
qu’elle utilise comme un médium hypnotique. Elle se distingue aussi par le fait
qu’elle est presque entièrement créée à partir d’instruments électroniques. On
remarque qu’elle n’utilise pas ou très peu de voix chantées. »78
· « Une musique de danse produite exclusivement par des instruments
électroniques dont les caractéristiques sont la répétition régulière et la
prépondérance d’une pulsation dont le tempo est généralement compris entre
140 et 200 battements par minute (BPM), et sur lequel viennent se greffer
plusieurs couches de sons électroniques régis par un principe de répétition.
Cette définition exclut le drum’n bass et l’ambient parce que la pulsation est
absente de ces musiques (l’absence de pulsation modifie complètement la
structure musicale et les processus de réception de la musique).»79
Il est intéressant de constater que l’auteur de Bruyante techno
considère que la techno correspond, à plusieurs titres, à la définition de
musique de tradition orale selon François Delalande :
76 [S.n.], Au Commencement…, [24.03.1998], [site de l’association Spiritek], [s.l.], [s.d.],
U.R.L :http://www.mygale.org/04/nyto, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p.9.
77 Ghosn Joseph, Du raver au sampler : vers une sociologie de la techno, in l’homme et la société, Paris,
l’Harmattan, no126, 1997,p.92, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p.9.
78 Spiritek, op. cit.
79 Bruyante techno, op. cit. , p.19
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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« Tradition orale implique souvent l’anonymat des auteurs, expansion
relativement lente du répertoire, transmission par l’exemple, souvent sous une forme
simplifiée, épurée, que les musiciens s’approprient ensuite en l’ornant à leur
manière, avec une part plus ou moins grande d’improvisation. »80
Enfin, nous ne pouvons qu’adhérer à cette position du fanzine TNT,
on ne peut plus ouverte : « La techno n’est rien d’établi ni de définitif, c’est une
construction collective à laquelle n’importe qui peut apporter sa contribution, à
condition qu’elle soit un apport (critique ou non) qui n’ignore pas ce qui a pu se faire
de plus intéressant en la matière (dans la musique par exemple). Une notion positive
puisqu’en progrès, ouverte sur son devenir. »81
· Sonorités techno
o Pulsation et son acid
Parmi tous les sons employés par la techno, en voici deux
représentatifs de ce genre musical :
· La pulsation est le squelette et la signature de la techno. Ce son
agit directement sur le corps, c’est lui qui donne l’énergie, le
tempo, l’envie de danser. Sans la puissante pulsation qui porte
le morceau, les sons paraissent flotter. En soirée, il arrive que le
Dj* supprime la pulsation, ce qui entraîne une réaction de
protestation de la part du Dancefloor. Le Dj va alors jouer de la
relation de force instaurée, en réintroduisant la pulsation
attendue le plus tard possible, sur une courbe de tension
croissante, afin de procurer une sensation de libération
maximale.
80 Delalande François, La musique électroacoustique, coupure et continuité, [s.l.], 1996, [01.05.1998], URL :
http: //imac.u-paris2.fr/monnet/son/sonora1196/delalande.html, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p.19
81 {S.n.] , K eskelatekno ? , TNT, no28, Paris, Juin 1996,p.1, cité par… Bruyante techno, op. cit. , p.19
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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La pulsation concentre en elle presque tout ce qui fait le
clivage du jugement esthétique entre ceux qui apprécient ou
non la techno.
· Un « son acide » est un bruit coloré sur lequel est rajoutée une
sélection d’effets électroniques qui lui donnent des
caractéristiques rugueuses.
« Une nuit, Ron Hardy, joua un morceau étrange, même par rapport à
ses propres goûts. Puis il le joua encore. Et encore, Et encore. Tout le
monde voulait savoir ce que c’était ; ce curieux bruit bourdonnant,
frémissant, tordu, enlacé comme un dysfonctionnement électronique. La
bonde avait été réalisée par Marshall Jefferson et son jeune protégé
Nathaniel Jones, alias Dj Pierre. Durant une jam session, le duo s’affairait
et, à mesure qu’ils devenaient saouls, Pierre tripotaient le bouton
‘’fréquency control ‘’ sur la bassline TB303, une machine destinée à
l’origine à accompagnée les guitaristes. Le son que Pierre trouva alors
semblait émaner d’une autre dimension, et il le capturèrent
immédiatement sur une bande. Le résultat ‘’acid trax’’, par phuture, fit de
la TB303 une icône de la Dance culture et fut à l’origine du premier sous
genre de la house : l’acid House. L’origine du terme lui-même est sujet à
des rumeurs contradictoires. […] »
o Impact du son
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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D’a
D’après l’auteur de Bruyante techno, le hardcore82 est une manière
détournée de (re)découvrir les sons de son propre corps, ce qui ne peut
82 Littéralement ‘’ noyau dur’’, la tendance la plus ‘’extrême’’ en matière de musique techno. Dans la suite de
cette étude pourtant, hardcore aura le sens que lui a attribué Marc Stormcore, précédemment (l’ensemble des
musiques diffusées en free party)
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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se faire que dans un repliement sur soi-même, un oubli du monde
extérieur, voire une régression mentale vers les pulsions archaïques. 83
La techno est à la machine ce que les sons organiques sont au corps,
une révélation d’un phénomène caché et inquiétant. Les sons acid font
penser à ceux de l’appareil digestif, la pulsation au battement de coeur…
o Travail sur les ondes
Des expériences ont montré qu’il y avait résonance entre l’homme et la
musique : « Depuis un certain temps, on sait que les rythmes biologiques sont
basés sur une certaine constance vitale. Les battements cardiaques accélèrent pour
répondre à des besoins d’apport en oxygène, de glucose ou d’hormone lors de
situation d’effort, de stress ou d’émotion. Lorsqu’on doit se dépêcher pour se
déplacer, une attention plus soutenue entraîne une activité biologique plus axée sur
l’objectif à atteindre. De même notre cerveau possède ses propres rythmes
électriques que l’on qualifie d’ondes Bêtas, comprise entre 14Hz et 100Hz, Alpha
entre 8 et 13 Hz, Thêta entre 4 et 8 Hz et Delta en dessous de 4 Hz. L’activité
éveillée correspond à des rythmes Bêtas, notamment entre 14 et 40 Hz. Or on a
remarqué qu’à chacun des états de conscience, entre l’excitation et le sommeil
profond, correspond un rythme électrique du cerveau. Mais il y a beaucoup plus
incroyable : on a également constaté qu’il est possible d’influencer par des
stimulations extérieures la fréquence des rythmes du cerveau, et de cette manière,
de recréer artificiellement les états de conscience ou d’inconscience correspondants
(la créativité, la relaxation ou le sommeil par exemple). Des applications de ce
principe existent sous la forme de rythmes sonores ou lumineux programmables pour
passer d’un état à un autre à volonté. Sommes-nous loin du tempo de la musique ?
Pas vraiment. L’un des éléments de base du rythme, la grosse caisse, n’est pas sans
évoquer inconsciemment la perception de notre battement cardiaque. On peut donc
supposer qu’il existe un lien étroit entre notre perception du tempo et notre mémoire
de l’état d’activité qui y correspond (plus lent=plus calme ; Plus rapide=plus actif). »84
83 Bruyante techno, op. cit. , p.55
84 Geiss Michel, Tempo et rythme biologique, Keyboard, hors série no17, Paris, février-mars 1998, p.47, cité
dans Bruyante techno, op. cit. , p. 55.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Principe Coercitif
Le son a pour fonction d’empêcher la parole dans un lieu donné, de
la remplacer par une musique qui domine entièrement le sonore : « La
musique utilise le bruit comme moyen de coercition pour faire le vide autour d’elle. La
puissance sonore favorise l’immersion du raver dans la musique, on est
brusquement coupé de l’environnement perceptif antérieur. Le bruit accapare
l’appareil sensoriel en mobilisant l’ouïe, mais aussi le toucher (on ressent le son par
le corps) et provoque un déconditionnement. Cette présence physique du son
reconditionne le raver à une expérience onirique. […] Le continuum bruiteux de la
rave est fondé sur l’absence de silence. » 85
« Ce que j’aime avec les répétitions, c’est que l’auditeur est entraîné et plongé
dans une ambiance de sécurité factice […] »86
· Mix, live, sound-system
Définissons maintenant les médias propres à diffuser cette
musique : le mix, le live, le sound-system.87
o Le mix
Le Dj mixe des disques de façon à créer un continuum sonore,
mais ne se limite pas à fondre la fin d’un morceau dans le début de celui
qui suit. Les sons des deux disques sont tuilés pour former un troisième
morceau qui n’est pas la somme des deux mais une création où on ne
distingue pas les morceaux originaux. Les disques sont utilisés
quasiment comme des banques de sons et les platines comme des
instruments à part entière. L’action la plus fréquente du Dj consiste à
85 Grynszpan Emmanuel, Bruyante techno, op. cit. , p.47
86 Scanner, compositeur de musique électronique, pour Bruyante techno, op. cit. , p.101.
87 Ces définitions ont pour support le travail d’Emmanuel Grynszpan dans son livre Bruyante techno, op. cit. ,
p68-69 et 81.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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jouer avec les pitchs des platines, soit pour adapter les rythmes d’une
platine à une autre, soit au contraire pour produire des collisions
rythmiques. Le Dj dispose aussi d’une table de mixage qui lui permet de
jouer sur la diffusion stéréo et sur les filtres.
« Pour nous les morceaux ne sont pas une fin en soi. On les
manipule, on les travaille de l’intérieur, on les greffe, on les dégrafe. On
les mélange, on laisse les sons retomber, tantôt pluie, tantôt bourrasque,
agate ou givre. C’est aussi un feeling, je veux dire quand l’empreinte
digitale râpe sur les microsillons, tu ressens le son. Tu es dans la chair du
son. Tu voyages dans le son. Enfin, tu as plusieurs chemin. D’autres
mixent pour ne pas perdre le rythme, l’effet du rythme. Ils passent d’un
morceau à l’autre en prenant bien soin de les caler, c’est à dire que le
rythme des deux disques s’accordent. Ils synchronisent les sons. Jamais
on ne doit ressentir le moindre blanc, la plus infime fêlure. On peut les
qualifier de styliste du rythme. Chacun met un peu de sa couleur dans le
son, change les couleurs du son. »88
o Le Live
L’expression anglaise ‘’live-act’’ signifie jeu en temps réel ou
en direct. Le live, à la différence du mixe, peut se jouer à plusieurs, en
général un à trois musiciens. Les sons sont enregistrés au préalable,
c’est à dire que les échantillons sont déjà mis en boucle, et ajustés au
moment du direct. Il s’agit alors de ré-assembler les sons préexistants et
de les travailler à partir des potentiomètres. Par rapport au mixe, le
matériau est moins homogène, le risque plus important. Si le live permet
d’accéder à une forme plus riche et cohérente, la difficulté est d’assurer
un travail rythmé permettant à l’ensemble de « décoller », d’emporter le
public dans la danse.
88 Ristat Jean, Un voyage d’idée [entretient avec Jérôme Pacman], Digraphe, no68, Paris, Mercure de France,
pp.62-63, cité par Bruyante Techno, op. cit. p.68
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Le sound system
A l’origine, l’expression anglo-saxonne ‘’sound system’’
désigne l’équipement utilisé par les amateurs jamaïquains de dub et de
reggae lorsqu’ils organisent des fêtes, qui peuvent à plusieurs titres être
considérées comme les ancêtres de la Free party. Le sound-system
permet de diffuser une musique sur support préenregistré à une
puissance sonore suffisante pour satisfaire une foule en plein air. Il se
compose de platines (ou du matériel nécessaire à produire un live), de
table de mixage, d’amplificateurs, d’enceinte et d’un groupe électrogène.
Car il se doit d’être autonome et mobile... Les enceintes font quasiment
l’objet d’un culte (leur formes impressionnantes sont représentés sur les
flyers). Le danseur n’aime rien autant que de se sentir tout petit face à
une muraille d’enceinte, là où le son devient palpable, traverse le corps.
L’enceinte est devenue un instrument musical, visuel, focalisant
l’attention du danseur.
II.II.II. Réflexion sur le son de la Free Party
· Ni starisation, ni discours
En free party, le nom du sound system organisateur passe au
second plan derrière la musique. Les musiciens sont hors de vue du
public, derrière les enceintes. Le spectacle dans la free party ne vient
pas du musicien. Le public est mis en position d’altérité.
L’absence totale de discours fondateur dans le mouvement tekno est
surprenante lorsqu’on constate la constance dans l’organisation des
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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pratiques festives. Le rejet du verbal est d’ailleurs une caractéristique
majeure de ce mouvement, et un fait inédit dans la culture populaire du
XXème siècle. Les commentaires sur la musique sont rares, laissant la
place libre à des interprétations marquées par des idéologies très
contestataire posées sur le mouvement tekno.89
« Qu’importe l’imperfection de nos langages si nous sentons et faisons
sentir profondément l’infinie puissance d’une unique évolution qui nous
emporte, nous et nos créations, qui sont comme une chair dans notre
chair »90
· Tekno, musique « cruelle »
Marc Stormcore définissait le son de la Free Party dans une
perspective idéologique, qui peut-être rapproché de l’épigraphe de Hegel
« Car dans l’art, nous n’avons pas affaire à un jeu simplement agréable et utile,
mais… au déploiement de la vérité. »91
Ce même idéal esthétique, propre aussi à la démarche de certains
dans le milieu du nouveau cirque, se retrouve chez différents acteurs du
mouvement : « Vive la musique d’éveil ! »92. « La techno lave le réel à grands
coups de décibels de sa fausse apparence et nous la restitue sous son véritable
aspect. »93. Cette musique, à l’instar du bruitisme, peut elle aussi être considérée
comme la reproduction de « la trépidation de notre vie quotidienne en ce qu’elle a de
superficielle et de gênant.»94’95
Le son de la Free Party doit être alors perçu comme un écart à la
norme commerciale, comme une transgression.
89 voir Bruyante techno, op. cit. , p.34-35
90 Lafitte Jacque, Réflexions sur la science des machines, (1932), Paris, Vrin, 1972, p.115, cité dans Bruyante
techno, op. cit. , p.87.
91 Hegel, Esthétique, Epigraphe, Le livre de poche, classique de la philosophie, Paris, 1997.
92 La Peste, entretien pour le fanzine Résonance, Cornebarrieu, no2, 1998
93 Professeur diabolique, Tekné, in Coda magazine, no2, juin 1993, p.37
94 Lista Giovanni, [préface] in Russolo Luigi, L’art des bruits, [1913], Genève, L’Age de l’Homme, 1979,p.17
95 Ces trois dernières citations sont tiré de Bruyante techno, op. cit. , p.38-39.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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« En figure inversée de [la] canalisation politique, souterraine, et
pourchassée, une musique subversive s’est toujours maintenue ; une
musique populaire, instrument de culte extatique, dépassement de la
violence non censurée : rite dionysiaque en Grèce ou à Rome, auquel
s’ajoutent d’autres cultes venus d’Asie Mineure. La musique y est le lieu
de la subversion, transcendance du corps. En rupture avec les religions et
les pouvoirs officiels, ces rites regroupent, dans des clairières ou dans
des grottes, des marginaux : femmes, esclaves, immigrés. La société les
tolère parfois, ou essaie de les intégrer à la religion officielle, mais de
temps en temps, les réprime très brutalement. »96
Rappelons que la Free Party est un évènement qui ne fait que se
revendiquer lui-même. Elle n’est que le désir de ‘’faire la fête’’, elle ne se
définit pas contre quelque chose (la société), mais à côté… et de
manière temporaire.
· Principes de création
Certains acteurs du mouvement se considèrent comme les
’’éboueurs’’ de cette société (au-delà d’ailleurs de la création
artistique..) : « Le hardcore utilise tous les sons rejetés par les autres.»97
Il y a volonté de réappropriation, de recyclage de la part de ces artistes :
On ‘’sculpte’’ un son samplé, on construit une boucle….
« Il n’y a pas de différence esthétique entre une guitare et un synthétiseur ou
une boite à rythme : ce sont des outils de production du son. Le sampler est d’une
nature différente : c’est un outil de reproduction de son, mais dont la finalité n’est pas
la fidélité. C’est la rupture majeure des nouvelles musiques : faire d’outils de
reproduction (sampler, platines) des vecteurs de nouvelles productions. »98
Et à certain alors de comparer le sampler à un ready made99…
96 Attali Jacques, Bruits, Paris, PUF, 1977, pp .27-28, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p .41
97 Bruyante techno, op. cit. ,
98 Tordjman Gilles, Sept remarques pour une esthétique du sample, in teknikart, no20, mars 1998, p.58, cité par
Bruyante techno, op. cit. , p.82.
99 ‘’objet d’art fait d’une réunion d’objets naturels sans aucune élaboration’’
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Il y a volonté de cacher l’origine du son, de le faire accéder à sa
propre autonomie : « On chope sur le sampler trois notes de piano, on les met à
l’envers, on les retourne à l’endroit. Ce ne sera plus un son de piano. »100
L’échantillonneur laisse son empreinte sur le son…
Les musiciens techno, souvent autodidactes, ont une démarche qui
favorise une recherche intuitive et ludique, sans avoir la prétention de
connaître l’ensemble des capacités de leur machine (comme c’est le cas
pour la musique savante…). La découverte se fait pour la plupart au gré
d’évènements fortuits.
« J’aime bien les trucs accidentels dans la musique, les sons qui ne sonnent
pas bien, qui ne sont pas dans le rythme. Quand la machine se plante, il se passe
des choses intéressantes ! Et puis j’essaie de capturer mes instants de spontanéité ;
je ne veux pas que ce soit figé. »
Il y a donc volonté de laisser travailler le ‘’bruit’’, de laisser surgir un
son inouï, mystérieux, et sur lequel le contrôle du créateur n’est pas
total. Dans sa volonté de dominer à tout prix la machine, l’homme révèle
sa fascination et sa crainte d’être tout petit devant elle. Loin de
l’influence cartésienne (‘’Nous rendre maître et possesseur de la nature’’), les
musiciens tekno se laissent volontairement dévorer par la machine,
« acceptent et jouissent de ses pouvoirs contre-nature, en premier lieu de la
régularité obsessionnelle ».101
Et cette hégémonie du son, le caractère totalitaire qui lui est
accordé, fait que fondamentalement le mouvement tekno ne peut
donner une image décente de lui-même. Il n’y a pas recherche à être
politiquement correct, mais au contraire, la Free Party pose des
100 Ristat Jean, Un voyage d’idée, op. cit. , p.82
101 Grynszpan E., Bryante techno, op. cit., p.86
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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questions aussi importantes que le contrôle du destin individuel (et de la
responsabilité de chacun au-delà des lois), et du droit au plaisir.
Le mouvement tekno brise les frontières entre production et réception,
en affirmant que cette pratique est à la portée de tous, mais surtout en
organisant des événements où le public ne se comporte pas (du moins
initialement…) comme un consommateur, mais comme participant
privilégié du spectacle.
« Globalement, il semble qu’il y ait une atténuation du clivage scène/salle.
La situation s’apparente davantage à celle d’une fête qu’à celle d’un
spectacle ou d’un concert ».102
La vision de l’artistique en Free Party se caractérise donc ainsi :
· Le membre d’un sound system est au service du son, il n’y
a pas de starisation.
· Le verbal est relégué aux portes du Dance floor
(impossibilité du public à s’exprimer par la parole devant un
sound system), le discours politique ou social est rejeté (le
discours véhiculé en Free n’engage que son auteur) : la
Free ne se revendique qu’elle-même.
· Accepter de se faire dominer par la machine, signe comme
révélateur du rapport institué avec la nature.
· Le public est non considéré comme un consommateur,
mais comme un acteur.
102 Racine Etienne, le Dj : un acteur musical d’un nouveau type ? , La musique techno – approche artistique et
dimension créative, Le confort moderne, Poitiers, 1998, p.58
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Partie III :
Tentative de rapprochement
Du cirque et de la Free party.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Nous avons donc fait un tour d’horizon des deux univers que nous
souhaitons réunir : le cirque et la Free Party. Dans ce chapitre, il s’agira
maintenant de rendre évidente la rencontre de ces deux arts.
Pour cela, nous allons présenter un certain nombre de tentatives
de rencontres et leur limites, qu’elles soient à l’initiative du cirque ou de
la Free party. Ensuite, les fondamentaux extraits du cirque et de la Free,
serviront à confronter ces deux arts pour en faire ressortir les
caractéristiques communes. Enfin, nous présenterons une proposition de
combinaison à la lumière du travail de Nietzsche, telle que saisie dans
La naissance de la tragédie.
III.I. Exemples de rencontres de la techno et du cirque
Cirque et techno, ou parfois simplement leur état d’esprit, se sont
déjà rencontrés. Nous allons donc présenter un certain nombre de ces
expériences, leurs réussites et leurs limites, quelles soit initiées par l’art
vivant ou le mouvement tekno.
III.I.I. Rencontres initiées par l’art vivant
· Archaos
Nous avons déjà évoqué le travail d’Archaos, qui invoque par l’Art
du chaos ‘’un devenir cirque du monde’’. Cet univers punk et
carnavalesque fustige par un flux nerveux d’images choc notre société
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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de consommation, et fait tenir à la machine le rôle revenant
traditionnellement à l‘animal sauvage. Remarquons que ce cirque et la
free party sont nés à la même période (fin 1980), et ont su tous deux très
bien cristalliser dans leurs arts respectifs cet esprit de ‘’l’effondrement du
Mur’’. C’est sans doute pourquoi ces deux univers ont tant de points
communs (les artistes d’Archaos connaissaient l’univers de la Free party
et vice-versa).
Nous avons aussi présenté le travail de Zingaro, sa recherche
liturgique d’un monde d’avant le passage de l’homme, où les spectacles
tiennent autant du rituel que de la représentation.
A partir des axes de recherches que Cahin-Caha s’était déterminé,
nous avons supposé que l’on pouvait considérer la réflexion de cette
compagnie comme le mélange habile des problématiques d’Archaos et
de Zingaro: La place du sacré et l’orchestration du chaos.
Que ce soit par leurs esthétiques, leurs valeurs ou leurs thèmes,
ces compagnies, parce qu’elles sont aussi sensibles à la question de la
cruauté, peuvent être affiliées à la free party.
Archaos en 1994 a poussé encore plus loin la ressemblance dans
son spectacle Game Over. C’était une espèce de gigantesque opéra
techno (‘’une grande messe électro totalitaire’’…), où l’ambiance
générale était celle d’une rave, avec une esthétique punk, qui à grand
renfort d’images multimédias, critique une société de l’image à la
Bigbrother où les individus se réfugient dans les jeux vidéo et la rave…
Au niveau musical, le spectacle est décrit comme « un voyage dans
la musique, de son âge baroque jusqu’à aujourd’hui, de la techno industrielle mêlée
d’une jungle tranquillement novatrice, fluide invisible et omniprésent de la
représentation.»103
103 Dossier de presse d’Archaos, centre de documentation d’HorsLesMurs, op. cit.
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Cette création est plutôt à la rencontre de la rave commerciale et
du cirque, que d’autre chose. La musique est ici uniquement illustrative,
sert un propos, qui plus est dépréciatif vis à vis de la techno, présentée
comme déshumanisante, asservissante.
Cette expérience n’est pas encore la rencontre recherchée puisque le
public assiste ‘’passivement’’ à la représentation.
· La Fura del Baus
La Fura del Baus est une compagnie de théâtre espagnole née en
1981. Ils ont, semble-il, fait des performances en rave party.
En 1990, ils ont présenté un spectacle dont l’histoire était ici aussi celle
d’un Bigbrother multimédia despotique. Notre intérêt pour ce travail vient
du rapport établi avec le public. La représentation avait lieu dans un
hangar nu, où étaient justes disposés les arêtes d’une structure
métallique rectangulaire sous laquelle était placé le public, debout. Les
personnages évoluaient sur la structure ou parmi le public, qui pouvait se
faire ‘’foncer dessus’’ par des engins motorisés, ou éclabousser par on
ne sait quel fluide de provenance corporelle. La musique punk, était
jouée en live sur une scène mobile traversant la foule. Tout le travail de
cette compagnie tient à la saturation par l’image qui s’impose alors
comme élément autonome, la récupération (esthétique punk …) et la
proximité physique, voire la mise en danger du spectateur, (ou son
simulacre…), obligé de sortir de son rôle habituel de ‘’regardeur’’..
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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III.I.II. Rencontres initiées par la Free Party
Le caractère expérimental de la tekno lui a déjà permis de goûter
aux plaisirs du mélange d’autres arts avec la musique.
La projection de performances vidéos de part et d’autre du sound
system est un procédé usuel. Il y a d’ailleurs analogie entre la
construction d’un live vidéo et celle d’un live musical (on sample, on
boucle, on juxtapose…). Il y a souvent volonté de conférer une
atmosphère à l’arène, par l’utilisation de jeux de lumière rudimentaire
type boîte de nuit, et d’éléments plastiques comme des tentures et des
sculptures à l’esthétique ‘’tribale’’.
Evidemment, la foule s’adonne à la danse, mais l’art de rue est
aussi présent en Free party : systématiquement, des membres du public
contribuent à l’atmosphère de la soirée en faisant spontanément du
jonglage de feu au rythme de la musique (avec des torches, des
chaînes, des cordes, du bâton ou en le crachant).
Au-delà de ces quelques exemples qui sont fréquents dans toute
Free Party qui se respecte, des sounds systems ont travaillé à un
rapprochement plus en profondeur avec l’art vivant.
· La mutoid Waste Compagny
La Mutoid Waste Compagny est un collectif d’artistes anglais issus
des années 80. En précurseur de leur genre (avant Archaos ou la Fura
del Baus), ils sont définis comme « sculpteurs sur métaux usagers et
assembleurs d’engins abandonnés. Réutilisant les rebuts de la société moderne,
transformant les déchets pour célébrer le millénaire, avec toute l’iconographie post-
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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apocalyptique de Dan Dare et de Mad Max […].»104 Ces structures sont utilisées
comme support à leurs performances.
Ils se sont associés à partir du début des années 90 avec la Spiral
Tribe pour conjuguer leurs arts :
« Sur le site d’Hostomice en Tchéquie, on aperçoit un Mig, avion de
combat russe de la deuxième guerre mondiale, monté sur une remorque.
Des véhicules militaires dont les roues sont plus hautes qu’un homme,
sont regroupés tout autour. Dans une large cage de trois mètres de haut
pend une créature de métal dont la tête soudée se tord vers le ciel dans
un rictus à la Bacon. Dans la confusion nocturne, les lasers trouent la
poussière stagnante. Les mutoïds traversent la foule hurlante dans une
voiture déconstruite équipée d’un chalumeau qui crache des flammes à
travers le pare brise, et entouré de cracheurs et de jongleurs de feu.»105
La Mutoid Waste Compagny fut la première à présenter sculptures
et performances en free, et elle semble aujourd’hui ‘’indépassable’’.
· Cirkus Road System
La compagnie Cirkus Road System est un collectif d’artistes
français dont la recherche est la liaison des arts de la rue à la scène
électronique. Ils proposent des spectacles dont la composante
essentielle est la pyrotechnie, relevées de performances circassiennes
et vidéos. C.R.S a déjà collaboré avec de nombreux sounds systems.106
104 L’intégral de ce texte est disponible en annexe à la page.. (photos sur le site d’Alan lodge :
www.tash.gn.apc.org)
105 Idem
106 voir site internet www.cirkusroadsystem.org
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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· Desert storm sound system
Desert storm est un sound system anglais107, sous chapiteau, qui
rassemble musiciens et performers. Ils organisent des free party et des
teknivals, mais ont délaissée la musique tekno pour le break-beat (et la
drum’n bass, le ragga, le hip-hop…). Il y a un an, ils ont fait appel à
toutes personnes souhaitant partager leur expérience (artistes de cirque,
musicien, régisseur…), les invitant à rejoindre leur structure afin de
fonder un véritable cirque. Nous n’avons pas eu écho depuis de la
poursuite de leur travail.
Ces trois exemples ne prétendent pas à l’exhaustivité, mais à
pointer l’intérêt que les acteurs de la Free party portent à l’art vivant en
général, et au cirque en particulier. Par parenthèse, on notera que le
mouvement punk avait déjà repris à son compte la figure du clown…
Nous considérons par contre qu’aucune de ces aventures n’a produit le
travail de création nécessaire à l’invention de cette nouvelle forme
artistique qui nous occupe.
Archaos et la fura del Baus utilisent à merveille l’esthétique punk
qui est celle de la free party. Mais lorsque le cirque de caractère se
laisse tenter par la techno, il ne l’utilise que de manière illustrative. La
recherche sur le rapport au public de la Fura est particulièrement
intéressante, mais la compagnie a cessé depuis longtemps son travail
des arts de la piste, pour se consacrer au théâtre, et n’utilise pas a priori
la musique électronique.
107 Voir site : www.network23.org/teknocircus
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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La Mutoïde Waste Compagny a fait un travail de débroussaillage
exceptionnel dans la rencontre de la Free avec l’art vivant, mais son
envie de création ne semble pas dépasser la performance.
Ce n’est certainement qu’une question de temps pour que C.R.S
ou Desert Storm proposent une création aboutie…
III.II. A la convergence du cirque et de la Free Party
Nous allons confronter les caractéristiques des deux univers artistiques
qui nous intéressent pour définir les champs artistiques ou culturels
qu’ils investissent conjointement.
III.II.I. Champ culturel commun
· Art nomade
Le point commun le plus évident entre le Cirque et la Free Party
est l’itinérance. Les new-age travellers, qui ont initié le mouvement
alternatif tekno au nomadisme, sont issus des années soixante-dix et
véhiculent donc cette image de l’art nomade comme symbole de la fête
et de la marge. Le périple déjanté des Merry Pranksters à travers
l’Amérique crée des vocations… La Free party, en épousant le
nomadisme a absorbé un certain nombre de ces valeurs. Elle peut être
considérée comme une conséquence tardive de la vague de renouveau
qu’ont connu le cirque et les arts de la rue vingt ans auparavant.
Les caractéristiques du nomadisme que nous avons déterminées à
partir de descriptions de fondamentaux circassiens sont, selon nous,
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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transposables à l’ensemble des sounds system tekno, de par leur place
évidente dans la famille des arts nomades.
Du fait de leur fonction commune consistant à accueillir la vie et
l’art en tout lieu, on peut assimiler les cercles concentriques des
campements circassiens et tekno : les roulottes sont remplacées par les
camions, posés en cercle et formant l‘arène (on notera la référence aux
jeux romains…), l’équivalent du chapiteau, la toile en moins. Dans cette
enceinte, la piste de danse se superpose à la piste de cirque, délimitée
dans le fond par le sound system, derrière lequel se ’’cachent’’ les
musiciens. La différence réside donc dans l’inversion de la place entre
public et artistes.
Le cirque moderne et la free party sont tous deux nés en
Angleterre, ont ensemencé l’Europe occidentale puis le reste du monde,
avant d’être durement affectés par leur propension au gigantisme.
o Rapport à l’institution
Nous affirmons que l’art des tekno-travellers se caractérise par sa
construction en parallèle de ‘’l’art institutionnel’’. La free party a été
définie comme rejetant le ‘’tout consumériste’’ de notre société. Les
notions de ’’ zone d’autonomie temporaire’’, ou de ‘’Do it yourself’’
expriment clairement sa position vis à vis de l’institution artistique ou de
la société du spectacle. Il y a volonté de fracture avec le rapport habituel
qu’entretient l’art vivant au public, par la volonté de refuser de mettre ce
dernier dans une position de consommateur, en le hissant au rang
d’acteur de l’événement.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Mode de vie
L’abolition des frontières entre l’art et la vie est d’autant plus marquée
chez ces artistes en raison du caractère illégal de ces rassemblements
et du refus de beaucoup à considérer le ‘’boom-boom ‘’ – désignation
connotée de la pulsation- comme de la musique. Le choix d’un mode de
vie et de création confondus rejoint ensuite la volonté de non starisation
de l’artiste, du nomadisme considéré comme une idéologie.
o Rapport au sédentaire
L’inquiétude et la fascination que ce mouvement engendre chez le
sédentaire sont flagrant, quand on voit l’effervescence médiatique et la
position extrême du Ministère de l’Intérieur (la free party est une
nuisance sociale..) qu’engendre le moindre de ces évènements d’une
part, et de l’autre l’énorme engouement d’une génération pour ce
phénomène désormais ‘’de masse’’. Le mythe de la liberté fait peur et
attire d’autant plus lorsqu’il revêt les atours sulfureux de l’illicite.
On peut rapprocher le discours de Patrick Bouchain, architecte et
scénographe, sur l’utilisation de l’espace public délaissé et la gratuité de
celui de Manu le malin, musicien de tekno hardcore, sur l’investissement
et la réhabilitation d’espace industriel en friche. Les propos que nous
avons rapportés de Napo, constructeur de structures circassiennes et de
Bruno Tackels, chroniqueur de l’art vivant, sont similaires à ceux que
défend la T.A.Z. Ce rapprochement est encore plus évident lorsqu’on
s’intéresse au point de vue de petites structures. Ainsi le directeur de
Circum Circo : « La pérennité ne se construit que sur l’autonomie. Le cirque
traditionnel ne mourra pas, il s’autofinance. Les questions de durée ne traversent
que ceux qui sont aidés.» 108 Do it yourself…
108 Bisaro Xavier, Art de la piste N°24, op. cit. , p.33.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Individu et collectif
Le questionnement sur la place de l’individu dans le collectif, passe
par cette volonté du membre de la tribu d’être au service du soundsystem,
de n’être qu’un ‘’soldat du son’’ (anonyme) afin que se dernier
‘’ne s’arrête jamais’’. Cette question se pose aussi lorsque sur le
Dancefloor, la tekno s’amuse à troubler les sens, qu’il y a dilution de la
frontière entre soi et le reste de la communauté de danseurs enrobés
dans le son. La question du collectif se reflète donc ici aussi dans la
pratique de l’art même.
Un sound system a besoin d’un groupe pour exister, mais la
création artistique est essentiellement musicale (parfois plastique), et
donc le fruit d’un travail souvent personnel (à l’exception du live ), qui
pour émerger n’a pas à se confronter aux différents aspects de la
création collective. La réflexion du nouveau cirque sur cette notion
pourrait certainement nourrir efficacement les sounds systems.
· Art populaire
Ce deuxième point de convergence questionne le concept d’art
populaire. Pour interroger cette notion, nous nous appuierons sur
l’ouvrage de Mikel Dufrenne, Art et Politique.109
Ce philosophe de l’esthétique définit ainsi l’art : « La vérité de l’art, par
quoi l’art est vrai, c’est le pouvoir de révéler ce que le savoir ne peut maîtriser, un
certain visage d’un monde ‘’non administré’’, comme dirait Adorno, où l’imaginaire
célèbre ses retrouvaille avec le réel. » 110
Certains des éléments qui caractérisent l’art populaire et font se
rencontrer le cirque et la Free party recouvrent des notions abordées
précédemment, notamment dans son rapport à l’institution.
109 Dufrenne Mikel, Art et politique, Christian Bourgeois, coll.10/18, Paris, 1974.
110 Idem p.9
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Utopie
Ce que l’Utopie de l’art populaire selon Dufrenne « annonce et
amorce, c’est […] l’éclatement de l’institution : La mort d’un certain art lié à
l’institutionnalisation, mais non la mort de tout art. »111 […] « Loin de renier l’art, elle
s’emploie à lui restituer, au prix de mutations profondes, un sens et une fonction qui
lui ont sans doute originellement appartenu […].»112
« Si un art nouveau doit apparaître un jour, ce sera un art parallèle, un
contre-art »113 .
Rappelons que la T.A.Z est une insurrection qui, elle, n’est pas
directement tournée contre l’Etat.
Pour réconcilier La T.A.Z à l’art populaire, on émettra l’hypothèse
que, à l’aune de l’Utopie, elle est propre à accéder au statut d’oeuvre
artistique : « Et pourquoi n’étendrait-on pas le concept d’art à tout ce qui, accompli
par l’homme est beau : non seulement des produits mais aussi des actes »114.
o Rejet de l’inféodation à l’idéologie dominante.
Le cirque et la free party refusent tout discours d’ordre politique ou
social et ne se revendiquent qu’eux même : « L’opération qui aliène l’art est
analogue à ce qu nous avons appelé son idéologisation. Elle consiste à isoler et
mettre en représentation l’oeuvre et accessoirement l’artiste »115 […] « en sorte que
l’art demeure à la fois un monopole et un divertissement ».116
111 Idem, p.232
112 idem p.233
113 Idem p.238
114 Idem p.242
115 Idem p.236
116 Idem p.238
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o La fête
La fête se retrouve dans le cirque et la Free comme espace de
jubilation et de plaisir, en rupture avec l’ordre du quotidien. Dufrenne la
définit ainsi : « Dans la société archaïque, l’action où l’objet s’accomplit en
s’esthétisant, c’est la fête »117
« [La fête] n’est pas nécessairement le règne de la terreur dans la
destruction, hors-rite, elle est retour à l’originaire, où la mort et la vie le
mal et le bien s’échange, mais ce retour est aussi ressourcement, et c’est
pourquoi la fête a des échos. Dans cette expérience, de même que les
valeurs et les définitions basculent entre le réel et l’imaginaire […] »118
« Ainsi, l’art pénètre-t-il profondément ces sociétés : Autant que de
subversion, il est principe d’intégration. En quoi il s’oppose à l’art
institutionnalisé que nous connaissons […] »119
o Rapport au lieu et au public
Définir l’art hors des lieux institutionnels où la société moderne l’a
enfermé ( ce que Dufrenne appelle « autonomisation de l’art ») importe
autant à l’art nomade qu’à l’art populaire : « Que l’on songe à l’importance des
lieux où les oeuvres sont produites et où elles se produisent »120
La recherche d’un rapport autre au public est imaginé comme « le
spectateur dans la fête qui devient acteur à son tour, comme certains
metteurs en scène rêvent que le spectateur soit provoqué par le jeu des
acteurs et participent à la représentation. »121
Aux vus de ces nombreuses correspondances, nous pouvons
suggérer que l’art nomade est un art populaire.
117 Idem p.234
118 Idem p.235
119 Idem p 235
120 Idem p245
121 Idem p 254/255
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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III.II.II. Champ artistique commun
Au delà de ce mode de vie et d’idées partagées, cirque et free
party ont des mécanismes et des éléments de leur contenu artistique en
commun.
· Notions mises en jeu
A priori, c’est l’image d’Épinal du cirque nomade, son chapiteau, sa
piste, qui peut travailler la free party, et non ce cirque contemporain né
de la conceptualisation des Arts de la piste.
o Sémiotique
La free party et le cirque traditionnel partagent leur indifférence pour le
sens et la représentation, leur préférant le signe et la ‘’présentation’’.
« L’art ne truque pas plus le réel qu’il ne l’imite. S’il y a mise en scène, c’est pour
produire la présence, non la représentation »122
o Mécanismes de construction
Le spectacle de cirque traditionnel et la musique techno ont des
caractéristiques de construction commune (juxtaposition séquentielle et
crescendo pour la structure ‘’dramaturgique’’, avancées par ellipses par
enchaînement de courtes séquences bouclées sur elle-même…).
Il semblerait que le crescendo d’un numéro de cirque et une ‘’montée’’
dans la musique techno cherchent à procurer au public le même effet
libérateur.
122 Idem p.111
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Fond et forme
Le cheminement cahin-caha du chapiteau nomade, constitué toujours du
même mouvement de montage et de démontage, trouverait idéalement
dans la musique techno, en raison de sa nature répétitive, son pendant
pour qu’enfin fond et forme puissent s’accorder.
o Conception de la musique
La ‘’musique de cirque’’ (traditionnel) et la musique techno sont
considérées comme bruyantes, elles portent à considérer le silence
comme une fêlure, et aiment à envelopper, unifier son public.
o Vision du monde
Comme la figure du cercle dans le nouveau cirque, la forme
répétitive de la musique techno ramène l’homme à l’absurdité de sa
condition et à l’acceptation de ses limites (nous sommes à l’inverse du
travail sur la ‘’montée’’…). Se laisser dominer par la machine (et se
laisser tenter par une forme d’ ‘’animisme mécaniste’’), ou refuser de
dompter l’animal sauvage, relève de la même conception de la place de
l’homme dans la nature.
Le point de vue de Roméo Castellucci123 offre une perspective sur
cette question:
« L’animal et les machines sont totalement indifférents à la scène. Ils ont
leur propre vie. Ce sont des éléments de désordre. Les machines sont
terrifiantes pour cela. Elles croissent en même temps que l’on perd le
geste, C’est ça aussi la révolution industrielle, la perte du geste. Des
savoirs millénaires sont remplacés par les machines alors que naissent
123 Metteur en scène de la compagnie théâtrale italienne SocietasRaffaello Sanzio qui « depuis vingt ans fabrique
pour la scène d’incroyables fééries […], véritable renouveau dans l’art de la scène » ( Bruno Tackels,
www.spechgesang.net).
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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les études anthropomorphiques sur le geste, ce qui prouve qu’on
commence à perdre la conception du geste. Le geste humain aujourd’hui,
est vide. C’est la machine qui fait les gestes… les machines ont une
capacité psychique qui est l’âme (mentalité animiste des enfants). Sur la
scène, cette énergie psychique est réintroduite avec un point de vue
esthétique. Idem pour l’animal. »124
o Métaphysique
L’art nomade s’exerce dans un espace qui dilue les frontières entre
le dedans et le dehors. Paradoxalement, il crée l’illusion d’un cocon
fédérateur, où s’épanouit un temps en dehors du temps (le chapiteau est
un ventre, un espace amniotique, les sons techno rappellent ceux qui
nous entouraient avant notre naissance…)
Ils ont enfin en commun
· La remise en question du langage verbal au profit du corps.
· La volonté de présenter une vision crue de la réalité.
· La quête des origines : Le cercle et la spirale sont tous deux dans
une recherche d’essence métaphysique.
Ces derniers éléments en font des arts pouvant revendiquer leur filiation
avec le théâtre de la cruauté d’Artaud.
· Le théâtre de la cruauté comme fondement artistique commun
Nous ne nous risquerons pas à étudier ce texte fondateur d’Artaud, mais
nous pouvons prétendre à la mise en évidence, en citant différents écrits
parus dans le hors série d’Artpress sur le cirque et l’essai de Grynspsan
sur la musique industrielle, de la filiation artistique entre le cirque et le
son de la Free Party, dont l’ascendant commun est le happening.
124 Castellucci, Art press N°20, op. cit., p.69
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Cirque et théâtre de la cruauté
« Artaud en 1948, définit une visée très proche de celle des arts du
cirque, de leur expérience du risque, de la mort, de l’obligation de se
forger un corps à la mesure du danger de ce ‘’théâtre de sang, un théâtre
qui […] aura fait gagner corporellement quelque chose’’. On aura compris
que cette anatomie de la cruauté allait connaître une descendance chez
ceux pour qui le théâtre, mais aussi la danse, devaient aller aux limites de
l’être humain.[…] [L’émission radiophonique d’Artaud] Pour en finir avec le
jugement de Dieu – interdite après guerre – va résonner souterrainement
chez ceux qui veulent ‘’réintroduire sur scène un […] souffle de cette
grande peur métaphysique.’’ Tout d’abord, il faut trouver un art qui soigne
le mal par le mal, qui accède au nerf du système. Artaud en est le
précurseur, il annonce ce théâtre de cirque que nous connaissons
aujourd’hui. Il parle de l’acteur comme d’un ‘’athlète’’ doté d’ ‘’un véritable
langage physique à base de signe et non plus de mots’’, et ceci dont le
théâtre est la science : ‘’Le théâtre m’est toujours apparu comme un acte
dangereux et terrible.’’[…] Le cirque, les arts forains, la pantomime,
l’usage des mannequins allaient être un matériau pour atteindre ce
‘’théâtre de la cruauté’’. C’est de la fusion de la théâtralité avec les arts du
corps et du geste, que naît ce nouveau type de cirque-théâtre […] »125
o Happening et cruauté
« Susan Sontag notait que dans le théâtre et son double d’Artaud, on
pouvait relever trois caractéristiques essentielles des happenings :
l’objectivation ou dépersonnalisation des personnages, l’importance
accordée au visuel et au bruitage, au détriment du langage, une volonté
d’éprouver le langage.126 On ajoutera le déni de la représentation au profit
de l’acte efficace dont le rituel est le modèle. »127
125 Ciret Yann, A natomie de la cruauté, in Artpress N°20, op. cit. , p.62-63.
126 Susan Sontag, L’oeuvre parle, Seuil, 1966.
127 Pencenat Corinne, Du théâtre du monde au cirque du monde, in Artpress N°20, op. cit. , p.71.
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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o Musique industrielle et Free Party
Les membres de la Spiral Tribe considèrent que la musique industrielle
(et plus particulièrement Genesis P-Orridge, membre du premier groupe
de musique industrielle, et l’un des premiers organisateurs de rave
illégale en Angleterre) a eu une influence majeure sur le concept de Free
party nomade et clandestine, ainsi que sur le son acid House.
o Présentation de la musique industrielle
« La musique industrielle est un courant musical issu des franges du rock
expérimental et du courant artistique baptisé ‘’happening’’, qui consiste à
exécuter des performances au lieu de présenter des oeuvres d’art finies.
Basé essentiellement sur une instrumentation électronique produisant une
musique agressive et dérangeante alliée à une critique radicale de la
société, la musique industrielle constitue un ‘’underground’’ irréductible.
Depuis l’apparition de ce courant à la fin des années 70, simultanément
au punk, l’écho n’a jamais affleuré à la surface des mass médias, ni son
audience dépassée un cercle de passionné discrets. Et pourtant, son
influence se fait plus perceptible à en juger par les fréquentes références
qui lui sont faites par des musiciens des horizons les plus divers.»128
o Musique industrielle et théâtre de la cruauté
« A la base du mouvement industriel, il y avait une intention presque
didactique d’exploration de soi et de la société. Dans son rejet du
conditionnement social, il y avait un souci d’informer le public sur une
situation d’oppression inacceptable qu’imposait la société à l’individu. Les
musiciens voulaient montrer la réalité telle qu’ils la percevaient par les
sons et les images. Pour cela, le mouvement industriel a cherché à se
créer une esthétique propre, et même si elle n’est jamais clairement
définie, on la retrouve chez tous les groupes. C’est une esthétique de
l’agression et de la violence dirigée contre le public. La révolte qui sous-
128 Grynszpan E., La musique industrielle, esthétique de la cruauté et ambiguïté idéologique,
www.zerez.free.fr/texte/indus/indus.htm
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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tend le mouvement industriel rejaillit en une violence symbolique, pour ce
qui est de la musique, et direct pour ce qui est des visuels. Cette violence
a plusieurs fonctions :
· Produire une forte impression sur l’auditeur pour qu’il soit dans tous les
cas réceptifs.
· La musique n’est pas uniquement un moyen d’échapper au réel, mais
au contraire de le rappeler avec la plus grande force.
· Affirmation d’une immanence de la violence dans tous les rapports
sociaux. La cruauté chez Artaud est la condition de la conscience.
· La fonction cathartique. Laisser s’exprimer la violence interne de
chaque individu, en provoquant une décharge libératrice lors du
contact, et qui soulagerait les tensions accumulées. »129
« L’esthétique industrielle s’appuie sur des thématiques et des matériaux
violents, choquant et transgressif, destinés à révéler ou à déclencher des
processus de pensée inhabituels chez l’auditeur, du moins si on compare
avec ce que suggèrent les musiques en vogues à l’époque. Le projet de
théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud apparaît nettement, non comme
une influence directe, mais comme un corpus théorique très proche des
réalisations du mouvement industriel »130
Nous considérerons donc le happening comme une tentative de mise en
application du ‘’projet’’ de théâtre de la cruauté d’Artaud. Ce mouvement
artistique à donc énormément influencé le renouveau du cirque et
l’esthétique naissante de la musique industrielle, cette dernière ayant
elle-même contribué à l’éclosion idéologique et artistique de la Free
party. Cet éclaircissement généalogique a pour but de justifier notre
emploi de la cruauté comme point de convergence artistique déterminant
entre le cirque et la free party.
129 Idem
130 Idem
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Nous avons trouvé de nombreux points de convergence entre l’art
circassien et celui de la Free Party : ils sont tous deux des arts
populaires et nomades, ils ont une vision artistique du monde en
commun qui est en grande partie assimilable a la conception du théâtre
selon d’Artaud.
III.III. Proposition d’une combinaison du cirque et de la
Free Party.
A la lumière de l’oeuvre de Nietzsche, La naissance de la
tragédie"131, nous proposerons une nouvelle forme artistique combinant
le cirque et la Free Party .
III.III.I. Dionysos et Apollon
La naissance de la tragédie, oeuvre de Nietzsche, présente une vision
dionysiaque du monde.
· Ivresse et rêve
Dionysiaque signifie : « un besoin d’unité, un dépassement de la
personne, de la banalité quotidienne, de la socialité, de la réalité,
franchissant l’abîme de l’éphémère ; l’épanchement d’une âme
passionnée et douloureuse et débordante en des états de conscience
plus indistincts, plus pleins et plus légers ; un acquiescement extasié à
la propriété générale qu’a la Vie d’être la même sous tous
changements, également puissante, également enivrante ; la grande
sympathie panthéiste de joie et de souffrance, qui approuve et sanctifie
jusqu’aux caractères les plus redoutables et les plus déconcertants de la
131 Nietzsche, La naissance de la tragédie, Librairie Générale Française, Paris, 1994.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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vie ; l’éternelle volonté de génération, de fécondation, de Retour ; le
sentiment d’unité embrassant la nécessité et la destruction »132
La tragédie fait la synthèse des mythes apollinien et dionysien,
comparés respectivement au rêve et à l’ivresse, deux états de
l’inconscience. Le rêve parle à « l’homme doué d’une sensibilité artistique »
qu’il fait accéder à une « vérité supérieur » à la « perfection".133
Opposé à cette sublimation, l’état d’ivresse dionysiaque, conduit à
une régression vers un fond commun indifférencié de tous les êtres.
Dionysos apporte cette croyance que l’ivresse permet à l’homme de
passer de l’humain au divin.134 Le dionysisme donne accès au « seul êtreje
vraiment existant et éternel, celui qui repose au fond même des choses »135, ainsi
qu’à ce que l’auteur nomme la Mère des choses. Quand nous atteignons
la région de l’être profond, nous oublions le monde empirique : les
barrières, les censures, les interdits disparaissent, et particulièrement les
limites qui séparent un individu d’un autre (mais aussi l’homme à la
nature), le principe d’individuation est sans effet. L’extase dionysiaque
est un passage privilégié vers l’inconscient collectif : « L’être humain
s’extériorise en tant que membre d’une communauté supérieur »136
Cette émotion communique à la foule l’impression d’être
« environnée d’une multitude d’esprits auxquels elle se sait intimement unie »137 ,
l’extase dionysiaque aboutit à la conscience d’une « vérité naturelle
authentique ».138
· La Free Party, une fête dionysiaque.
132 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.8.
133 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.12
134 voir Harrisson, Prolegomena to the study of Greek Religion, Cambridge University Press, 1903, pp.425, 449-
453, cité dans Nietzsche, , introduction, in La naissance de la tragédie, op. cit. , p.14.
135 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.15.
136 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.16.
137 Idem
138 idem
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Le but de l’amateur de soirées technos est de troubler ses sens,
d’atteindre l’ivresse par divers moyens. La musique techno est fondée
sur sa capacité de coercition, sa faculté à déconditionner son public,
pour l’amener dans son espace-temps particulier. Le talent de l’artiste se
lira alors dans sa dextérité à fédérer le dance floor, à guider l’errance de
l’entité dansante. La Free party, dans sa volonté de créer un espace
alternatif, l’envie de s’ouvrir, de découvrir ‘’la vérité’’, engage d’autant
plus à chercher à dépasser ce qui tient lieu de vérité à l’univers
empirique. Le caractère caché, illicite des rassemblements tend à souder
d’autant plus les individus. La quête clairement spirituelle du mouvement
se satisfait pleinement de la conception dionysiaque du monde.
C’est d’ailleurs dans ces notions d’espace de réalité autre et de
dissolution des frontières qu’il faut comprendre un espace/temps
commun à la Free Party et au cirque.
III.III.II. Création artistique
· La tragédie, dialectique des mouvements dionysien et
apollinien
Le retour au monde empirique, et au « mensonge de la civilisation »139,
s’accompagne de dégoût : l’art comme « expression non fardée de la vérité
peut faire dévier ce dégoût pour l’horreur et l’absurdité de l’existence en images avec
lesquelles on ne peut accepter de vivre.»140
L’artiste, tiraillé entre Apollon et Dionysos, touche le sublime du
bout de ses rêves, et se perd dans les obscurs contreforts de son âme,
confondue avec l’inconscient collectif auquel elle est unie.
139 Idem
140 Idem
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Ces états sont des énergies brutes, que l’artiste doit appréhender :
« nous sommes déjà les images et les projections artistiques du véritable créateur de
ce monde d’art »,141 par l’acte de création artistique « le génie se fond avec
l’artiste originel de l’univers, il pressent quelque chose de ce qui est l’essence
éternelle de l’art. »142
Selon la théorie nietzschéenne, Dieu est un artiste qui, en créant
des mondes, se débarrasse du tourment de sa plénitude et se délivre de
la souffrance des contrastes accumulés en lui-même. Le monde est la
rédemption de Dieu…
Nous sommes, tout comme l’existence et le monde, un phénomène
esthétique : l’art sans création n’est rien, car c’est la création artistique
qui replace l’homme à sa source. Le sens métaphysique est pour
Nietzsche ce qui fait comprendre l’homme comme créateur de son
monde.
La musique est l’art dionysien par excellence, le fait premier et
général de l’être invisible, combinaison de l’ivresse et du rêve. Ce
processus tient de la décharge et de la régénération de l’énergie
dionysiaque dans l’imaginaire apollinien. L’artiste joue de la mesure
( illusion ou vérité supérieur, sublimation) et de la démesure (vérité
naturelle, régression) comme d’une structure dynamique pulsionnelle.143
Elle conduit à la métamorphose de l’enthousiasme dionysien en satyre
(figure originelle nettoyée de son éducation à être humain).
C’est la reconquête de l’Un-primordial : « Au centre du moi qui se nie comme
sujet individuel pour n’être plus que le sujet de la démesure, le seul existant et
éternel. »144
141 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.18.
142 Idem
143 voir kremer-marietti, introduction, in La naissance de la tragédie, op. cit. , p.20.
144 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.20.
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La musique dionysiaque est vu comme le « miroir universel de la
volonté du monde »145, elle « prête au mythe tragique une signification métaphysique
si insistante et si persuasive que ni la parole, ni le spectacle, sans cette aide
précieuse, ne pourrait jamais l’atteindre.»146
La tragédie met le spectateur sur le même pied que l’artiste : « Il
comprend jusqu’en ses profondeurs le déroulement de la scène et il préfère se
réfugier dans l’incompréhensible… Il voit plus nettement et mieux que jamais et
pourtant il souhaite être aveugle.»147
Le réveil du ‘’combat des dieux’’ en lui fait passer le spectateur au
rang d’acteur.
· Proposition d’une nouvelle forme artistique
Bien sûr, la création artistique est présente dans la pratique de la
Free Party, dans sa démarche d’exploration de l’ivresse dionysiaque
(non, ce lieu n’est pas qu’un supermarché de la drogue…).
La musique tekno est une création en tant que telle mais est aussi un
outil permettant de travailler la foule dansante comme un matériau
artistique.
Dans notre démarche de tentative de fusion entre le cirque et le
sound system, nous identifions l’état d’esprit de la Free Party, dont
l’ivresse du dance floor est une composante, en tant qu’énergie naturelle
brute. Le cirque est considéré alors comme matière apollinienne, pétri de
145 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.23.
146 Idem
147 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.24.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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rêve, d’élévation, de sublimation (du moins traditionnellement) : « Le
cirque est le seul endroit au monde où l’homme est capable de rêver les yeux
ouverts.» 148
Le travail de création pour ces nouvelles formes artistiques
tiendrait donc du même mouvement ambivalent que celui qui compose la
tragédie dans son alternance dionysien/apollinien.
Ce raccourci peut sembler réducteur, car c’est caricaturer ces deux
formes d’arts que de les étiqueter l’une dionysiaque et l’autre
apollinienne, surtout après avoir tenté tout au long de ce mémoire de
mettre en avant le caractère cruel inhérent au cirque. Et la musique
tekno joue certainement aussi de la nature apollinienne du raveur.
Cirque et Free party sont déjà deux formes de tragédie : Cette
suggestion aura au moins le mérite d’amorcer la réflexion sur ce sujet.
· En guise de conclusion : Le rire salvateur
Nietzsche considérait que la philosophie tragique comportait une
consolation essentielle : « Nous devenons vraiment, pour de brefs instants, l’Être
originel lui-même et nous éprouvons sa soif insatiable d’exister. »149
Dans son Essai d’une critique se soit-même, il revient sur sa position en
rejetant ce besoin de consolation métaphysique. Il faut simplement
apprendre à rire.
« Elevez vos coeurs, mes frères, haut, plus haut !
« Et n’oubliez pas non plus vos jambes ! Elevez aussi vos jambes, bons
danseurs et mieux que cela :Vous vous tiendrez aussi la tête !
148 Hemingway cité par Pascal Jacob, le cirque, op. cit. , couverture.
149 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.23.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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« Cette couronne du rieur, cette couronne de roses : c’est moi-même qui
me la suis mise sur la tête, j’ai canonisé moi-même mon rire. Je n’ai
trouvé personne d’assez fort pour cela aujourd’hui.
« Zarathoustra le danseur, Zarathoustra le léger, celui qui agite ses ailes,
prêt au vol, faisant signe à tous les oiseaux, prêt et agile, divinement
léger : -
« Zarathoustra le divin, Zarathoustra le rieur, ni impatient, ni intolérant,
quelqu’un qui aime les sauts et les écarts ; je me suis moi-même placé
cette couronne sur la tête !
« Cette couronne du rieur, cette couronne de roses : à vous, mes frères,
je jette cette couronne ! J’ai canonisé le rire ; hommes supérieurs,
apprenez donc - à rire ! »150
Ce texte mériterait de tourner dans le milieu de la Free Party française.
Depuis qu’il s’est ouvert au grand public, la fleur a fanée : Ce
mouvement a perdu son âme, sa spiritualité. Et comme la dilution est
cruelle, le teufeur moyen se sent obliger d’endosser sa carapace de bad
boy. La Free party aujourd’hui oublie de rire. Elle a grand besoin de
l’effet cathartique du cirque et de ses clowns.
150 Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, in Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.44
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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CONCLUSION
Nous affirmons donc que la rencontre du cirque et de la Free Party
est évidente parce qu’ils sont tous deux des arts nomades et des arts
populaires. Nous avons mis en évidence que leurs fondements
artistiques commun était les principes exposés dans le théâtre de la
cruauté d’Antonin Artaud. En définissant la Free party comme un art
dionysien et le cirque comme un art apollinien, nous avons fait la
proposition de l'invention d’une nouvelle forme artistique reposant sur la
même démarche dialectique que celle qui féconde la Naissance de la
tragédie selon Nietzsche.
Au sein de la problématique qui est la nôtre, on ne peut faire
l’économie d’une question inhérente à toute démarche artistique, celle
de la dialectique entre construction et subversion :
« La provocation est une (ré)action violente dont le nihilisme peut
étouffer parfois toute velléité constructive »151 .
Savoir si l’on se trouve dans l’alternative ou non semble une
question un peu dérisoire lorsqu’on a la certitude de proposer à son
public un travail artistiquement riche, et donc plus incisif dans son propos
que nombres de rassemblements supposés ‘’rebelle’’ : car la Free Party,
en France en tout cas, a cessé d’être subversive.
L’accès gratuit à l’art demeure une question essentielle posée par
la Free party : elle doit interroger le médiateur culturel. Et le service
public permet a priori à l’art de ne pas avoir à se prostituer à des
contingences commerciales…
151 Grynspan Emmanuel, Bruyante techno, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Il ne s’agit pas pour ces nouvelles formes artistiques, de créer un
espace-temps autonome au sens de celui de la Free Party. Par contre,
la Free Party est présentée tout au long de ce travail comme porteuse
d’un certain état d’esprit ; la démarche conduisant à la création de ces
nouvelles formes artistiques consisterait à ‘’capter’’ cet esprit particulier
et à l’utiliser comme la coloration artistique à la base du travail de
création. Les compagnies de nouveau cirque ont en commun la volonté
d’afficher un style qui les représente, la singularité de celle que nous
appelons de nos voeux serait donc engendrée par l’essence de la Free
Party. A ce titre l’ivresse ineffable vécue dans cette sphère, mémoire
active, en devient le matériau artistique. Il s’agirait d’ailleurs plus de faire
émerger un ‘’sound system total’’, se dotant d’autres langages artistiques
que la musique (tels que les arts de la piste), plutôt que de créer un
‘’cirque techno’’.
L’innovation la plus importante de ces nouvelles formes artistiques
serait de fondre piste de cirque et piste de danse, afin que le spectateur
soit aussi danseur. Il semble indispensable que l’expérience soit
conduite avec de petites jauges, pour que, tel un rituel, soit recrée
l’intimité nécessaire à l’émergence d’une certaine tension dans le public.
La construction des numéros circassiens dirigés par les mêmes
procédés que ceux mis en jeu dans la création de la musique tekno
ouvre des perspectives du plus grand intérêt artistique : là surgissent les
potentialités d’une fusion radicalement nouvelle.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Lexique
Acid : Son caractéristique, plainte sonore aiguë changeant de timbre,
produite par un instrument musical électronique la ‘’TB303’’. Ajouté au
nom d’une musique, l’adjectif signifie que ce style contient des sons
‘’acid’’.
After : Evénement ayant lieu à la suite d’une fête.
Dance floor : Piste de danse.
DJ : Passeur de disques, créateur d’atmosphères sonores.
Flyer : Tract annonçant un événement.
Free Party : Forme festive techno, rattachée aux sonorités hard core,
qui se caractérise par l’irruption sauvage et clandestine : elle envahit à
l’improviste et sans autorisation préalable, des lieux abandonnés ou
désert, les transformant en territoire festif éphémère. Le droit d’entrée
est régentée par une donation (don d’argent ou en nature).
Hardcore : Branche ‘’dure’’ de la musique techno, caractérisé par des
rythmes rapides.
House : Musique techno caractérisé par l’utilisation de sons acoustiques
issus de la musique noires américaine : funk, soul.
Live : Prestation musicale effectuée en direct à partir d’instruments
électroniques.
Mix : Prestation du Dj. Le mix est le mélange de deux vinyles.
Montée : Crescendo du rythme et/ou de l’intensité de la musique.
Sampler : outil électronique permettant d’enregistrer et de numériser
une durée sonore provenant d’un microphone ou d’un synthétiseur. Les
sons enregistrés peuvent être modifiés par des filtres et des effets
informatiques.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Sound system : Ensemble d’éléments techniques permettant la
diffusion de la musique. Fédération d’individus autour du matériel de
sonorisation et qui vient le poser dans les fêtes sauvages et teknival.
Techno : Désigne un style de musique apparu au milieu des années 80,
à la croisée des musiques électronique européenne (Krafwerk,
Tangerine Dream….) et des musiques noires américaines (soul, funk,
jazz). La techno n’utilise que très peu d’échantillon de sons acoustiques
ou de voix. Il est employé aussi comme adjectif.
Teknival : Festival sauvage et clandestin de la musique techno qui
s’étale sur plusieurs jours. Il accueil plusieurs sound system.
Tekno : Désigne la forme alternative de la techno.
Teuf : Free party.
Teufeur : amateur de fête sauvage.
Travellers : Les voyageurs. Nomades qui vivent en camion. Certain se
regroupent, formant alors une tribu tekno et se déplaçant en petits
convois. Ils disposent alors d’un sound system. Ils peuvent organiser
une fête sauvage quasiment n’importe où et dans un minimum de temps.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Bibliographie
· Ouvrages généraux
ARTAUD, Antonin, Le théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1964
BEY, Hakim, L’Art du chaos, stratégie du plaisir subversif, Nautilus, Paris, 2000
BEY, Hakim, T.A.Z – Zone d’Autonomie Temporaire, l’Eclat, Paris, 1997
DEGAINE, André, Histoire du Théâtre, Nizet, Paris, 1992
DUFRENNE, Mikel, Art et politique, Christian Bourgeois 10/18, Paris, 1974
MAFFESOLI, Michel, Du nomadisme, Vagabondage initiatique, Librairie Générale
Française, Paris, 1997
MAFFESOLI, Michel, Le temps des tribus, Le déclin de l’individualisme postmoderne,
la table ronde, Paris, 2000
MAFFESOLI, Michel, L’ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de
l’orgie, Librairie des Méridiens, Paris, 1985
MICHAUX, Henri, Connaissance par les gouffres, Gallimard, 1967
NIETZSCHE, La Naissance de la Tragédie, Librairie Générale Française, Paris, 1994
Le siècle rebelle, Larousse, Paris, 2000.
· Cirque et nomadisme
BILLAUD A., Echkenazi A., Léon M., Droit de cité pour le cirque, Le moniteur
(« Guide Juridiques »), Paris, 2001.
CASTELL, Jean-François, Le chemin de papa, édité à compte d’auteur, 1999
DAVID, Claire, Royal De Luxe 1993-2001, Actes sud, 2001.
DE MORANT, Alix, Scène Itinérante – Emergences, résurgences, mémoire
universitaire, Université Paris X, 1999.
IAN, P., Archaos, cirque de caractère, Albin Michel, 1990.
JACOB, Pascal, Le cirque, du théâtre équestre aux arts de la piste, Larousse/VUEF,
2002.
MERCHAT Daniel, Accueil et stationnement des gens du voyage, Le moniteur
(« guides juridiques »), Paris, 2000.
ROMANES, Alexandre, Un peuple de promeneurs, Ed. Le temps qu’il fait, réed.2000.
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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R evues, ouvrages collectifs :
Arts de la piste, trimestriel publiée par HorsLesMurs, Paris
Art Press N°20, « Le Cirque au-delà du cercle », 1999.
Cassandre N°43, « Chantier Nomade », dossier coordonné par De Morant Alix, Hors
champs, sept.-oct. 2001.
Le goliath, guide-annuaire des Arts de la rue et des arts de la piste, HorsLesMurs,
2002.
Scène Urbaine, N°2, « théâtres Nomades », HorsLesMurs, Paris, 2002
Théâtre Aujourd’hui N°7, « Le cirque contemporain, la piste et la scène », CNDP,
MNERT, Ministère de la Culture et de Communication, Paris, 1998.
5500 chapiteaux sillonnent la France, Berdarida Catherine, in le Monde, 28 mai 200.
Dossiers de presses d’Archaos, Cahin-Caha, Cirque Oz, Cirkus Cirkör, La Fura del
Baus, Royal de luxe, centre de documentation de HorsLesMurs, Paris.
· Techno
COLOMBIE, T., Technomades, stock, Paris, 2001
GRYNSZPAN, Emmanuel, Bruyante techno, réflexion sur le son de la free party,
Mélanie Seteun, 1999.
QUEUDRUS, Sandy, Un Maquis techno : modes d’engagement et pratiques sociales
dans la free party, IRMA, Paris, 2000.
RACINE, Etienne, Le phénomène Techno, Imago, 2001.
La musique techno, approche artistique et dimension créative, actes du colloque
« La techno, d’un mouvement musical à un phénomène de société », tome2, édité
par le confort moderne et l’Ardiamc Poitou-Charente, 1998.
No System, pas de référence, ouvrage épuisé.
· Emission de radio, site internet
Renaud Jean-philippe, Sound-system et Free party, cinquante ans de
musique amplifiée, et voyageuse, France-Culture, 2002
www.cahin-caha.com
www.cirkusroadsystem.org
www.horslesmurs.asso.fr
www.network23.org/teknocircus
www.ruigoord.nl/ballon
www.tash.gn.apc.org
www.zerez.free.fr/accueil.htm
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Annexes
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Archaos...
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Spiral Tribe, Mutoid Waste & Bedlam
La Spiral Tribe, organisateurs de Free party anarchiques, se sont
associés avec la Mutoid Waste Company, un collectif d'artistes
sculpteurs sur métaux usagers et assembleurs d'engins abandonnés.
Réutilisant les rébus de la société moderne, transformant les déchets
pour célébrer le millénaire, avec toute l'iconographie post-apocalyptique
de Dan Dare et de Mad Max, Robocop et une sensibilité de combattant
dont les ancêtres auraient bien pu être Beowulf. La Spiral Tribe a
également exploré au-delà de la façade de notre vie civilisée. Leur art
est la musique et il s'agit également d'une mutation, un son généré par
les ordinateurs, vaste péripétie de sons et de basses à 20 Kilos de
puissance pour faire pleurer vos yeux. Pas de vibrations ethniques ni de
guitares nostalgiques au coin du feu, pas de rêveries sur les lendemains
qui chantent, parce que s'il y a bien un groupe de gens inscrits dans le
présent, ce sont eux.
De ce monde virtuel et militarisé qui les a vu émerger et qu'ils reflètent,
bien déterminés avec leurs camouflages, conduisant leurs camions
militaires récupérés, vivant dedans, avec leurs grosses chaussures et
leurs crânes rasés.
Leur popularité connut un essor rapide grâce à quelques fêtes en
Angleterre, et vague de paranoïa hystérique qui balaya les esprits de la
population a conduit à une chasse aux sorcières de la Spirale Tribe et de
leurs semblables. Lors d'une fête dans une maison vide à Acton, la
police feignit une attitude sympathique, puis tard dans la nuit commença
à frapper sur les murs puis se rua dans le bâtiment, matraques en avant.
Ils détruisirent le matériel de musique et frappèrent les gens au sol. La
Criminal Justice Bill autorise ce genre d'action imbécile et fasciste.
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La loi concerne les tsiganes, les nomades, les rassemblements, les
manifestations pacifiques, réprime la Techno musique en partie ou
complètement caractérisée par une succession de pulsations répétitives.
La conséquence est un exode vers la terre promise, L'Europe et au-delà;
tandis que l'Angleterre serre la vis, renforce la soumission à la culture
consumériste, l'inertie, l'énergie de la scène Techno fuit. Nous sommes à
la fin du XXème siècle, la Spiral Tribe et les Mutoid errent dans les
paysages désolés de la république Tchèque, en Europe de l'Est.
La scène Free party Anglaise que nous avons laissé derrière ressemble
à un bébé kétaminé les yeux tournés vers Goa. Nous avons pris le train
à Victoria Station et 24 heures plus tard nous étions à Prague. Nous
avons rencontré un homme de Preston qui avait fait la même chose et
revendu son billet de retour ! Qu'est-ce que ça signifiait pour lui ? Perdre
son boulot, quitter sa petite amie, la vie nocturne de Preston. Les autres
gens que nous avons rencontrés, un garçon nommé Luke, dont le frère
vit à Prague, organise des soirées et fait venir des Dj's d'Angleterre pour
jouer dans les clubs de Prague. Dans les bars autour de la gare centrale,
nous avons rencontré des jeunes fans de la Spiral Tribe, des étudiants
faisant le tour d'Europe durant leurs vacances, un trio de gros buveurs
irlandais, des têtes de Mohican familières du circuit des fêtes. Nous
avons entendu les nouvelles de l'endroit où se situe le festival, des
rumeurs et des anecdotes furent échangées, la Spiral Tribe s'est
connectée avec le réseau souterrain pragois.
Pour les novices, la référence sont les Merry Pranksters, Ken Kesey,
Mountain Girl etc. Une réécriture des circuits cérébraux à travers l'usage
du LSD 25, un reconditionnement de la conscience comme si les
anciennes notions se dissolvaient dans le bain d'acide.
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Ils sont les héritiers des Pranksters. Le concept hippie a perdu tout
potentiel mais la subversion ne peut être démodée, c'est inconcevable et
inconciliable. Ce qui dénote en revanche, c'est que les Pranksters
portaient d'étranges et effrayants accoutrements, peinturlurés au dayglo,
non-conformistes gesticulant et baignant dans un positivisme Prankster.
Le monde scintillait autour d'eux et l'homme marchait triomphalement sur
la lune. Autour d'eux le monde quittait sa cuirasse grisâtre des années
50 pour le Technicolor des sixties. Mais ces nouveaux venus sont plus
inquiétants et sombres, un sorte de vision nihiliste de l'oppression
policière, une explosion de vibrations exprimant la crainte des enfant du
monde occidental, paysages urbains de pierre et d'acier pourrissant, où
la vie est une zone de combat, où dans un cri d'aliénation on s'effraie
mutuellement et mortellement. Les rêves d'une génération sont exprimés
pas ces hors-la-loi, et quels rêves, quels cauchemars !
Sur le site d'Hostomice en Tchéquie, on aperçoit un Mig, avion de
combat russe de la IIème guerre mondiale, monté sur une remorque.
Des véhicules militaires dont les roues sont plus hautes qu'un homme,
sont regroupés tout autour. Dans une large cage de 3 m de haut pend
une créature de métal dont la tête soudée se tord vers le ciel dans rictus
à la Bacon. Dans la confusion nocturne, les lasers trouent la poussière
stagnante. Les mutoids traversent la foule hurlante dans une voiture
déconstruite équipée d'un chalumeau qui crache des flammes à travers
le pare-brise, et entouré de cracheurs et de jongleurs de feu. des gens
sont assis en cercle sous des bâches, d'autres jouent avec des chiens
excités. la police d'ici nous a aidé sourit une jeune française aux yeux
brillants ailleurs ils nous tirent dessus dit-elle mimant des tirs en l'air.
En journée il fait trop chaud pour bouger. Un lac dans les environs attire
les gens et de leurs chiens. On distingue des corps endormis dans
l'ombre. Seul les soleils rayons du soleil les sortent de leur inertie.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Une journée particulièrement chaude évolue au crépuscule en tempête
électrique, et tous émergent des campements et des véhicules pour
danser dans un tourbillon de poussière. L'électricité fait craquer l'air, et
parmi les rafales fraîches et le vent chaud, les vibrations montent,
acides, tangibles. Les Spirals s'accordent avec une précision diabolique
à la brillance de la nuit. Impossible de se soustraire aux rythmes,
l'atmosphère est faite de ce violent chaos d'ultrasons hurlants. Les
projettent dans le futur, fusant vers le ciel, et soudain une voix samplée
retentit : YOU DON'T KNOW WHAT YOU'RE DEALING WITH [tu
ignores à quoi tu as affaire]. C'était l'expérience de la Spiral Tribe,
enflammer les pierres, le ciel, la poussière, les gens, tout ensemble
projeté en l'air dans la zone du numéro 23.
Pour d'autres la paranoïa prend une tournure insidieuse. Un garçon
effrayé de 15 ans, issu d'une école publique, cherche un lieu sur
Megatripolis et affirme que la Spirale Tribe a sélectionné 5 jeunes
personnes dont lui et que tout autour, dans l'herbe, sur les pierres et
dans la poussière, apparaissent des lettres qui forment des mots se
rapportant à lui. La Spiral Tribe vous rend paranoïaque mais c'est bien
comme cela. Leur existence porte une signification cosmique dans un
monde qui perd sa raison d'être en se coupant des traditions
ancestrales. En chamanes du XXème siècle, ils nous montrent que nous
faisons fausse route. Le temps est venu menacent-ils d'éveiller la
planète. Et pour le plus aigre des cyniques, il y a quelque chose en eux
de super galactique/futuriste qui reste impénétrable par le cynisme. J'ai
eu l'impression très nette en face des enceintes, au son des basses,
qu'une guerre était déclarée au reste du monde. Et personne d'autre ne
sait monter des fêtes aussi fantastiques.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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Au cinquième jour la Spiral Tribe coupa le son et les Mutoid rangèrent
leurs sculptures sur la demande du maire pour mettre fin aux
réjouissances. La manière dont il parviennent à traverser les frontières
demeure un mystère pour la plupart. L'iconoclaste équipage se fait
passer aux yeux des douaniers suspicieux pour un cirque ambulant. En
fait il s'agit d'un cirque nomade possédant tous les paradoxes de la
représentation populaire du cirque. En dehors de la société, parodiant la
société, telle une pantomime de clowns et de danseurs, véhicules
défoncés dans une arène poussiéreuse, avec un avion de chasse tel un
substitut d'éléphant parfaitement incongru dans le paysage est-européen
Nel Stroud
République Tchèque, été 1994
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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.
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demoniak01 · Sound System

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merde pas marché!

demoniak01 · Sound System

03-08-14 23:53:53

19-11-12 · 219

  

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Université de Montpellier III

(Antenne de Nîmes)

Département de Médiation Culturelle et Communication

Maîtrise de Conception et Mise en OEuvre de Projets Culturels

Sous la direction de Madame Sabine TEULON
Année universitaire 2002/2003

A LA RENCONTRE DU CIRQUE
ET DE LA FREE PARTY :


VERS L’INVENTION
DE NOUVELLES FORMES ARTISTIQUES.
Martin GEOFFRE

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistes

Aux habitants de
l’Entrepôt.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


«Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme»

Antoine-Laurent de Lavoisier, Chimiste des lumières

« Our attitude is : make some fucking noise »

Mark Harrison, Membre fondateur de la Spirale tribe

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



.


SOMMAIRE


Introduction………………………………………………………………… 2

Partie I : Le cirque, univers artistique et choix de vie………………. 4

I.I. Le cirque moderne, histoire de la construction d’un genre..... 5
I.II. Identité artistique du cirque…………………………………… 11
I.III. La musique, élément artistique fondamental du cirque……. 22
I.IV. Le nomadisme……………………………………………………27
Partie II : Free Party: le mouvement sans concession………………38

II.I. Genèse de la Free Party……………………………………….. 39
II.II. Définition de la Techno et réflexion sur le son de la Free
Party………………………………………………………………. …..50
Partie III : Tentative de rapprochement du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 62

III.I. Rencontre de la techno et du cirque…………………………...63
III.II. A la convergence du cirque et de la Free Party……………...69
III.III. Proposition d’une combinaison du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 81
Conclusion………………………………………………………………… 88

Lexique……………………………………………………………………….90

Bibliographie……………………………………………………………… 92

Annexes………………………………………………………………………
SOMMAIRE

Introduction………………………………………………………………… 2

Partie I : Le cirque, univers artistique et choix de vie………………. 4

I.I. Le cirque moderne, histoire de la construction d’un genre..... 5
I.II. Identité artistique du cirque…………………………………… 11
I.III. La musique, élément artistique fondamental du cirque……. 22
I.IV. Le nomadisme……………………………………………………27
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


Partie II : Free Party: le mouvement sans concession………………38

II.I. Genèse de la Free Party……………………………………….. 39
II.II. Définition de la Techno et réflexion sur le son de la Free
Party………………………………………………………………. …..50
Partie III : Tentative de rapprochement du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 62

III.I. Rencontre de la techno et du cirque…………………………...63
III.II. A la convergence du cirque et de la Free Party……………...69
III.III. Proposition d’une combinaison du cirque et de la Free
Party…………………………………………………………………………. 81
Conclusion………………………………………………………………… 88

Lexique……………………………………………………………………….90

Bibliographie……………………………………………………………… 92

Annexes………………………………………………………………………94

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

03-08-14 23:55:58

19-11-12 · 219

  

INTRODUCTION


Depuis plus de dix ans, la Free Party* fait paysage dans
l’ensemble de la France et de l’Europe. Il s’agit d’une forme festive
techno, rattachée aux sonorités hard core*, qui se caractérise par son
irruption sauvage et clandestine : elle envahit à l’improviste et sans
autorisation préalable, des lieux abandonnés ou déserts, les
transformant en espaces festifs éphémères.

Or, lorsque ce mouvement underground a été identifié par le grand
public en France, l’engouement fut tel qu’il devint un phénomène de
masse. La quête et les valeurs qui constituaient l’âme de la Free Party
s’en sont trouvé noyées : la consommation s’est substituée à
l’expérimentation.

Dès lors, l’Etat, qui se doit d’assurer la sécurité de l’ensemble de
ses citoyens, ne pourra plus fermer les yeux sur l’existence de ces
pratiques auparavant marginales. Inévitablement, il leur assènera le
coup fatal en interdisant tout rassemblement non autorisé.

Désormais, l’amateur de Free party devra se satisfaire des soirées
techno aseptisées des raves commerciales et autres teknival*
autorisées, ou s’inscrire dans une radicalité par l’exil en Europe du Sud
et de l’Est où l’esprit du mouvement est encore signifiant.

Une troisième possibilité s’offre à nous, elle s’appuie sur les
aspects nomade et artistique de la Free Party : tel un cirque, le sound-
system* tekno* pourrait vivre son itinérance sous chapiteau. Ainsi il se
doterait d’un statut convenant à l’Etat tout en restant un art hors les
murs. D’autre part, nous pensons que la démarche artistique de la Free
Party et celle des arts du cirque se rejoignent à différents niveaux et on
tout intérêt à se rencontrer.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Le présent travail cherche à vérifier notre postulat qui affirme
comme une évidence la rencontre du cirque et de la Free party.

Pour évaluer la pertinence de cette hypothèse, il nous faudra
d’abord présenter les caractéristiques de chacun des champs artistiques
mis en jeu.

Ce mémoire étaye sa réflexion grâce aux travaux d’auteurs glanés
au sein d’ouvrages dans le domaine du cirque, de la techno, mais aussi
au coeur d’essais sociologique, esthétique et d’études théâtrales.

Nous présenterons dans notre première partie un historique du
cirque, ses aspects artistiques et son rapport à la musique, ses
caractéristiques en tant qu’art nomade.

Notre seconde partie contiendra un historique de la Free Party et
une présentation de la musique techno suivi d’une réflexion sur le son de
la Free Party.

La dernière partie sera une tentative de rapprochement des deux
champs artistiques mis en jeu. Elle présentera des expériences de
métissage artistique déjà conduites par le cirque et la Free Party, elle en
confrontera les différents aspects précédemment mis en lumière. Enfin,
une proposition de combinaison de ces deux univers sera exposée, dans
la perspective de l’invention de propositions innovantes, propres à
répondre au dépérissement inéluctable de la Free Party.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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demoniak01 · Sound System

03-08-14 23:58:12

19-11-12 · 219

  

Partie I :
Le Cirque,
univers artistique et choix de vie.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Les rapports entre cirque et Free Party se déclinent selon différents
modes. Pour obtenir une vision globale de ces deux champs artistiques,
en distinguer les différentes facettes, pour ensuite situer où ils se
croisent, se rejoignent, s’éloignent, se superposent ou s’opposent, il est
incontournable de d’abord les présenter individuellement.

Cette première partie a pour vocation de mettre en évidence les
principes mis en jeu au cirque, afin de pouvoir décrypter le regard que
porte cet art sur le monde. Pour ce faire, nous rappellerons les
évènements et les innovations qui jalonnent l’histoire du cirque, nous
mettrons en évidence ses caractéristiques artistiques fondamentales
susceptibles d’interpeller la Free Party,, enfin nous interrogerons le
mode de vie nomade.

I.I. Le cirque moderne, histoire de la construction d’un
genre.
En décrivant les grandes étapes qui ont fondé le cirque, nous
mettons en évidence ce qui a fait sa gloire et son déclin. Nous désirons
aussi comprendre comment s’est constituée son imagerie.

Cet historique est rédigé à partir de Le cirque, du théâtre équestre aux
Arts de la piste, de Pascal Jacob.1

I.I.I. Naissance du cirque moderne
Le cirque est comme le père Noël, on le pense ancestral, alors qu’il
n’est apparu qu’à l’époque moderne. Bien sur, il existe une préhistoire au
cirque, les Arts de la piste sont eux millénaire mais n’ont jusqu’alors
jamais été réunis en un même lieu. Le cirque moderne a emprunté aux
jeux antiques son vocabulaire et son mythe afin de se construire une

1 Pascal Jacob, Naissance du cirque moderne, l’élégance française, exotisme et curiosité, New York – Moscou,
in Le cirque, Larousse, / Reconnaître et comprendre, Paris, 2002
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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respectabilité le distinguant des foires, mais leur seule caractéristique
commune est la ‘’représentation’’ dans le cercle.

• Le cheval, emblème du cirque
Le cirque moderne tel qu’il est apparu sous sa forme structurée
dans la seconde moitié du XVIIIeme siècle en Grande-Bretagne est le
fruit de la rapide cristallisation d’influences issues de multiples
sources. Il se formalisera, se codifiera, pour ensuite rayonner et
conquérir l’ensemble du monde occidental.

Le cheval, animal mythique, en est la figure emblématique. Cela
annonce déjà le rapport ambivalent de l’Homme et de la Bête,
constituant déterminant de l’univers circassien.

En parallèle existent déjà quelques théâtres, tenus par les
descendants d’anciennes dynasties d’origine Tzigane, qui incluent
dans leurs représentations des acrobates et des équilibristes. Le
principe d’hétérogénéité cher à la piste naîtra à cette époque.

La foire, ses bateleurs et leurs exhibitions en seront le catalyseur.

Au XVIIIeme siècle donc, apparaît en tant que spectacle une
discipline nouvelle : la voltige équestre. Celle-ci provient du cadre
militaire qui, en s’assouplissant pour les besoins du cirque, accomplira
un geste profane. La piste circulaire naît, pour permettre le pas régulier
de l’animal. Elle induit la focalisation des regards, permet aux
spectateurs de tout voir (et être vu…), ce qui la différenciera de la
représentation théâtrale. Cette conception de l’espace circassien
contient un tout autre pacte avec le public.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Philip Astley, considéré comme le père du cirque moderne,
ouvrira en 1768 sa propre école, où sera, à force d’expérimentation,
entreprise la structuration de cet art nouveau.

Sur la piste circulaire est présenté un spectacle mosaïque avec
comme seul lien la prise de risque, et comme contenu la gestion du
merveilleux, la dimension comique.

Fort de son succès, Astley tente l’aventure française en
présentant son spectacle durant six semaines à Paris. La même
année, il inaugure son premier établissement en dur, The Astley’s
Amphitheatre Riding House.

Depuis 1660 en Angleterre et 1701 en France, le droit à la parole
est sévèrement réglementé dans le monde du spectacle vivant. Au
cirque, le corps se substituera alors aux mots, pour donner un sens à
l’acte, en se faisant l’écho de l’actualité.

Bientôt, d’autres suivront l’exemple du père fondateur. Le mot
« cirque » apparaîtra alors, en référence aux jeux antiques.

• Le début du nomadisme, expansion du cirque
Pour survivre, la multiplication de l’audience est une dimension
fondamentale. Il apparaît plus facile de renouveler un public en se
déplaçant, que de trouver sans cesse de nouveaux artistes sur un lieu
donné.

L’itinérance de la première heure entraînera le cirque aux confins
de la lointaine Russie. Et c’est certainement cet « attachement viscéral
à l’aléatoire quotidien »2 qui permettra au cirque le développement
qu’on lui connaît.

2 Idem, p.43
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:00:09

19-11-12 · 219

  

Le cirque atteindra l’Amérique en 1742, où il effectuera une
rapide démultiplication.

Le modèle anglais se trouvera vite dépassé, repris par les
Français, les Italiens, les Allemands. Des cirques stables seront
construits partout dans les villes européennes, signe de la
bienveillance de l’institution pour cet art. En fonction du territoire, des
spécificités esthétiques se ressentiront.

Le cirque s’embarque aussi vers d’autres latitudes, avec comme
destination les colonies occidentales tel l’Inde, l’Australie, l’Afrique.

I.I.II. Evolution et innovation
• Le chapiteau, la marginalisation et les animaux sauvages.
En 1825, le chapiteau fait son apparition aux Etats-Unis, puis en
Europe. Ce mode de fonctionnement deviendra régulier à partir
de1870.

C’est dans la seconde partie du XIXeme siècle qu’apparaissent
les futures grandes dynasties circassiennes. La famille est le
constituant fondamental de cet univers particulier. Les divers mariages
entre ces différentes familles engendreront alors l’aristocratie
circassienne ; chaque famille étant une caste bien précise d’écuyers,
acrobates, jongleurs, voltigeurs ou plus tard dompteurs.

De plus, l’ex-communion dont ils sont frappés amène ces artistes
à multiplier les appuis auprès de sociétés secrètes à caractère
ésotérique. Ces affiliations à une famille spirituelle seront constitutives
d’une identité forte, qui achèvera d’instituer les circassiens comme une
communauté marginale.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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A partir de 1848, l’emploi d’animaux exotiques devient
systématique. Cet engouement est initié par l’Allemagne. L’emploi de
fauves initie une fracture brutale, sauvage. Le cirque se fait plus
exhibitionniste, plus commercial aussi, l’emploi de ces attractions
nouvelles étant coûteux.

La fascination et le rapport trouble, entre complicité et
asservissement, qu’entretient l’homme à l’animal sont révélateurs de
son désir angoissant de pouvoir et du profond malaise qu’il a
développé envers la nature.

• Le gigantisme américain : amorce de la décadence
Aux Etats-Unis, le cirque se déplace désormais grâce au train,
qui amorce la transformation de ce genre, populaire et artisanal en une
machine industrielle et populiste. De même, la propension au
gigantisme, avec l’utilisation de trois pistes simultanées, aboutit à la
transformation du spectacle en spectaculaire. Le contrat initialement
passé avec le spectateur, lui promettant de « tout voir », est rompu, et
le fait passer aux statuts plus ambigus de voyeur et de consommateur.

Le géant « Barnum and Bailey » entreprendra une tournée en
Europe à partir de 1897. En conséquence, les entreprises allemandes,
françaises et anglaises, auparavant fondées sur l’élégance,
s’adapteront à ses méthodes, faisant leur la loi du gigantisme et de la
démesure. Cette coloration, cette sonorité deviennent alors la norme,
et jusqu’à aujourd’hui encore l’image d’Épinal du cirque.

« Lancé dans une nouvelle course à tous les publics, le cirque

s’enlise rapidement dans les ors factices, les présentations guindées et

s’offre souvent comme une entreprise maladroite, développant avec

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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constance et naïveté une esthétique surannée, baroque, populiste et
tapageuse. »3

• Le déclin du cirque traditionnel
Le cirque classique occidental, pris dans le tourbillon de la
seconde guerre mondiale, ne lui survivra pas. Après une brève période
d’euphorie due à la reconstruction, le cirque succombera sous les
coups portés par le changement de mentalité consécutif au conflit
mondial, par les avancées sociales et du droit du travail, puis plus tard
par le choc pétrolier.

Ailleurs, en Chine ou dans les pays soviétiques, le cirque est
vecteur d’idéologie, sert la propagande politique et culturelle. Les
tournées dans les démocraties populaires sympathiques au régime
serviront de lien diplomatique. Surtout, l’école soviétique sera
génératrice de formes esthétiques novatrices.

Le XXème siècle porte en lui les germes de l’affaiblissement :
itinérance forcée, surenchère du risque, exhibition au détriment de
l’acte répété et maîtrisé. En réaction, à partir des années 70,
s’épanouira un autre éventail de couleurs, de saveurs et d’images,
greffé sur un modèle depuis trop longtemps considéré comme « unique
et parfait, et qui se découvre à la fois dépassé et affadi »4 . Ces
nouveaux praticiens viennent de la rue, de la danse et du théâtre, avec
le désir ardent de renouer avec la tradition ancestrale des pratiques
foraines et des saltimbanques, symboles de liberté.

3 Idem, p. 113
4 idem, p.135
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Que reste-il du cirque ‘’traditionnel’’, lorsque s’étant épanoui et

ayant conquis la planète, il se trouve étouffé par son propre

gigantisme ?

L’issue d’une renaissance s’opérera par

• Un retour à intimisme.
• La transmutation d’une autre forme artistique.
I.II. Identité artistique du cirque.
Des années soixante-dix à nos jours, la notion même de cirque
est bouleversée. En parallèle de la sortie du cirque de sa chrysalide,
une analyse en direct des métamorphoses s’est construite. De
nombreux écrits décrivent bien sûr les changements opérés, mais
surtout dissèquent la nature profonde, fondamentale de cet art.

Cette partie pour l’essentiel ne fait donc que reprendre des
éléments d’analyse particulièrement pertinents de deux parutions sur le
cirque contemporain, l’un édité par Théâtre aujourd’hui5 , l’autre par
Artpress6 . Le travail suivant, qui consiste à mettre en avant certains de
ces aspects, nous permet d’élaborer une base de réflexion, amorce
indispensable pour la tentative de rapprochement des arts de la piste
et de la culture tekno7 alternative.

I.II.I Fondamentaux du cirque
En se projetant dans la sphère des arts contemporains, en
rupture avec un héritage codifié, le cirque se découvre la capacité
d’une esthétique plus recherchée, entraînant une réflexion sur le

5 Le cirque contemporain, la piste et la scène, Théâtre Aujourd’hui N°7, CNDP, Paris, 1998 -Le cirque au-delà
du cercle, Artpress spécial N°20, 1999.
6 Le Cirque au-delà du Cercle, Artpress N°20, Paris, 1999

7 ‘’tekno’’ orthographié ainsi, désignera, pour ce travail, la frange alternative de ce phénomène.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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tenant des contenus présentés. Le métissage et la confrontation avec
d’autres arts plus matures, au discours déjà élaboré, tel le théâtre ou la
danse, a permis au cirque de se définir, de mettre en avant ses
spécificités et ses fondements. C’est d’ailleurs l’idée du cirque plutôt
que sa réalité propre qui travaille la théâtralité contemporaine…

Le renouveau du cirque a amené ainsi à se questionner sur le
rapport au public.


Identité du cirque de toujours
Il s’en est dégagé l’identité du cirque, formé d’un ensemble
extrêmement compact


d’ingrédients : le chapiteau, la piste, les fondamentaux8
(voltigeurs, clowns, funambules, jongleurs, présentateurs,
orchestre, cavalier, magicien et fauves).

De percepts: l’odeur du crottin, et celle de la barbe à papa, le
doré, la musique « de cirque ».

D’imagerie: la roulotte gitane, le nez rouge d’Auguste, l’affiche
« de cirque ».

Et de mythe : la nature métaphysique du cercle, semi-divine du
trapéziste, inhumaine de la vie d’artiste.

Du cirque traditionnel au cirque contemporain, éléments de
rupture
8 Au sens où l’entend la critique circassienne : les arts de la piste traditionnels
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:02:26

19-11-12 · 219

  

Les différentes étapes consommant la rupture avec l’héritage
traditionnel sont ainsi identifiées


La disparition des numéros de dressage

la remise en cause de la piste et du chapiteau

la mise en oeuvre d’une nouvelle écriture dramaturgique

La multiplication des esthétiques.

Les différents styles adoptés par le nouveau cirque, le
discours qui s’en dégage :
Les processus de construction, de création ont évolué, allant

jusqu’à hisser le spectacle circassien au rang d’oeuvre.

Dans le cirque traditionnel, l’artiste présente son numéro, il ne

représente pas, ne se dédouble pas. La juxtaposition séquentielle des

numéros et le crescendo émotionnel fondent la structure dramaturgique.

Le rire et la peur joue le rôle de liant. Le numéro de cirque avance par

ellipses, par enchaînement de courtes séquences bouclées sur elles


mêmes…

Dans le cirque contemporain, une unité stylistique est désormais

recherchée ( l’atmosphère que confèrent un spectacle, des choix

particuliers de couleur, de volume, de son). Cimenté par des éléments

fédérateurs, des composantes telles une thématique. Les règles de

composition sont comme autant de renvois aux propos de la Compagnie

( présentation simultanée de plusieurs actions pour Archaos, utilisation

de la citation et la répétition pour Cirque Plume ).

Dés lors, Le personnage est unanimement adopté.

Le nouveau cirque, a consacré ses fondamentaux en tant qu’Art de

la Piste, et permis l’autonomisation de chaque spécialité.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Le discours du cirque a évolué. Alors que le crescendo dit l’effort
de l’être humain pour dépasser l’animalité, puis l’enfance, le nouveau
cirque prône d’autres valeurs : l’humain dans son infinie variété,
l’acceptation des limites. Tout ne peut être maîtrisé.

Le cirque traditionnel est un art qui sublime l’homme. Depuis
l’humour et la dérision tempèrent l’échec. Le spectacle peut alors devenir
total : il libère le spectateur de son admiration béate.

La plupart des compagnies ont adopté un univers poétique,
féerique ou merveilleux. Pour tous, le plastique, le visuel est roi. Le
« drôle » est aussi un caractère commun.

La voie de l’absurde tire parti de la gratuité absolue, inutilité de la
prouesse acrobatique, pour la mettre au service sur la condition
inhumaine de ce siècle. Le spectacle ne se fait plus ascensionnel, mais
cyclique : on ne sort pas de l’animalité, « nulle transcendance n’est
possible dans l’aveuglement de soi »9 .

Certains critiques ont ainsi relevé que l’ensemble des spectacles
de nouveau cirque était désormais réductible à quatre ou cinq modèles,
qu’une standardisation du genre avait eut lieu. Dans le rapport
cirque/théâtre, tout a-t-il déjà été inventé ?

I.II.II. Dimensions métaphysiques du cirque
9 Yan Ciret, Cirque, la tentation du théâtre, in Théâtre aujourd’hui No7, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Archaos, Zingaro, Cahin-caha : exemples de cirques de la
cruauté
Nous allons maintenant aborder succinctement le travail de
certaines compagnies, considérées comme parmi les mères du
renouveau du cirque en France : Archaos et Zingaro. Ces exemples,
maintes fois analysés, ne peuvent évidemment suffire à révéler le
dynamisme créatif qui embrase aujourd’hui les arts de la piste.

Archaos, ‘’Cirque de caractère’’, se décrit comme une « première
tentative, unique en son genre, de mettre le cirque au service d’une
expression sociale et politique. Il y a volonté de « mettre en évidence les
contrastes révélés par le choc des cultures. » Le spectacle Métal clown
(1991) invoque un « devenir cirque » du monde, dans un temps futur où
« toutes les races sont mélangées ».

Dans ce contexte de guerre généralisée, l’Art du chaos se fait
alors volontairement manichéen : affrontement binaire entre pauvres et
riches, colonisés et colonisateurs ou plus généralement exploités et
exploiteurs.

Dans cet univers carnavalesque (littéralement ‘’ La chair
prime’’…), ce cirque punk fait de la rue et de la fête salvatrice
l’alternative joyeuse à une société de consommation en pleine
décomposition, symbolisée par un décor constitué de l’amoncellement
de carcasses de voitures et autres mécaniques, qui rappelle ces univers
« Destroyed » créés par le film Mad Max. Alors que l’emploi de nouvelles
technologies, virtuelles semble à l’inverse du travail sur le corps, concret,
et que le nouveau cirque est plus enclin à des valeurs douces et
poétiques.

Archaos lorsqu’il se réfère ainsi au mythe des jeux du cirque
antique, rappelle que, face à l’univers policé « des écuyères nubiles et

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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des trapézistes célestes », existe un petit théâtre de la cruauté inhérent
au cirque. Archaos, selon Pierrot Bidon, son fondateur, est, malgré ses
extérieurs provocateurs, plus proche de cirques de facture classique qu’il
ne le laisserait supposer:

« Même si ce que nous faisons peut surprendre, nous gardons l’esprit

du cirque traditionnel avec des numéros de prouesse classique » ;

il affirme aussi

« Astley bâtissait un spectacle total ; il transformera en exploit et support

essentiel du spectacle le moyen de communication de son siècle : le

cheval. La démarche d’Archaos est rigoureusement identique. La

différence ne réside que dans l’environnement de notre époque : les

moyens de communication de maintenant sont des machines ».10

Alors qu’Archaos décrit un monde d’après l’Apocalypse, et joue à
fond la carte du post (post-industriel, post-nucléaire), le théâtre équestre
Zingaro fait revivre un monde d’avant le passage de l’Homme.

Zingaro se tourne vers les grands mythes Trans-humains ; ceux
d’avant la Genèse : « D’un point de vue scientifique, comme d’un point de vue
religieux, l’homme est apparu après l’animal, il est venu le sixième jour. Ce qui veut
dire que l’animal est plus près des origines, de la Genèse, plus près d’une vision
instinctive de l’univers. »11

Zingaro peut-être lu comme une tentative de réinvestir le cercle
dans son fonctionnement métaphysique. Le merveilleux est ici poussé
jusqu’au chamanique. Ces spectacles tiennent autant du rituel que de la
représentation : « S’il s’agit de raconter une histoire, le théâtre en effet ne
m’intéresse pas. Les histoires ? Elles sont les mêmes depuis la nuit des temps… Le
théâtre qui me passionne est au contraire un lieu où l’on officie, un lieu rituel…. »12 .

10 Pierrot Bidon, Théâtre aujourd’hui N°7, op. cit. , p.66.
11 Propos issus de l’émission d’Yvonne Taquet « Le bon plaisir de Bartabas », France-Culture, cités dans
Théâtre Aujourd’hui N°7, op. cit.
12 Télérama N° 2791, 9 juillet 2003


Au croisement du Cirque et de la Free Party :20
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Cette démarche est peut-être à rapprocher de celle de Découflé
qui se demande « A quel moment le réel se met-il en scène ? »13

Enfin, nous tenions à évoquer le travail de la compagnie Cahincaha,
aux contours artistiques peut-être plus nuancés que ceux des
deux compagnies précédentes. En témoignent des extraits du dossier
présentant leur deuxième spectacle contes de Grimm, contes de
l’ombre, alors en phase de gestation :

« Une poursuite de notre mission tient dans le choix de l’orchestration du
chaos : équilibrisme sur la fine ligne entre la performance contemporaine
et l’art populaire ».
« Nous avons l’intention de continuer à développer nos méthodes de
travail qui passent par la collaboration, la célébration, la recherche de
spiritualité, la provocation, la politique, la diversification, la richesse et la
rigueur. »
« Le mélange des formes et des cultures continue de s’imposer à nous,
c’est le travail type du nomade : traverser des frontières, résister aux
catégorisations et à tout autre enfermement, accepter les différences pour
accomplir des tâches collectives : cirque, marionnettes, théâtre, musique,
danse, art plastique, fête, nourriture, film… »

A propos de Chiencru, leur précédent spectacle : « C’est une recherche sur
la place du sacré, aliment essentiel de l’être humain dans notre monde.»
Les thèmes de cette compagnie sont : la chute (la condition humaine :

’’la chute de l’homme immortel dans le temps et la fragmentation’’),
le sacrement, la guerre, l’érotisme, « pour un théâtre d’image très physique. »14
Les scénarios sont basés sur l’absurde et l’analyse sociale.

On s’aperçoit au regard de ces aventures artistiques que les
compagnies de nouveau cirque, ne piétinent les lois du cirque classique
que pour mieux les refonder. Et lorsque le cirque se fait bousculer, cela

13 Théâtre Aujourd’hui N°7,op. cit. , p.134.
14 Toutes les citations concernant la compagnie Cahin-Caha proviennent du dossier ‘’Cahin-caha’’, centre de
documentation de HorsLesMurs, Paris 19ème .


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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permet, à nous spectateurs, de mieux saisir ce qui en fait l’essence
même.

Ces expériences, sans concession, nous intéressent
particulièrement, en tant que chacune d’elle à sa façon interroge une
vision particulière du monde que nous chercherons à mettre en
résonance avec celles des acteurs de la Free Party.

• Caractères intrinsèques du cirque
Nous nous référons maintenant des extraits des deux revues
précédemment citées qui mettent en avant des caractéristiques
intrinsèques au cirque : sa dimension sémiologique, son rapport
particulier à l’espace et au temps, sa recherche métaphysique, la nature
trouble de ces origines.

o
La sémiotique
Cet extrait définit le cirque, art du signe, comme rituel:
«… Une suspension physiologique du temps […] ordonnait un espace où
chaque évolution renvoyait à une idée (beauté, courage, dépassement).
Cette idéalisation du geste tendait à rendre abstraite la construction des
signes de piste. Il faut aller jusqu’à parler d’un « signe pur » dépouillé de
tout fondement signifiant ou astreint à la pesanteur du référent.
On omet souvent de dire qu’à l’origine, le cirque n’est pas censé faire
sens. Cette insignifiance défiait toute emprise psychologique du discours.
Elle n’offrait aucun droit à une interprétation autre que métaphysique.
Réfractaire à toute assignation à représenter, le cirque a pu s’extraire de
la passe proprement théâtrale, celle de l’écoulement du temps dans un
monde hors temps, l’arrivée du sens dans un univers dédié au signe […]
Parce qu’avec le temps, vient l’incarnation munie de son inévitable drame
de la matière. »15

15 Théâtre Aujourd’hui N°7, Le cirque Contemporain, la Piste et la Scène. Cirque, la tentation du
théâtre, Yan Ciret, p.58/59

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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La mise en oeuvre d’une nouvelle écriture dramaturgique est
passée entre autre par la volonté de donner du sens au geste du cirque.
A cet art qui ne parle qu’avec des images.

L’intérêt du signe vis à vis du sens est pourtant défendu. L’intérêt
du cirque n’est pas la quête de sens. Certain y voient l’élimination du
subjectif. Il se bat contre ce ‘’ psychologisme triomphant ‘’ en mettant le
corps en jeu. En présentant un corps non stérilisé, il détruit ‘’l’intériorité
feutrée du théâtre moralisateur’’. Le corps dans le cirque prétend,
comme l’indiquera Artaud, accéder ‘’ à la dignité du signe ‘’.

o
La métaphysique
Le cirque est perçu comme un monde du pré-langage, d’avant la
chute. On n’y trouve ni discours, ni représentation. Le cirque est
immédiat et éphémère. Le temps est celui de « la présentation ». Il nous
projette traditionnellement dans un ‘’ monde de vibration décuplée ‘’,
constitué d’ ‘’ une succession de pur présent intensifié ‘’ :

« Une essence du cirque […] est toute entière contenue dans sa
métaphysique : ni le temps ni l’espace, ni la vie ni la mort ne vont de soi.
[…] C’est de toute autre chose qu’il s’agit. D’un lieu profane et tout entier
consacré à la révélation […], la courbure du temps n’a ni bord ni fin, […]
l’espace n’a pas livré tous les secrets de ses dimensions, […] la vie n’est
qu’un passage dans le cercle de l’éternel retour.»16

Le cirque est un lieu d’une grande porosité, sans dedans ni

dehors : « Le plus intéressant dans le cirque réside dans la dilution de la frontière
entre le dedans et le dehors »17 .

16 Idem

17 Théâtre aujourd’hui°7, op. cit..
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Le cirque signifie l’impureté des genres, des registres, des
disciplines. Il y a travail sur les frontières, l’entre-deux, du passage en
temps que révélation, de la métamorphose. « Le local est en prise avec
l’universel ».

o
L’anthropomorphisme
La frontière entre l’homme et l’animal questionne le cirque :
« Le discours du cirque n’est jamais politique ou social, il porte sur les
éléments qui fondent l’espèce humaine, qui décrivent sa place dans une
cosmogonie. Il n’essaie pas de représenter, mais de présenter le réel
sous toutes ses formes, ses extensions spatiales, temporelles. Il y est
question de voler, de marcher, de se suspendre, de s’élever, de tomber,
de tout ce qui touche les lois de la pesanteur et de la gravitation des
corps. L’art de la piste se situe toujours dans une lignée organique de
transmission du savoir qui le fait correspondre à une anthropologie
incarnée.
C’est la séparation et l’union de l’univers humain et animal, leur contiguïté
contagieuse. »18

o
La cruauté
Le désir de voir à tout prix étant la base du contrat passé avec
chaque spectateur des « scènes dans le cercle », il n’est pas étonnant
de constater l’existence d’un « petit théâtre de la cruauté » inhérent au
cirque. Il existe des éléments de violence qui traversent les arts de la
piste.

Et c’est de l’alternance de ce ‘’ mouvement Sadien ‘’ et des
‘’ aspects séraphiques ‘’ ( bisexuel, d’avant la chute originelle) qui fonde
’’ l’Ambivalence Primordial ‘’19 . Cette oscillation définissant une

18 Anthropologie, in Artpress, le cirque au-delà du cercle, op. cit. , p. 162.
19 Yan Ciret, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:04:32

19-11-12 · 219

  

conception propre à une certaine idée du cirque, on perçoit alors
l’étrangeté du monde, et sa propre différence (solitude ?) irréductible.20

Trouver l’étranger en nous (jusqu’à l’horreur) se révèle alors
comme la condition de notre acceptation du monde.21 Le théâtre est la
mise en scène de cette acceptation.

Le baroque, si cher aux circassiens, se définit
comme ‘’ l’irrégularité qui entache la perle dans sa perfection ‘‘. L’arc de
cercle de l’hystérie est une figure circassienne classique.

Deux mythes, impurs, fondent le cirque : les jeux du cirque – tels
que définit par l’Antiquité-et l’arche de Noé. Cette image du cirque est
éloignée de l’idée d’un spectacle policé, fait pour les enfants (certains
ont tendance d’ailleurs à oublier que l’enfance est aussi un espace
trouble et cruel…).

Au commencement du cirque, est la confluence de différentes
pratiques issues de la rue et du champ de foire. Ce n’est qu’au début du
siècle dernier, qu’il y a séparation entre attraction foraine et piste.

« Les entresorts et leurs exhibitions de phénomènes, de monstres de

toutes nature, ne peuvent plus figurer aux nombres des spectacles

admissibles. »22

Le cirque est à l’inverse de la pureté (dont on connaît les dérives
fascisantes…), le lieu de toutes les mixités. C’est peut-être pourquoi
l’image de notre monde se trouble, une fois passée à travers le prisme
du cristal forain.

Nous avons donc présenté les fondamentaux du cirque, et les
éléments de rupture entre cirque traditionnel et contemporain, ainsi que

20 Ce mouvement est à rapprocher de celui qui fonde la tragédie selon Nietzsche – cf. supra, partie III.III
21 voir le texte de Dagerman en annexe
22 Théâtre Aujourd’hui°7, op. cit.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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les styles artistiques adoptés par ce dernier. Nous pouvons constater
que le nouveau cirque ne renie pas le cirque traditionnel, il le refonde.

Il a été surtout été mis en avant certaines caractéristiques
essentielles au cirque de toujours :


Le cirque n’utilise pas la forme verbale, mais a développé d’autres
styles de langages en privilégiant particulièrement le travail sur le
corps. Il ne prône aucun discours politique ou social.

Le cirque traditionnel présente ses numéros, il ne représente pas,
le travail est sur le signe, non sur le sens. C’est le nouveau cirque
qui a apporté la narration.

Le cirque, foncièrement profane et métaphysique, développe un
espace/temps particulier, questionne nos origines et la place de
l’homme dans la nature.

Sous ses apparences formelles « lisses», voire empreintes de
naïveté, le cirque est un art trouble et cru.
I.III. La musique, élément artistique fondamental du
cirque
La musique est l’un des fondamentaux artistiques constitutif de tout
spectacle de cirque. D’origine militaire, elle y est forcement fonctionnelle.
Traditionnellement, il existe une ‘’musique de cirque’’, aux grands éclats
de cymbales et aux rythmes chaloupés, dont les instruments
incontournables sont les cuivres, les bois, les percussions (jamais de
cordes ou de claviers…). Cette musique très connotée (on reconnaît
immédiatement la musique de cirque), véhicule inévitablement son lot de
clichés.

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Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Désormais, tous les styles de musique se mélangent (opéra,
classique, jazz, rock, musiques du monde, contemporain…), participants
privilégiés du perpétuel enrichissement qui traverse les Arts de la piste
(la connotation sociale des genres musicaux colore une compagnie de
cirque…). Si bien que l’on se demande s’il est possible de réduire ces
créations musicales à de la simple ‘’ musique de cirque’’. Car, avec la
narration, la relation à la musique a été l’un des grands bouleversements
dans l’univers circassien.

I.III.I. Musique et cirque
• La musique de cirque
Discipline et rigueur sont des caractères communs aux arts du cirque
et à la musique, surtout dans leur capacité à les faire oublier. Ceci
explique peut-être que la place de la musique au cirque semble
évidente. Il est intéressant dans la perspective de notre étude de
rappeler que la ‘’musique de cirque’’ (traditionnellement) est considérée
comme bruyante, et que le silence, insolite, y est synonyme de danger…
Le cirque aime à envelopper son public de sonorités. Bien sûr,
l’orchestre est là pour accompagner les artistes, les soutenir, leur
communiquer sa force tonique, mais la musique à aussi se pouvoir de
rassembler de rassembler tous ceux qu’elle touche au même moment, et
donc de mettre en ‘’communion’’ artistes et spectateurs.

• La création musicale
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Le nouveau cirque met la musique, et particulièrement le Live (en
direct) à l’honneur. C’est devenu la colonne vertébrale du spectacle,
capable d’assurer de fines liaisons entre les numéros.
La contrainte de la musique pour le cirque, est l’aspect aléatoire de
certains numéros acrobatiques, dont la durée n’est pas fixe. La musique
se doit d’être flexible. Elle est alors construite en boucle, ou en ruban.
Une affirmation revient pourtant souvent chez les musiciens ayant
travaillé pour du cirque : c’est un lieu de liberté totale pour la création.

« Les artistes de cirque déploient une énergie fantastique. Ils sont les
artisans d’un théâtre sauvage, démystifient. La danse contemporaine
semble un peu déshydratée, et le théâtre impose au compositeur une
approche microscopique de la musique. On travaille dans le minimum. Au
cirque, c’est diamétralement opposé : le musicien travaille dans le
macroscopique […] [La musique de cirque] s’adresse encore au grand
public. Je la trouve même sexuée, sexuelle. Cette musique-là n’est pas
encore ni intello ni prolo. Elle est simplement libre, sauvage. »23

Autre exemple, Roland Auzet, percussionniste travaillant pour
l’IRCAM (l’un de ses travaux pour le cirque a consisté a considéré le
chapiteau comme un gigantesque instrument, dont il a samplé les bruits
(grincements, cordages…), ainsi que ceux qui l’habitent (trapèze en
mouvement, sauts, souffles des artistes…)). Il parle de la construction de
‘’paysage sonore’’, d’un ’’théâtre musical interactif’’ où se noue
‘’l’abolition des frontières entre le réel et le vrai’’24 . Comme l’ensemble
de ses confrères, il souligne l’importance de ne pas tomber dans
l’illustration, de ne pas faire de la musique redondante, qui seulement
accompagne.

23 Philippe Foch, Arts de la piste N°27 ‘’musique et cirque’’, Ed. HorsLesMurs, Paris, Janvier 2003, p.23
24 Roland Auzet, Art de la piste N°27, op. cit. , p.22.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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I.III.II. Les différentes interactions possibles entre musique et
cirque.
La question de l’interaction entre geste visuel et musique constitue
le cas particulier d’un problème général, nommé synesthésie (accord
des sensations provoquées par des moyens de natures différentes).
Cette relation spécifique peut être de trois ordres principaux : La
symbiose, l’écart, l’analogie. Nous nous sommes permis de reproduire
une part importante d’un article définissant ces notions.

• La symbiose
« Dans la symbiose, nous n’avons pas l’impression que le geste commande la
musique ou l’inverse, que la musique ‘’accompagne’’, ‘’illustre’’, ‘’enrobe’’ mais au
contraire que le geste et la musique procèdent tous deux d’un principe unificateur
transcendant, que l’on pourrait nommer tantôt ‘’dramaticité’’ tantôt ‘’chorégraphicité’’
et plus généralement musicalité, ou encore énergie ou rythme ; Comme le disait Paul
Klee : ‘’Un rythme, cela se voit, cela s’entend, cela se sent dans les muscles’’. La
symbiose repose donc sur une musicalité intrinsèque du geste de cirque. Elle est à
l’état pur dans quelque cas, […] où la musique sourd du geste lui-même, ou encore
lorsqu’elle est produite par l’agrès ou l’accessoire lui-même […]. Autre cas évident :
les acteurs de cirque sont eux-même musiciens ».

• L’écart
« L’écart consiste à l’inverse à dissocier le visuel et le sonore pour jouer du
contraste entre les registres du sensible. Le cas extrême est le silence, qui met en
exergue la ‘’pureté’’ du geste pour le geste […], ou à l’inverse la saturation musicale
[…]. Les cas intermédiaires jouent sur le désaccord rythmique (musique ‘’étale’’ sur
geste très syncopée ou l’inverse) ou dramatique (musique joyeuse sur geste
éprouvant), pour crée des effets de tension. Notons que l’écart maximal comme on
l’observe par exemple, entre les chorégraphies de Merce Cunnigham et les
musiques de John Cage, et qui consiste à refuser toute idée de connexion – et de

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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tension – entre les deux formes d’expression, comme si elle relevaient chacune d’un
‘’univers parallèle’’ est très rare au cirque. »

• L’analogie
« L’analogie reste le mode de relation le plus fréquent. Comme en danse
classique (ou de salon), le geste et la musique sont reliés par la motion
d’expressivité : ils sont sensés se renforcer l’un l’autre, jusqu’à la redondance
musique de tango ‘’illustrant’’ une scène de ménage, musique de rock soulignant une
rébellion, musique romantique renforçant un geste langoureux, etc. Dans le meilleur
des cas, l’accord confine à la symbiose, mais trop souvent on perçoit un écart non
voulu : la musique a l’air d’épouser le geste mais on la sent plaquée ou bien une
musique intéressante masque un geste creux. Le paradoxe de la relation analogique,
c’est qu’on peut aisément dissocier le geste et la musique alors même qu’ils
semblent se soutenir l’un l’autre : sur la même, on pourrait placer des gestes
différents, sur les même gestes jouer une autre musique. Les artistes sont de plus en
plus conscients du risque de la ‘’fausse justesse’’ qu’implique ce mode de relation, et
c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles musiciens et artistes de cirque
créent aujourd’hui ensemble, et se retrouvent ensemble sur le même plateau ou sur
la même piste.

Dans tous les cas -symbiose, écart, analogie – la relation entre musique et
cirque n’est intéressante que pensée, que consciente de ces effets probables sur le
public, sur le corps des interprètes… et sur la relation entre artistes de cirques et
musiciens. Car au-delà des spéculations un peu abstraites sur les rapports entre les
arts, la vraie question, fort prosaïque, est celle des rapports entre les artistes, en
particulier entre les musiciens et les autres, rarement soumis aux même contraintes
économiques et sociales. » 25

25 Guy Jean-michel, Musique : simple accompagnement de numéro ou fondement musical ? , in Arts de la piste
N°27, op. cit. , p.27.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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La question de la création musicale et du rapport entre musique et
cirque est évidement incontournable pour ce qui est de penser la
rencontre entre la musique techno et les arts du cirque.
Nous avons donc abordé dans cette partie:


La notion de ‘’musique de cirque’’ dans le cirque traditionnel et ses
caractéristiques.

L’importance de la création musicale et de la musique Live dans le
nouveau cirque.

Les trois relations spécifiques entre musique et geste : la synergie,
la rupture et l’analogie.
I.IV. Le nomadisme
Après 1968, le cirque symbolise l’art de la fête et de la marge : la
fête, qui ne se limite pas à la simple représentation, mais fait évènement
au sens fort, et la marge considérée comme une micro société
autonome, non soumise aux règles sociales. On peut prendre l’exemple
du Living Theater, fortement inscrit dans la démarche artistique du
Happening, qui efface la ligne de démarcation entre cabaret et cirque ;
ou celui du Magic Circus qui véhicule l’utopie de la fête permanente.
« Le portrait de l’artiste en saltimbanque »26, le mythe de la baraque de
foire, le nomadisme, sont fantasmés et prennent une valeur subversive.

L’itinérance est rêvée comme une alternative à la solitude et au
chômage. Et la pratique foraine liée aux notions de proximité et de
spectacle.

26 Starobinski Jean, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Skira-Flammarioin, 1983
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Cette partie, qui clôt notre tour d’horizon de l’univers circassien,
peut-être considérée comme centrale, car l’itinérance, le campement, le
collectif, sont des points de convergences évidents entre le cirque et la
free party. L’un des buts de ce travail est de définir la notion d’art
nomade.

Les trois sources qui viennent éclairer notre réflexion sur ce sujet
sont des éditions de HorsLesMurs, centre de ressource des arts de la
rue et de la piste. Cette association nationale a été créée en 1993 à
l’initiative du ministère de la Culture pour assurer le développement de
ces secteurs.

Notre première référence est le numéro 2 de « Scènes
Urbaines, Art/ rue/ espaces / publics », dont le sujet est « Théâtres
nomades. » Il ne s’agit pas d’une réflexion sur le cirque, cependant le
rapport à la création artistique du théâtre et des arts de la piste semble
se confondre lorsqu’ils ont en commun ce désir d’itinérance. Nous
considérerons donc que le contenu de cette revue entre en résonance
avec notre sujet. Notons que ce sujet avait déjà été brillamment traité
dans le Cassandre numéro 43 : « Chantier nomade » (Ces deux
dossiers ont été coordonnés par Alix de Morant.)

Nos deux autres sources sont les numéros 17 et 24 de « Arts de la
piste », dont les sujets de dossiers sont respectivement « La troupe et le
collectif » et [le] « Campement.»

Il est donc ci-après exposé un certain nombre de réflexions sur la
notion de nomadisme, emprunté aux auteurs au fil de ces différentes
lectures.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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I.IV.I. Art nomade
• Art nomade et institution
« Le théâtre de rue tend aujourd’hui à se structurer en prenant

garde d’éviter les modalités d’une institutionnalisation dangereuse,

sclérosante mais nécessaire à la qualité de la création et à la

pérennisation du mouvement »27

Ainsi, alors qu’être bohême semblerait aujourd’hui réduit à un
phénomène de mode (mais que les gens du voyage sont toujours plus
marginalisés), la vitalité du théâtre nomade conteste, comme à chaque

crise de la représentation théâtrale en Occident, « la boîte noire et son
isolement 28». Elle remet du même coup en cause la « domination
insolente de l’institution théâtrale 29 ».

Ces artistes ne semblent se soucier ni de l’économie des festivals, ni
des directions sur l’excellence artistique émise par les institutions. La
question de « la création en dehors de la convention » est manifeste.

o
Nomade, un choix de vie particulier
L’itinérance est pensée comme mode de création. Le savoir-faire
s’en trouve réhabilité : «Tous ont fait le choix d’un théâtre rudimentaire et
sans faux-semblants où l’esthétique se coltine la mécanique 30 ». Et à
Alexandre Romanés d’ajouter que « Ce ne sont pas les cinq minutes
passées dans la piste qu’il faut voir, c’est tout le reste31 ».

La mobilité de la troupe (comme autrefois celle de Thepsis et son
chariot, des Italiens et de la commedia Del art, de Molière…)32, réfute les

27 Alix De Morant, Scène itinérante - Emergence, résurgence, Université Paris X, 1999
28 Jean-Luc Baillets, Théâtres nomades, Scènes urbaines, HorsLesMurs, Paris, 2002, p.4
29 idem, p.4
30 Anne Quentin, L’odyssée des théâtres à roulettes, in Théâtres nomades, op.cit, p.26.
31 Romanès, Un peuple de promeneurs, Ed. Le temps qu’il fait, Cognac, 2000, p.68
32 voir André Degaine, Histoire du théâtre dessinée, édit. Nizet, 1992.

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impératifs de vitesse et d’efficacité pour réinstaurer « le théâtre comme
un périple, la vie comme un voyage »33 .

L’artiste nomade, minoritaire, doit constamment adapter son
dispositif au contexte et non l’inverse. Ce saltimbanque a fait le choix
d’abolir la frontière entre son art et sa vie, il s’immerge alors dans un
« processus quotidien faisant fi de cette reconnaissance qui se juge à
l’aune de la visibilité 34 » . L’artiste nomade est en effet un rien
caricatural. On rejoint la conception du comédien selon Copeau, Léon
Chancerel et ses Comédiens routiers, pères de la décentralisation
dramatique.35

o
Un art non institutionnalisé.
Dans cet article titré « Entre le dehors et le dedans », Alix De
Morant évoque enfin « un théâtre d’accès facile, de petite jauge, renouant avec
la nécessité première de la communauté de l’instant, capable de poser en un rien de
temps son bagage poétique au milieu de tous, [qui] propose ainsi de rompre avec le
quotidien pour voyager vers l’ailleurs. »36

« On peut observer que dans la société occidentale le lieu théâtral
obéit de façon synchronique à une oscillation dessinant un schéma
dialectique connu : espace/action, dramaturgie/architecture, abri/édifice,
hors les murs/dans les murs, dispositif/décor, mobilité/stabilité,
provisoire/permanent, marginalité/centralité. Le rapport entre théâtre fixe
et théâtre ambulant s’inscrit dans ce jeu d’oscillation. »37

33 Alix De Morant, Théâtres nomades, op. cit. , p.5
34 idem, p.6
35 voir Abirached Robert, histoire de la décentralisation, le premier age 1945-1958, Actes Sud- ANRAT, 1992.
36 Alix de Morant, Théâtres nomades, op.cit., p.6
37 Alix De Morant, Scène itinérante- Emergence, résurgence, op.cit.

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o
La ‘’philosophie’’ du démontable.
Outre la question artistique, dans l’article « Architecture nomade, la
philosophie du démontable », Patrick Bouchain, architecte et
scénographe, rappelle que plus de la moitié de l’humanité vit sous le
seuil de pauvreté, que peut-être un tiers n’a pas de toit. Lorsque l’art se
fait sous un bout de toile, il se rapproche de l’ensemble de l’humanité.

L’art nomade semble alors, au-delà de la représentation, véhiculer
certaines valeurs : le travail : « ni un labeur, ni du divertissement, mais les deux
à la fois. […] Quand on sait pourquoi et pour qui on soude, on soude mieux. » ;
l’hospitalité : « être dans la mobilité et se présenter aux autres comme un étranger,
c’est enrichir l’humanité de la présence de l’autre 38 ».

« Monter, démonter, être là puis disparaître, aller au devant des gens et

du public sans attendre qu’il vienne à toi »39 .

Philosophe aussi, Napo, constructeur de chapiteaux et de
structures pour le spectacle vivant, suggère: « Avec les structures
démontables, il s’agit d’échapper à une société qui veut tout encadrer, tout régir. »

L’architecture non pérenne remet en cause les principes de la

commande, la propriété, la responsabilité…

« Le vide n’intéresse personne quand il est délaissé, mais si on s’y

installe, cela inquiète. Nous avons perdu cette idée de gratuité dans notre

société. (…) Les artistes, en s’installant sur ces « délaissés », créent de la

valeur autre que marchande et spéculative. (…) Leur travail intuitif,

spontané, tout ce non programmé fait aussi partie de la ville. »40

• Le rapport au public
Igor et Emmanuel de Véricourt, de la Volière Dromesko, proposent,
en regard de leur spectacle La Baraque, un rapport différent au public,
particulièrement nourrissant pour notre réflexion.

38 Bouchain, Théâtres nomades, op. cit.
39 Napo, Théâtres nomades, op. cit. , p.15.
40 Bouchain, Camper sur ces positions, in Art de la piste N° 24, p.25


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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« Entre eux, entre nous
[…]


Igor : Au bout de deux heures, on fait des choses qui auraient été
totalement impossibles et fausses dans un espace temps plus rétréci…
Les gens savent qu’ils sont venus voir un endroit atypique, mais quand la
musique s’arrête après deux ou trois morceaux, le silence peut planer
quelques minutes avant qu’ils se mettent en état d’être présents les uns
aux autres. Heureusement qu’on est là pour les bousculer un peu […].
Après, ils arrivent à nous oublier complètement et il faut de nouveau
creuser pour amener de nouveaux éléments.

Emmanuel : Au théâtre, d’habitude, on ne regarde pas son voisin.
A la cantine, on mélange les gens, on les confronte les uns aux autres. On
provoque la rencontre tout en la contenant pour qu’elle ne déborde pas
notre propos. […].

Théâtres
Igor : C’est une traversée de trois heures qui peut parfois durer
huit heures. C’est là pour nous l’endroit de la réunion. (…) »41

« Notre utilisation de l’espace est impulsée par notre vision du rôle du
spectacle itinérant, sa relation privilégié avec les spectateurs : convivialité,
mystère, surprise et mouvement. Nous croyons pouvoir provoquer une
rencontre authentique »42

Bruno Tackels, dans l’article Le campement, outil de résistance43

rappelle que « face à ces guerres qui appellent à résister, il fallait créer ces
contre-espaces actifs, vite dérisoires, et pourtant inextinguibles, où la parole tient
bon et fait tenir. »

Il définit aussi la « dépense », comme un événement (une fête)
faisant effraction dans le cours de la vie. « Un excès dont l’ordinaire croit

41 Alix de Morant, La baraque, la traversée des apparences, p.4, 1 in Théâtres nomades op. cit.
42 Cie cahin-caha, dossier de presse de la compagnie, centre de documentation de HorsLesMurs, Paris 19eme.
43 Bruno Tackels, Le campement, outils de résistance in Théâtre nomade, op. cit. , p 44

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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ne pas avoir besoin ». C’est au mythe salvateur de Dionysos auquel on
fait ici référence.44

« Cet édifice qui se déplace et se construit en une nuit, qui apparaît et
disparaît comme quelque chose de fugitif et libre, c’était le merveilleux
qui entrait. »45

I.IV.II. La figure du campement
Le campement est une figure hautement symbolique du cirque de
toujours, qui met encore une fois en avant cette confusion entre mode
de vie et mode de création. Le nomadisme ne se réduit pas alors
simplement à ce parfum de liberté et d’errance, mais une véritable
philosophie de l’échange pour « un collectif en mouvement ».46

• Espace et temps du campement
Tout le cycle du bivouac s’organise autour des phases de
montage et de démontage. « Toujours le campement montre l’engrenage de
trois phases de reconstitution : du spectacle, du matériel et de la force de travail. »47

De même, le campement n’est pas qu’un site d’hébergement :
Cette cité faite de toiles et de roulottes, qui se déploie et s’organise
toujours autour du même axe fondamental, la piste, peut-être tout à la
fois considérée comme le décor du spectacle, un mode de production,
et représentatif d’un style de vie et de pensée. Le cirque, c’est avant
tout la figure du campement, et donc du cercle. La mythologie de
l’errance en troupe est une image puissante et intemporelle des artistes,

44 voir Maffesoli, L’ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de l’orgie, librairie des Méridiens, 1985.
45 Fernand Léger, Le Cirque, éd. Teriade, Paris, 1950.
46 Arts de la piste no24, Editorial, Ed. HorsLesMurs, 2002
47 Emmanuel Wallon, Arts de la piste N°24, op. cit. , p.15.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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poussés à recréer en même temps leur lieu de vie et leur raison d’être :
la représentation48

• La symbolique du repère
Choisir l’itinérance repose sur le désir puissant d’échapper au
code d’une société sédentaire par trop policée. Mais le nomadisme est
au départ du moins, rappelons le, une obligation économique. Donc un
choix loin d’être évident. Le voyage, véritable rite de passage, relève
des trois étapes « de la séparation, de l’isolement et de l ‘agrégation »49 .

Ainsi, en clin d’oeil aux artistes de la route, on peut évoquer leur
besoin de repère. Le campement est un lieu refermé sur lui-même,
fermé donc au visiteur, et organisé autour de la vie de ses habitants.

La piste est un espace codifié par sa dimension, son décor. C’est
un cadre familier où qu’il soit installé. La caravane est tenue pour un
lieu secret, hautement intime.

I.IV.III. La troupe et le collectif
Le monde du cirque est l’un des derniers en matière d’art vivant à
fonctionner sur le modèle du collectif, de la troupe. Mais au-delà des
images éculées du communautarisme, ces groupes se perçoivent
désormais plus comme une collection d’individualités, où l’on prend en
compte la singularité de chacun. On parle de tribu solidaire, mais nous
sommes éloignés de cette « incapacité à penser l’individu séparément
de l’espèce »50 qui caractériserait le « primitif »…

Ces collectifs sont les inventeurs critiques de nouveau sentiments
d’appartenance. L’équilibre de la troupe tient en une alchimie secrète que

48 voir La troupe et le collectif, Arts de la piste no17, Ed. HorsLesMurs, 2000
49 Arnold Van Gennep, les Rites de passage : étude systématique des rites, Paris, éd. Picard, 1981, cité dans La
symbolique du repère, Arts de la piste, N° 24, op.cit., p.21
50 Durkeim, Les formes élémentaire de la vie religieuse, P.U.F, 1968, p.227, cité dans L’ombre de Dionysos, op.
cit. , p.68.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
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« l’impatience de traverser la vie au plus vite, pour échapper au reste du
monde, peut briser. Intégrer une troupe, c’est aller vers le ‘’ tout ’’ et faire
don de son inconstance »51. Ce qui est sans doute le cas dans n’importe
quelle aventure vécue au sein de l’art vivant.

• L’individu et le collectif
En interrogant les oeuvres de compagnies de cirque contemporain, on
peut observer en filigrane les questionnements que ces collectifs
traversent en ayant choisi ce mode de vie particulier. La plupart des
compagnies se disent apolitiques, cachent le politique sous
l’esthétique, mais celui-ci suinte de partout. Dans le nouveau cirque,
peu de personnages sont socialement typés, c’est l’éternité de
l’homme qui est incarnée, plus que la société qui la traverse. Et il est
souvent question d’êtres qui sont en conflit pas. Il est sujet entre autre
de la difficulté de s’aimer, de cohabiter ou pas. C’est le « solisme »52
qui est mis en scène, où cette impossibilité de pouvoir exister sans
autrui et la difficulté d’exister avec.

La cohésion du collectif tient donc, les spectacles le laissent
transparaître, dans la difficulté d’établir un équilibre entre le désir
d’entreprendre ensemble et le besoin de garder sa liberté individuelle.
La caravane est alors perçue comme un intermédiaire entre la
résidence collective et l’habitat individuel.

L’affectif est donc autant un facteur de cohésion que de division ;
le but affirmé étant la réussite d’une oeuvre commune.

« Un campement, c’est un village qui se déplace, le tissu social est très
important en tournée »53 .

51 Tierry Voisin, la troupe et le collectif, in Arts de la piste no17, éd. Horslesmurs, 2000.
52 Jean-michel Guy, l’oeuvre composite, métaphore social, in Art de la piste no17, op. cit. , p.16
53 Roger Peyramaure, Cie des oiseaux fous, Art de la piste no17, op.cit., p.22

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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L’aspect familial n’est pas complètement exclu du nouveau
cirque, des couples formant souvent la base de la troupe. La différence
essentielle avec le cirque traditionnel est un sens de la hiérarchie
moins affirmé dans le partage des responsabilités.

Nous pouvons donc déterminer quatre caractéristiques du
nomadisme :


L’art nomade se construit en s’opposant à un art institutionnel,
notamment dans la recherche d’un rapport autre au public.

C’est un art où mode de vie et mode de création sont confondus.

Le sédentaire a vis à vis de l’art nomade et de son image
autarcique un double mouvement d’inquiétude et de fascination.

La question existentielle de la place de l’individu au sein du
collectif.
Lors de notre tentative de rapprochement du cirque et de la Free
Party, cette définition de l’art nomade nous sera précieuse pour
comparer l’itinérance tekno et circassienne.

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Partie II :
Free Party :
Le mouvement sans concession.

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Le but de cette deuxième partie est de mettre en évidence l’état
d’esprit qui émane de la free party, tant par les valeurs qu’elle prône que
par sa démarche artistique.

II.I. Genèse de la Free Party
Cette partie prend appui sur une émission programmée sur France
Culture en août 2002, elle s’intitule « Sound system et Free Party,
cinquante ans de musiques amplifiées et voyageuses. » Elle intègre une
série d’émissions sur le nomadisme.
Nous ne nous intéresserons qu’aux deux derniers chapitres de ce
panorama, qui raconte et analyse la naissance de la Free Party en
Angleterre, puis son expansion dans le reste de l’Europe occidentale.

Tout comme l’historique du cirque dans notre première partie, le
rappel de ces évènements permet de déterminer les lignes de forces
tracées par ce phénomène.

II.I.I. L’acid* House* s’organise autour des sounds systems.
Les musiques amplifiées sont déjà une constante culturelle (ou
contre culturelle) en Grande-Bretagne. Le sound system a quitté la
Jamaïque avec les immigrants caribéens pour s’implanter en Angleterre.
Le déclic viendra d’un autre pays, l’Amérique, où naît l’acid House. Elle
suscite une véritable révolution sociale en Europe.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Les raves, fêtes où l’on écoute cette musique au son caractérisé
par des « volutes hypnotiques et synthétiques »54, engendrent plus qu’un
genre musical mais un certain mode de vie. Il devient pour beaucoup
générateur de profit. On s’adonne à la danse toute la nuit, et la fête se
prolonge souvent jusqu’au matin. Le rapprochement avec la drogue est
donc vite mis en avant.

Et c’est dans ce contexte déjà stigmatisé que vont apparaître les
« trublions d’un sound system d’un genre nouveau » : la Spiral Tribe, qui
se posent d’emblée hors du circuit des raves commerciales. A cela, ils
préfèrent les fêtes pirates, le plus souvent en pleine nature, et en toute
liberté.

« Les clubs vous vendent une bonne nuit : votre seule action est de vous
y rendre et de payer […] Le gouvernement sait cela, qu’il est dangereux
qu’un nombre important de personnes en harmonie les une avec les
autres se réunissent autour de quelque chose en complet désaccord avec
leur système de valeur. Ce système de valeur, c’est l’argent, et le nôtre
n’a rien en commun avec l’argent, c’est gratuit. On ne peut pas faire plus
antinomique. »55

En 1990, ils inventent le concept de Free Party et sont devenus
aujourd’hui un véritable mythe.
Leur route se perd désormais aux quatre coins du monde : nous verrons
comment la plus forte vigilance jamais organisée autour d’un groupe de
musiciens (depuis le mouvement punk) va conduire à une diaspora qui
touchera de plein fouet la France puis d’autres pays du sud et de l’Est de
l’Europe, qui prendront à leur tour exemple sur le nomadisme initié par la
Spiral Tribe.

54 Jean-Philippe Renaud, présentateur de l’émission
55 Simon Lee (Christal Distorsion), membre fondateur de la Spiral Tribe, Bruyante techno, réflexion sur le son de
la Free party, Edition Seteun, Paris, 1999, p.26

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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• Naissance de la spirale Tribe
« L’acid House est arrivé, et la séduction a commencé »56

Cette musique semble, pour les personnes qui la découvrent en
1988, agir comme une révélation. C’est une musique nouvelle, vecteur
de relations nouvelles. En tout cas, la House ouvre de nouveaux
territoires.

« Spiral Tribe a émergé de ce mouvement de ravers. Nous avons fait
connaissance au fil des fêtes (…) Nous expérimentions alors dans tous les
sens du terme, à travers les arts, les drogues, nous avons changé notre
manière de vivre, pour nous il s’agissait d’explorer, de s’ouvrir, de découvrir
la vérité. » 57
« Ensuite avec la commercialisation des fêtes, l’esprit acid House semblait
avoir complètement disparu, jusqu'à la rencontre avec des gens qui
squattaient une école, c’était Marc, Simon et Debby. En vérité, cette fête est
la première où l’on retrouvait vraiment l’esprit de 88. Il y a eut effet boule de
neige. (…) Il y a une envie massive des gens d’aller dans les champs, la
vibration est vraiment différente quand c’est gratuit ».58

Au bout de six mois, l’organisation de différentes fêtes permet
l’acquisition d’un sound-system. Le groupe décide d’aller poser59 au
festival de Stone Age, pour le solstice d’été. Ce festival est déjà depuis
les années soixante-dix, le symbole du conflit qui oppose « l’Etat » et les
« marginaux ».

« Nous sommes partis de Londres pour le festival, et nous ne sommes
jamais rentrés. Nous avons décidé de continuer le prochain week-end,
celui d’après. De plus en plus de gens venaient, ça a pris de
l’ampleur. »60

Les membres de la Spiral Tribe parlent de ce rassemblement de
stone age comme d’une grande révélation pour chacun.

56 Marc Harrison ( Stormcore), membre fondateur la Spiral Tribe
57 Sébastien (69 db), membre fondateur des Spirals
58 Idem
59 Le groupe décide d’aller installer leur système de sonorisation amplifié…
60 Marc Stormcore, op. cit.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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« Nous avons aperçu comme un grand éclair blanc, ça nous a fait
comprendre qu’il existait quelque chose de plus grand, de plus important
[…] que la nature n’est pas semblable à ce que nous avons appris à
l’école. Il y a une autre réalité. […] Ce n’est qu’au solstice que nous avons
compris pourquoi nous étions appelés Spiral Tribe. »61

Le passé mystique des alignements de Stone Age apparaît
évident. Il y a une recherche de spiritualité pour cette génération, mais
pas de modèle a priori, ni de croyance dans les religions dominantes. On
recherche dans des rites ancestraux, pour laisser s’épanouir ce qu’on
ressent dans la musique. Ces rassemblements sont autant un désir de
retour aux sources, qu’une façon de défier l’autorité (Stone Age est au
milieu d’une propriété militaire…)

Le mode social de la tribu sert un projet idéologique, il y a notion
de primitivisme, non régulé par la norme, l’institution.

Un sound system est monté avec une grande efficacité. Une free
peut-être installée en demi-heure. Dans une énergie quasi militaire,
similaire à un commando.

Chaque week-end, durant quinze jours parfois, des
rassemblements sont organisés. Il y a de plus en plus de sounds
systems, de plus en plus de monde. L’apothéose se déroule en mai 92 à
Castel Morton, au Avon Free Festival, la plus grosse rave illégale de
tous les temps.

« Une plante, ça germe, ça pousse, ça fleurit. L’épanouissement était si
énorme, si extraordinaire, l’autorité ne pouvait pas l’identifier. Ca ne
pouvait pas aller plus loin, ni du point de vue des politiques, ni du point
de vue de sa propre évolution. »62 .

Il s’ensuit un procès qui a duré plus de deux ans. Mais le groupe
veut continuer. C’est pourquoi ils sont allés en Europe.

61 Marc Stormcore, op. cit.
62 idem

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:13:41

19-11-12 · 219

  

Artistiquement, notons que le live*, plus que le mix*, permet d’être
sur l’instantanéité, il permet d’être en interaction avec le public, c’est une
matière « fraîche », sur le moment présent, ce qui alimente aussi la
dimension spirituelle. Il y a une énergie particulière qui vient de
l’évènement.

Le son, se durcit ensuite considérablement, à la hauteur de la
répression. « Cette bande sonore est ancrée dans une perspective idéologique :
une musique hardcore* pour un monde hardcore ».63

Les sounds systems vont rencontrer les travellers*. C’est la
mobilité comme idéologie.

II.I.II. De la rave au camion nomade, les sounds systems
s’essaiment en Europe.
Après l’éclosion de l’Acid House et des raves, les Sounds systems
retournent en plein air. En Jamaïque comme en Angleterre, la fête est
gratuite, ce n’est donc pas un phénomène récent. Ce qui est original,
c’est que ce mouvement touche un public marginal, laissé pour compte
par la société : les travellers. Ce sont des « écolos » tendance dure (Eco
warriors), des beatniks de la deuxième génération, ou tout simplement
des chômeurs envoie de marginalisation.

Le rassemblement de Castel Morton, en cela, inaugure la
rencontre inédite64 entre les sounds systems et les travellers. Ce
teknival rassemble plus de 50000 personnes, et est à la une de la presse

63 Citation de Mark Harrison, in Collin Matthew, altered state, the story of Ecstasy culture and acid House,
London, Serpent’s Tail, 1997,p.207. L’expression s’inspire, parait-il, du fameux “industrial music for industrial
people”.

64 On peut mettre en doute cette affirmation, au regard par exemple des photos de rassemblements d’Alan Lodge
(voir site web). Les travellers et les sound-systems tekno se sont sans doute croisés durant toute la période des
summer of love (les étés 87,88,89 où les parties ont pris leur essor en Angleterre) et entre autres aux
rassemblements de Glastemberry (89,90). Mais, il ne s’agissait pas alors à proprement parler de Free party…

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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et de la télévision durant quinze jours. On parle alors de « new age
travellers ».

Les Spiral sont alors poursuivis en justice, écroués, libérés contre
une grosse somme d’argent. C’est le début de la répression. La Criminal
Act Justice est adoptée. Elle fustige les squats, les rassemblements
illégaux et les sounds-systems, qui deviennent alors hors la loi.
La plupart des sounds systems font alors cause commune, et
contournent relativement facilement la loi. Mais les Spiral, ceux par qui le
scandale est arrivé, choisissent une autre voie : l’exil.

• La Zone d’Autonomie Temporaire : utopie pirate.
En 92 donc, ils quittent le pays et parcourent toute l’Europe du Sud
et de l’Est. De là naîtra le mythe de la Free Party. Une nouvelle forme de
résistance est née : le nomadisme tekno65 .

« Une heure avant la fête, nous ne savions pas où elle allait se

dérouler. C’est une question de mobilité. (…) C’est un très bon exemple

de zone d’autonomie temporaire (TAZ)66. Sitôt que quelqu’un essaye de

l’arrêter, elle a disparu. »67

La TAZ, phénomène analysé par Hakim Bey dans son ouvrage
éponyme68, est référence dans le milieu de la free party. C’est «une
insurrection qui ne serait pas tournée directement contre l’Etat, une opération de
guérilla qui libère une aire (de temps, de terrain, d’imagination) et puis se dissout
pour se reformer ailleurs à un autre moment avant que l’Etat ne puisse l’écraser ».69

L’écrit de Bey se présente comme un essai politique très vaste,
dont l’objet n’est pas le phénomène tekno, et qui englobe beaucoup de
notions différentes. Il critique entre autres la société du spectacle. Bey y
prône le fait de résister sans faire la révolution (vu que celle –ci ne fait

65 Tekno écrit ainsi désigne la fange alternative du mouvement…
66 Temporary Autonomy Zone ou T.A.Z…
67 Marc stormcore, op. cit.
68 T.A.Z. Hakim Bey, Editions de l’Eclat, Paris, 1997, trad. Christine Tréguier.
69 T.A.Z, Hakim Bey, op. Cit.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :47
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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que recréer ensuite un autre ordre institué…). La solution est l’échappée,
d’être mobile.

Il y a analogie entre la TAZ et le principe de fonctionnement d’une
free. On ne cherche pas la confrontation. On ne fait qu’apparaître et
disparaître. Il faut rester à l’écart de tout mouvement médiatique, viser
l’invisibilité.

Ces préceptes n’ont pas été respectés par le mouvement en
France, qui va bientôt céder à la tentation, en jouant le jeu des médias,
ce qui va concourir à l’explosion du phénomène en France, et donc
amener une répression accrue. Les principes de la TAZ, partiellement
respectés, ont coûté la vie au mouvement tekno dans ce pays.

«Quand nous organisions ces fêtes, nous n’avions pas de plan, pas de
politique, pas de philosophie. Il nous semblait naturel de continuer, de ne
pas s’arrêter, et voir ce qui allait arriver. Maintenant, je vois les choses
autrement. Tout le monde était très naïf. Et c’était une force. Nous étions
forts parce que naïfs. Nous ne savions pas que nous allions nous attirer
autant d’ennuis.
La TAZ existe dans toutes nos fêtes et exprime de manière exacte et
poétique quelque chose de très intéressant. Peut-être que les autorités
sont conscientes de tout cela et doivent le repousser de façon violente.
C’est le coeur, le noyau de toute fête. […] Là existe une résistance à un
régime autoritaire qui voudrait nous empêcher d’être connecté à vousmême
ou aux autres et d’exprimer cette créativité. Personnellement, je
cherche un espace créatif : La TAZ, zone de mobilité temporaire ou
semi-permanente. La vie est éphémère, nous sommes tous des
travellers. […]
Tous ceux qui ont participé à ces fêtes pour les organiser ou tout
simplement pour danser, ne peuvent comprendre le degré de violence
que les autorités sont prêtes à utiliser pour les arrêter.
La TAZ prend le parti pris de résister. Elle évite le conflit direct, mais
utilise le mot résistance. Moi, je veux résister […]

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Nous avons maintenant formé différents groupes (encore l’image de la
plante, qui sème, s’égraine). Nous sommes en rapport avec des gens de
différents pays. Avec d’autres sounds systems du monde entier. Nous
avons tout changé, pris des directions différentes. […] Le monde est
grand, si nous avions fait qu’un seul groupe, nous n’aurions pas pu aller
partout. Mais en tant que facettes d’un même mouvement, c’est déjà fait.
Nous sommes en contact avec presque le monde entier. Beaucoup de
groupes français que je connais font le tour du monde avec plein de
courage et pas d’argent, seulement leur talent. Ca marche, on peut-être
nomade toute sa vie, juste avec le message dans la musique. »70


La Free party arrive en France
A l’arrivée des Spirals en France en 92, des liens ont déjà été
créés avec la scène rock alternative. Quelques frees sont posés. Le
premier tekos en France est Beauvais, en 93, organisé avec Nomad,
premier sound system français. Le teknival, c’est un peu « le village
gaulois dans l’empire romain ». Il faut tenir le plus longtemps possible.
L’Angleterre est le brouillon de ce qui va se faire en Europe, elle joue le
rôle de déclencheur.

En Hollande, Allemagne, France, Portugal, partout où les Spirals
se déplacent, ils créent des émules, qui montent leur propre sound
system.
Les Parisiens découvrent l’esprit de la free party lors des afters*
organisés sous le pont de Tolbiac.

« C’est une scène alternative, qui a toujours prôné la gratuité, le droit
de faire la fête sans pour autant être parqué dans des clubs ou
même des raves légales. A la base, l’essence de la rave c’était ça :
on va dans un endroit complètement secret, nouveau, juste pour une
nuit, c’est gratuit, c’est géré par une bande de potes, du son à
l’organisation, à comment on « drive » les gens […]. Quand un

70 Marc Stormcore, op . cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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phénomène grossit, les débordements sont inévitables, là dessus, il
n’y a aucune discussion possible avec le gouvernement. Des
endroits, il y en a plein, il y a des usines à foison à l’abandon, vingt
potes se mettent deux mois dessus, et la rénovent, et font en sortent
qu’elle soit aux normes de sécurité, […] ils en font des ateliers et
parfois des fêtes à l’intérieur, mais il n’y a pas moyen, ils veulent pas
lâcher ces endroits là. C’est stupide, car ils poussent à une inégalité
qui parfois peut être dangereuse pour l’individu… Après faut pas
venir se plaindre non plus. On demande quelque chose, on nous ne
le donne pas : OK, on va le prendre nous-même alors. »71

La frange la plus radicale du mouvement tekno cite le punk comme
une référence pour cette éthique du D.I.Y (Do it yourself).
C’est un mode d’action directe une culture de l’immédiat. Le label
français Kanyar parle de ‘’l’esprit musical du mouvement techno punk’’.

Le gouvernement français a décidé d’agir quand le mouvement a
pris trop d’ampleur. Les sons sont saisis, la loi française72 ressemble à la
Criminal Justice Act, où le phénomène tekno (alternatif) n’est perçu que
comme une pure nuisance sociale.

Mais il y a aussi un phénomène de démotivation de la part des
premiers acteurs du mouvement. La plupart ont désormais plus envie de
se focaliser sur l’aspect artistique, associatif de la culture, et non
seulement festif et illégal. Ceux qui prennent la relève n’apportent pas
forcément satisfaction à leurs prédécesseurs car ils ne respectent pas
toujours les « dogmes » de la free party et de la TAZ. Ils ont souvent la
folie des grandeurs, accueillent parfois de 5000 à 10000 personnes sans
avoir les moyens de s’en occuper. Il y a dérive. Selon beaucoup
d’acteurs du mouvement, le phénomène dépérit…

71 Manu le Malin. Les propos de ce D.J. sont ici retranscrits au plus près de leur forme orale initiale, tels que
fournis par l’émission de France Culture, op. cit.
72 Loi de Sécurité Quotidienne, adoptée (merci Jospin) en 2002, sur proposition du député Mariani.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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• Nomadisme et tekno
En quoi le nomadisme est comparable et différent des autres
cultures nomades ?
Il existe un nomadisme pur et dur, celui des Roms, des Gitans, des
Touaregs. Le nomadisme est subi, hérité. On est ici mobile parce que
l’on doit fuir, en raison d’une invasion par exemple. Ce sont des cultures
au sens fort, avec une langue, des moeurs, un drapeau, une religion.
C’est un phénomène intergénérationnel, externe à la Société, qui
traverse d’autres sociétés.

Le nomadisme ici est d’évasion, désiré. Il ne s’agit pas de fuir, mais
plutôt de partir. Il s’agit moins d’une contre-culture, d’opposition, que
d’une culture. Elle est générationnelle (la jeunesse), et interne à la
société. Ce nomadisme est dans le sillage de celui des beatniks.

Le nomadisme traditionnel est défensif. Ses membres se font
écraser, sédentarisés de force. Le nomadisme tekno est offensif, en
expansion, il fait de nouveaux adeptes.

Ces deux types de nomadisme ont en commun qu’ils sont perçus
comme une menace pour l’ordre institué, ils subvertissent les normes. Ils
sont étouffés soit en étant intégrés, soit en étant éliminés.

« Je suis très heureux dans mon camion. Nous sommes en Sicile
actuellement, il y a une bonne énergie qui se dégage là-bas, avec un
sound system de trente Kilos.(…) Moi, je déteste avoir le même jardin
sous les yeux tous les jours. Nous, ça change tout le temps, un jour la
plage, le lendemain un entrepôt pour le week-end, la campagne. Le
seul côté négatif, c’est que les gens te regardent comme une poubelle
ambulante, mais le genre humain a toujours été nomade »73

73 Simon Lee (Christal distorsion), des Spiral Tribe, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Notons aussi la place du chien : l’animal comme compagnon du
voyageur, qui l’accompagne et le protège, un symbole de liberté comme
le camion d’autonomie.

En conclusion, cette réflexion de Mark Stormcore sur l’essence du
nomadisme : le travelling est avant tout un voyage de l’esprit. Le but du
voyage est le voyage lui-même.

« La vie même est un voyage. Il n’y a rien de permanent. Tout change à
chaque instant. En tant qu’organisme, nous sommes forts quand nous
choisissons le changement. La force de l’homme est sa capacité à
s’adapter au changement.(…) Les régimes politiques sont stagnants. La
nature de la vie est d’être en perpétuelle évolution, de changer à chaque

seconde. »

Cette partie conduit à définir les lignes de forces de ce mouvement,
permettant d’ébaucher des points de convergence avec d’autres types
d’art ‘’populaire’’:


Une partie des valeurs de la société occidentale sont rejetées,
une alternative, prônant le ‘’do it yourself ‘’, la ‘’zone
d’autonomie temporaire’’, se vit au fil des fêtes.

Le nomadisme est vécu comme une perspective idéologique.

Il y a à travers ces pratiques une quête spirituelle, la (re)
découverte de la ‘’Vérité’’, des ‘’origines ‘’.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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II.II. Définition de la Techno* et Réflexion sur le son de
la Free Party
« La musique Techno74 n’a fait que répondre d’une manière

monosémique, en clamant à tout rompre le bruit comme seul médium

cathartique (voir comme seul âme salvatrice) d’un vieux monde largué,

sali, détrôné, et bien qu’en voie de déconnexion, parfois encore aux

aguets »75

La partie précédente retrace les débuts de la Spiral Tribe et de la
Free party, qui avec un regard surtout sociologique mettait en avant
essentiellement les caractères subversif et spirituel du mouvement. Nous
allons donc plus nous attacher maintenant à ses aspects artistiques et
musicaux, en commencent d’abord par définir des objets appartenant au
phénomène techno en général.

II.II.I. Présentation de la musique techno
• Genèse
Voici comment la House et la Techno sont apparus : « 1986, des DJs
américains fatigués par les sons discos et attirés par la mouvance électronique
venue d’Europe (Kraftwerk, Front 242, Tangerine Dream…) commencent à
expérimenter de nouveaux sons mêlant sons de synthétiseurs et vocaux féminins :
La House Music est née. Son siège est Chicago et son créateur certainement
Franky Knuckles. Puis très vite, les bases musicales étant jetées, la production
House prend son essor à Chicago puis atteindra l’Angleterre. Parallèlement à la
House (qui garde une trace du Disco : les vocaux), des artistes s’exercent à
différents essais. […] A Detroit, les DJs essayent de supprimer globalement la totalité

74 ‘’techno’’ ainsi orthographié signifie le phénomène dans son ensemble : Club, rave, free party.
75 Castanet P-A, Préface, in Bruyante Techno, op. cit., p.5
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:15:19

19-11-12 · 219

  

des voix en les remplaçant par des sampling (échantillons sonores), la techno voit le

jour.» 76

Derrik May estime que la différence entre ces deux genres
musicaux est plus profonde qu’elle n’y paraît : « La house a encore son coeur
tourné vers la Disco des années soixante-dix, nous n’avons aucun respect pour le
passé, c’est strictement la musique du futur. Nous avons une bien plus grande
aptitude à l’expérimentation. »77

• Définitions
Cerner la notion de musique Techno semble difficile, nous vous en
proposons deux définitions :


« Principalement, la musique techno est définie par sa dévotion au rythme,
qu’elle utilise comme un médium hypnotique. Elle se distingue aussi par le fait
qu’elle est presque entièrement créée à partir d’instruments électroniques. On
remarque qu’elle n’utilise pas ou très peu de voix chantées. »78

« Une musique de danse produite exclusivement par des instruments
électroniques dont les caractéristiques sont la répétition régulière et la
prépondérance d’une pulsation dont le tempo est généralement compris entre
140 et 200 battements par minute (BPM), et sur lequel viennent se greffer
plusieurs couches de sons électroniques régis par un principe de répétition.
Cette définition exclut le drum’n bass et l’ambient parce que la pulsation est
absente de ces musiques (l’absence de pulsation modifie complètement la
structure musicale et les processus de réception de la musique).»79
Il est intéressant de constater que l’auteur de Bruyante techno
considère que la techno correspond, à plusieurs titres, à la définition de
musique de tradition orale selon François Delalande :

76 [S.n.], Au Commencement…, [24.03.1998], [site de l’association Spiritek], [s.l.], [s.d.],

U.R.L :http://www.mygale.org/04/nyto, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p.9.
77 Ghosn Joseph, Du raver au sampler : vers une sociologie de la techno, in l’homme et la société, Paris,
l’Harmattan, no126, 1997,p.92, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p.9.
78 Spiritek, op. cit.
79 Bruyante techno, op. cit. , p.19
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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« Tradition orale implique souvent l’anonymat des auteurs, expansion
relativement lente du répertoire, transmission par l’exemple, souvent sous une forme
simplifiée, épurée, que les musiciens s’approprient ensuite en l’ornant à leur
manière, avec une part plus ou moins grande d’improvisation. »80

Enfin, nous ne pouvons qu’adhérer à cette position du fanzine TNT,
on ne peut plus ouverte : « La techno n’est rien d’établi ni de définitif, c’est une
construction collective à laquelle n’importe qui peut apporter sa contribution, à
condition qu’elle soit un apport (critique ou non) qui n’ignore pas ce qui a pu se faire
de plus intéressant en la matière (dans la musique par exemple). Une notion positive
puisqu’en progrès, ouverte sur son devenir. »81


Sonorités techno
o
Pulsation et son acid
Parmi tous les sons employés par la techno, en voici deux
représentatifs de ce genre musical :


La pulsation est le squelette et la signature de la techno. Ce son
agit directement sur le corps, c’est lui qui donne l’énergie, le
tempo, l’envie de danser. Sans la puissante pulsation qui porte
le morceau, les sons paraissent flotter. En soirée, il arrive que le
Dj* supprime la pulsation, ce qui entraîne une réaction de
protestation de la part du Dancefloor. Le Dj va alors jouer de la
relation de force instaurée, en réintroduisant la pulsation
attendue le plus tard possible, sur une courbe de tension
croissante, afin de procurer une sensation de libération
maximale.
80 Delalande François, La musique électroacoustique, coupure et continuité, [s.l.], 1996, [01.05.1998], URL :
http: //imac.u-paris2.fr/monnet/son/sonora1196/delalande.html, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p.19
81 {S.n.] , Keskelatekno ?, TNT, no28, Paris, Juin 1996,p.1, cité par… Bruyante techno, op. cit. , p.19

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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La pulsation concentre en elle presque tout ce qui fait le
clivage du jugement esthétique entre ceux qui apprécient ou
non la techno.


Un « son acide » est un bruit coloré sur lequel est rajoutée une
sélection d’effets électroniques qui lui donnent des
caractéristiques rugueuses.
« Une nuit, Ron Hardy, joua un morceau étrange, même par rapport à
ses propres goûts. Puis il le joua encore. Et encore, Et encore. Tout le
monde voulait savoir ce que c’était ; ce curieux bruit bourdonnant,
frémissant, tordu, enlacé comme un dysfonctionnement électronique. La
bonde avait été réalisée par Marshall Jefferson et son jeune protégé
Nathaniel Jones, alias Dj Pierre. Durant une jam session, le duo s’affairait
et, à mesure qu’ils devenaient saouls, Pierre tripotaient le bouton
‘’fréquency control ‘’ sur la bassline TB303, une machine destinée à
l’origine à accompagnée les guitaristes. Le son que Pierre trouva alors
semblait émaner d’une autre dimension, et il le capturèrent
immédiatement sur une bande. Le résultat ‘’acid trax’’, par phuture, fit de
la TB303 une icône de la Dance culture et fut à l’origine du premier sous
genre de la house : l’acid House. L’origine du terme lui-même est sujet à
des rumeurs contradictoires. […] »

o
Impact du son
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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D’a

D’après l’auteur de Bruyante techno, le hardcore82 est une manière
détournée de (re)découvrir les sons de son propre corps, ce qui ne peut

82 Littéralement ‘’ noyau dur’’, la tendance la plus ‘’extrême’’ en matière de musique techno. Dans la suite de
cette étude pourtant, hardcore aura le sens que lui a attribué Marc Stormcore, précédemment (l’ensemble des
musiques diffusées en free party)

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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se faire que dans un repliement sur soi-même, un oubli du monde
extérieur, voire une régression mentale vers les pulsions archaïques. 83
La techno est à la machine ce que les sons organiques sont au corps,
une révélation d’un phénomène caché et inquiétant. Les sons acid font
penser à ceux de l’appareil digestif, la pulsation au battement de coeur…

o
Travail sur les ondes
Des expériences ont montré qu’il y avait résonance entre l’homme et la

musique : « Depuis un certain temps, on sait que les rythmes biologiques sont
basés sur une certaine constance vitale. Les battements cardiaques accélèrent pour
répondre à des besoins d’apport en oxygène, de glucose ou d’hormone lors de
situation d’effort, de stress ou d’émotion. Lorsqu’on doit se dépêcher pour se
déplacer, une attention plus soutenue entraîne une activité biologique plus axée sur
l’objectif à atteindre. De même notre cerveau possède ses propres rythmes
électriques que l’on qualifie d’ondes Bêtas, comprise entre 14Hz et 100Hz, Alpha
entre 8 et 13 Hz, Thêta entre 4 et 8 Hz et Delta en dessous de 4 Hz. L’activité
éveillée correspond à des rythmes Bêtas, notamment entre 14 et 40 Hz. Or on a
remarqué qu’à chacun des états de conscience, entre l’excitation et le sommeil
profond, correspond un rythme électrique du cerveau. Mais il y a beaucoup plus
incroyable : on a également constaté qu’il est possible d’influencer par des
stimulations extérieures la fréquence des rythmes du cerveau, et de cette manière,
de recréer artificiellement les états de conscience ou d’inconscience correspondants
(la créativité, la relaxation ou le sommeil par exemple). Des applications de ce
principe existent sous la forme de rythmes sonores ou lumineux programmables pour
passer d’un état à un autre à volonté. Sommes-nous loin du tempo de la musique ?
Pas vraiment. L’un des éléments de base du rythme, la grosse caisse, n’est pas sans
évoquer inconsciemment la perception de notre battement cardiaque. On peut donc
supposer qu’il existe un lien étroit entre notre perception du tempo et notre mémoire
de l’état d’activité qui y correspond (plus lent=plus calme ; Plus rapide=plus actif). »84

83 Bruyante techno, op. cit. , p.55
84 Geiss Michel, Tempo et rythme biologique, Keyboard, hors série no17, Paris, février-mars 1998, p.47, cité
dans Bruyante techno, op. cit. , p. 55.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Principe Coercitif
Le son a pour fonction d’empêcher la parole dans un lieu donné, de
la remplacer par une musique qui domine entièrement le sonore : « La
musique utilise le bruit comme moyen de coercition pour faire le vide autour d’elle. La
puissance sonore favorise l’immersion du raver dans la musique, on est
brusquement coupé de l’environnement perceptif antérieur. Le bruit accapare
l’appareil sensoriel en mobilisant l’ouïe, mais aussi le toucher (on ressent le son par
le corps) et provoque un déconditionnement. Cette présence physique du son
reconditionne le raver à une expérience onirique. […] Le continuum bruiteux de la
rave est fondé sur l’absence de silence. » 85

« Ce que j’aime avec les répétitions, c’est que l’auditeur est entraîné et plongé
dans une ambiance de sécurité factice […] »86

• Mix, live, sound-system
Définissons maintenant les médias propres à diffuser cette
musique : le mix, le live, le sound-system.87

o
Le mix
Le Dj mixe des disques de façon à créer un continuum sonore,
mais ne se limite pas à fondre la fin d’un morceau dans le début de celui
qui suit. Les sons des deux disques sont tuilés pour former un troisième
morceau qui n’est pas la somme des deux mais une création où on ne
distingue pas les morceaux originaux. Les disques sont utilisés
quasiment comme des banques de sons et les platines comme des
instruments à part entière. L’action la plus fréquente du Dj consiste à

85 Grynszpan Emmanuel, Bruyante techno, op. cit. , p.47
86 Scanner, compositeur de musique électronique, pour Bruyante techno, op. cit. , p.101.
87 Ces définitions ont pour support le travail d’Emmanuel Grynszpan dans son livre Bruyante techno, op. cit. ,
p68-69 et 81.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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jouer avec les pitchs des platines, soit pour adapter les rythmes d’une
platine à une autre, soit au contraire pour produire des collisions
rythmiques. Le Dj dispose aussi d’une table de mixage qui lui permet de
jouer sur la diffusion stéréo et sur les filtres.

« Pour nous les morceaux ne sont pas une fin en soi. On les
manipule, on les travaille de l’intérieur, on les greffe, on les dégrafe. On
les mélange, on laisse les sons retomber, tantôt pluie, tantôt bourrasque,
agate ou givre. C’est aussi un feeling, je veux dire quand l’empreinte
digitale râpe sur les microsillons, tu ressens le son. Tu es dans la chair du
son. Tu voyages dans le son. Enfin, tu as plusieurs chemin. D’autres
mixent pour ne pas perdre le rythme, l’effet du rythme. Ils passent d’un
morceau à l’autre en prenant bien soin de les caler, c’est à dire que le
rythme des deux disques s’accordent. Ils synchronisent les sons. Jamais
on ne doit ressentir le moindre blanc, la plus infime fêlure. On peut les
qualifier de styliste du rythme. Chacun met un peu de sa couleur dans le
son, change les couleurs du son. »88

o
Le Live
L’expression anglaise ‘’live-act’’ signifie jeu en temps réel ou
en direct. Le live, à la différence du mixe, peut se jouer à plusieurs, en
général un à trois musiciens. Les sons sont enregistrés au préalable,
c’est à dire que les échantillons sont déjà mis en boucle, et ajustés au
moment du direct. Il s’agit alors de ré-assembler les sons préexistants et
de les travailler à partir des potentiomètres. Par rapport au mixe, le
matériau est moins homogène, le risque plus important. Si le live permet
d’accéder à une forme plus riche et cohérente, la difficulté est d’assurer
un travail rythmé permettant à l’ensemble de « décoller », d’emporter le
public dans la danse.

88 Ristat Jean, Un voyage d’idée [entretient avec Jérôme Pacman], Digraphe, no68, Paris, Mercure de France,
pp.62-63, cité par Bruyante Techno, op. cit. p.68
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Le sound system
A l’origine, l’expression anglo-saxonne ‘’sound system’’
désigne l’équipement utilisé par les amateurs jamaïquains de dub et de
reggae lorsqu’ils organisent des fêtes, qui peuvent à plusieurs titres être
considérées comme les ancêtres de la Free party. Le sound-system
permet de diffuser une musique sur support préenregistré à une
puissance sonore suffisante pour satisfaire une foule en plein air. Il se
compose de platines (ou du matériel nécessaire à produire un live), de
table de mixage, d’amplificateurs, d’enceinte et d’un groupe électrogène.
Car il se doit d’être autonome et mobile... Les enceintes font quasiment
l’objet d’un culte (leur formes impressionnantes sont représentés sur les
flyers). Le danseur n’aime rien autant que de se sentir tout petit face à
une muraille d’enceinte, là où le son devient palpable, traverse le corps.
L’enceinte est devenue un instrument musical, visuel, focalisant
l’attention du danseur.

II.II.II. Réflexion sur le son de la Free Party
• Ni starisation, ni discours
En free party, le nom du sound system organisateur passe au
second plan derrière la musique. Les musiciens sont hors de vue du
public, derrière les enceintes. Le spectacle dans la free party ne vient
pas du musicien. Le public est mis en position d’altérité.
L’absence totale de discours fondateur dans le mouvement tekno est
surprenante lorsqu’on constate la constance dans l’organisation des

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:16:33

19-11-12 · 219

  

pratiques festives. Le rejet du verbal est d’ailleurs une caractéristique
majeure de ce mouvement, et un fait inédit dans la culture populaire du
XXème siècle. Les commentaires sur la musique sont rares, laissant la
place libre à des interprétations marquées par des idéologies très
contestataire posées sur le mouvement tekno.89

« Qu’importe l’imperfection de nos langages si nous sentons et faisons

sentir profondément l’infinie puissance d’une unique évolution qui nous

emporte, nous et nos créations, qui sont comme une chair dans notre

chair »90

• Tekno, musique « cruelle »
Marc Stormcore définissait le son de la Free Party dans une
perspective idéologique, qui peut-être rapproché de l’épigraphe de Hegel
« Car dans l’art, nous n’avons pas affaire à un jeu simplement agréable et utile,
mais… au déploiement de la vérité. »91
Ce même idéal esthétique, propre aussi à la démarche de certains
dans le milieu du nouveau cirque, se retrouve chez différents acteurs du

mouvement : « Vive la musique d’éveil ! »92 . « La techno lave le réel à grands
coups de décibels de sa fausse apparence et nous la restitue sous son véritable
aspect. »93 . Cette musique, à l’instar du bruitisme, peut elle aussi être considérée
comme la reproduction de « la trépidation de notre vie quotidienne en ce qu’elle a de
superficielle et de gênant.»94’95

Le son de la Free Party doit être alors perçu comme un écart à la
norme commerciale, comme une transgression.

89 voir Bruyante techno, op. cit. , p.34-35
90 Lafitte Jacque, Réflexions sur la science des machines, (1932), Paris, Vrin, 1972, p.115, cité dans Bruyante
techno, op. cit. , p.87.
91 Hegel, Esthétique, Epigraphe, Le livre de poche, classique de la philosophie, Paris, 1997.
92 La Peste, entretien pour le fanzine Résonance, Cornebarrieu, no2, 1998
93 Professeur diabolique, Tekné, in Coda magazine, no2, juin 1993, p.37
94 Lista Giovanni, [préface] in Russolo Luigi, L’art des bruits, [1913], Genève, L’Age de l’Homme, 1979,p.17
95 Ces trois dernières citations sont tiré de Bruyante techno, op. cit. , p.38-39.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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« En figure inversée de [la] canalisation politique, souterraine, et
pourchassée, une musique subversive s’est toujours maintenue ; une
musique populaire, instrument de culte extatique, dépassement de la
violence non censurée : rite dionysiaque en Grèce ou à Rome, auquel
s’ajoutent d’autres cultes venus d’Asie Mineure. La musique y est le lieu
de la subversion, transcendance du corps. En rupture avec les religions et
les pouvoirs officiels, ces rites regroupent, dans des clairières ou dans
des grottes, des marginaux : femmes, esclaves, immigrés. La société les
tolère parfois, ou essaie de les intégrer à la religion officielle, mais de
temps en temps, les réprime très brutalement. »96

Rappelons que la Free Party est un évènement qui ne fait que se
revendiquer lui-même. Elle n’est que le désir de ‘’faire la fête’’, elle ne se
définit pas contre quelque chose (la société), mais à côté… et de
manière temporaire.

• Principes de création
Certains acteurs du mouvement se considèrent comme les
’’éboueurs’’ de cette société (au-delà d’ailleurs de la création
artistique..) : « Le hardcore utilise tous les sons rejetés par les autres.»97
Il y a volonté de réappropriation, de recyclage de la part de ces artistes :
On ‘’sculpte’’ un son samplé, on construit une boucle….

« Il n’y a pas de différence esthétique entre une guitare et un synthétiseur ou
une boite à rythme : ce sont des outils de production du son. Le sampler est d’une
nature différente : c’est un outil de reproduction de son, mais dont la finalité n’est pas
la fidélité. C’est la rupture majeure des nouvelles musiques : faire d’outils de
reproduction (sampler, platines) des vecteurs de nouvelles productions. »98
Et à certain alors de comparer le sampler à un ready made99 …

96 Attali Jacques, Bruits, Paris, PUF, 1977, pp .27-28, cité dans Bruyante techno, op. cit. , p .41
97 Bruyante techno, op. cit. ,
98 Tordjman Gilles, Sept remarques pour une esthétique du sample, in teknikart, no20, mars 1998, p.58, cité par
Bruyante techno, op. cit. , p.82.
99 ‘’objet d’art fait d’une réunion d’objets naturels sans aucune élaboration’’


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Il y a volonté de cacher l’origine du son, de le faire accéder à sa
propre autonomie : « On chope sur le sampler trois notes de piano, on les met à
l’envers, on les retourne à l’endroit. Ce ne sera plus un son de piano. »100
L’échantillonneur laisse son empreinte sur le son…
Les musiciens techno, souvent autodidactes, ont une démarche qui
favorise une recherche intuitive et ludique, sans avoir la prétention de
connaître l’ensemble des capacités de leur machine (comme c’est le cas
pour la musique savante…). La découverte se fait pour la plupart au gré
d’évènements fortuits.

« J’aime bien les trucs accidentels dans la musique, les sons qui ne sonnent
pas bien, qui ne sont pas dans le rythme. Quand la machine se plante, il se passe
des choses intéressantes ! Et puis j’essaie de capturer mes instants de spontanéité ;
je ne veux pas que ce soit figé. »

Il y a donc volonté de laisser travailler le ‘’bruit’’, de laisser surgir un
son inouï, mystérieux, et sur lequel le contrôle du créateur n’est pas
total. Dans sa volonté de dominer à tout prix la machine, l’homme révèle
sa fascination et sa crainte d’être tout petit devant elle. Loin de
l’influence cartésienne (‘’Nous rendre maître et possesseur de la nature’’), les
musiciens tekno se laissent volontairement dévorer par la machine,

« acceptent et jouissent de ses pouvoirs contre-nature, en premier lieu de la

régularité obsessionnelle ».101

Et cette hégémonie du son, le caractère totalitaire qui lui est
accordé, fait que fondamentalement le mouvement tekno ne peut
donner une image décente de lui-même. Il n’y a pas recherche à être
politiquement correct, mais au contraire, la Free Party pose des

100 Ristat Jean, Un voyage d’idée, op. cit. , p.82
101 Grynszpan E., Bryante techno, op. cit., p.86
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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questions aussi importantes que le contrôle du destin individuel (et de la
responsabilité de chacun au-delà des lois), et du droit au plaisir.
Le mouvement tekno brise les frontières entre production et réception,
en affirmant que cette pratique est à la portée de tous, mais surtout en
organisant des événements où le public ne se comporte pas (du moins
initialement…) comme un consommateur, mais comme participant
privilégié du spectacle.

« Globalement, il semble qu’il y ait une atténuation du clivage scène/salle.
La situation s’apparente davantage à celle d’une fête qu’à celle d’un
spectacle ou d’un concert ».102

La vision de l’artistique en Free Party se caractérise donc ainsi :


Le membre d’un sound system est au service du son, il n’y
a pas de starisation.

Le verbal est relégué aux portes du Dance floor
(impossibilité du public à s’exprimer par la parole devant un
sound system), le discours politique ou social est rejeté (le
discours véhiculé en Free n’engage que son auteur) : la
Free ne se revendique qu’elle-même.

Accepter de se faire dominer par la machine, signe comme
révélateur du rapport institué avec la nature.

Le public est non considéré comme un consommateur,
mais comme un acteur.
102 Racine Etienne, le Dj : un acteur musical d’un nouveau type ? , La musique techno – approche artistique et
dimension créative, Le confort moderne, Poitiers, 1998, p.58
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Partie III :
Tentative de rapprochement
Du cirque et de la Free party.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Nous avons donc fait un tour d’horizon des deux univers que nous
souhaitons réunir : le cirque et la Free Party. Dans ce chapitre, il s’agira
maintenant de rendre évidente la rencontre de ces deux arts.

Pour cela, nous allons présenter un certain nombre de tentatives
de rencontres et leur limites, qu’elles soient à l’initiative du cirque ou de
la Free party. Ensuite, les fondamentaux extraits du cirque et de la Free,
serviront à confronter ces deux arts pour en faire ressortir les
caractéristiques communes. Enfin, nous présenterons une proposition de
combinaison à la lumière du travail de Nietzsche, telle que saisie dans
La naissance de la tragédie.

III.I. Exemples de rencontres de la techno et du cirque
Cirque et techno, ou parfois simplement leur état d’esprit, se sont
déjà rencontrés. Nous allons donc présenter un certain nombre de ces
expériences, leurs réussites et leurs limites, quelles soit initiées par l’art
vivant ou le mouvement tekno.

III.I.I. Rencontres initiées par l’art vivant
• Archaos
Nous avons déjà évoqué le travail d’Archaos, qui invoque par l’Art
du chaos ‘’un devenir cirque du monde’’. Cet univers punk et
carnavalesque fustige par un flux nerveux d’images choc notre société

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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de consommation, et fait tenir à la machine le rôle revenant
traditionnellement à l‘animal sauvage. Remarquons que ce cirque et la
free party sont nés à la même période (fin 1980), et ont su tous deux très
bien cristalliser dans leurs arts respectifs cet esprit de ‘’l’effondrement du
Mur’’. C’est sans doute pourquoi ces deux univers ont tant de points
communs (les artistes d’Archaos connaissaient l’univers de la Free party
et vice-versa).

Nous avons aussi présenté le travail de Zingaro, sa recherche
liturgique d’un monde d’avant le passage de l’homme, où les spectacles
tiennent autant du rituel que de la représentation.

A partir des axes de recherches que Cahin-Caha s’était déterminé,
nous avons supposé que l’on pouvait considérer la réflexion de cette
compagnie comme le mélange habile des problématiques d’Archaos et
de Zingaro: La place du sacré et l’orchestration du chaos.

Que ce soit par leurs esthétiques, leurs valeurs ou leurs thèmes,
ces compagnies, parce qu’elles sont aussi sensibles à la question de la
cruauté, peuvent être affiliées à la free party.

Archaos en 1994 a poussé encore plus loin la ressemblance dans
son spectacle Game Over. C’était une espèce de gigantesque opéra
techno (‘’une grande messe électro totalitaire’’…), où l’ambiance
générale était celle d’une rave, avec une esthétique punk, qui à grand
renfort d’images multimédias, critique une société de l’image à la
Bigbrother où les individus se réfugient dans les jeux vidéo et la rave…

Au niveau musical, le spectacle est décrit comme « un voyage dans
la musique, de son âge baroque jusqu’à aujourd’hui, de la techno industrielle mêlée
d’une jungle tranquillement novatrice, fluide invisible et omniprésent de la
représentation.»103

103 Dossier de presse d’Archaos, centre de documentation d’HorsLesMurs, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Cette création est plutôt à la rencontre de la rave commerciale et
du cirque, que d’autre chose. La musique est ici uniquement illustrative,
sert un propos, qui plus est dépréciatif vis à vis de la techno, présentée
comme déshumanisante, asservissante.
Cette expérience n’est pas encore la rencontre recherchée puisque le
public assiste ‘’passivement’’ à la représentation.

• La Fura del Baus
La Fura del Baus est une compagnie de théâtre espagnole née en
1981. Ils ont, semble-il, fait des performances en rave party.
En 1990, ils ont présenté un spectacle dont l’histoire était ici aussi celle
d’un Bigbrother multimédia despotique. Notre intérêt pour ce travail vient
du rapport établi avec le public. La représentation avait lieu dans un
hangar nu, où étaient justes disposés les arêtes d’une structure
métallique rectangulaire sous laquelle était placé le public, debout. Les
personnages évoluaient sur la structure ou parmi le public, qui pouvait se
faire ‘’foncer dessus’’ par des engins motorisés, ou éclabousser par on
ne sait quel fluide de provenance corporelle. La musique punk, était
jouée en live sur une scène mobile traversant la foule. Tout le travail de
cette compagnie tient à la saturation par l’image qui s’impose alors
comme élément autonome, la récupération (esthétique punk …) et la
proximité physique, voire la mise en danger du spectateur, (ou son
simulacre…), obligé de sortir de son rôle habituel de ‘’regardeur’’..

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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III.I.II. Rencontres initiées par la Free Party
Le caractère expérimental de la tekno lui a déjà permis de goûter
aux plaisirs du mélange d’autres arts avec la musique.

La projection de performances vidéos de part et d’autre du sound
system est un procédé usuel. Il y a d’ailleurs analogie entre la
construction d’un live vidéo et celle d’un live musical (on sample, on
boucle, on juxtapose…). Il y a souvent volonté de conférer une
atmosphère à l’arène, par l’utilisation de jeux de lumière rudimentaire
type boîte de nuit, et d’éléments plastiques comme des tentures et des
sculptures à l’esthétique ‘’tribale’’.

Evidemment, la foule s’adonne à la danse, mais l’art de rue est
aussi présent en Free party : systématiquement, des membres du public
contribuent à l’atmosphère de la soirée en faisant spontanément du
jonglage de feu au rythme de la musique (avec des torches, des
chaînes, des cordes, du bâton ou en le crachant).

Au-delà de ces quelques exemples qui sont fréquents dans toute
Free Party qui se respecte, des sounds systems ont travaillé à un
rapprochement plus en profondeur avec l’art vivant.

• La mutoid Waste Compagny
La Mutoid Waste Compagny est un collectif d’artistes anglais issus
des années 80. En précurseur de leur genre (avant Archaos ou la Fura
del Baus), ils sont définis comme « sculpteurs sur métaux usagers et
assembleurs d’engins abandonnés. Réutilisant les rebuts de la société moderne,
transformant les déchets pour célébrer le millénaire, avec toute l’iconographie post


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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apocalyptique de Dan Dare et de Mad Max […].»104 Ces structures sont utilisées
comme support à leurs performances.

Ils se sont associés à partir du début des années 90 avec la Spiral
Tribe pour conjuguer leurs arts :

« Sur le site d’Hostomice en Tchéquie, on aperçoit un Mig, avion de

combat russe de la deuxième guerre mondiale, monté sur une remorque.

Des véhicules militaires dont les roues sont plus hautes qu’un homme,

sont regroupés tout autour. Dans une large cage de trois mètres de haut

pend une créature de métal dont la tête soudée se tord vers le ciel dans

un rictus à la Bacon. Dans la confusion nocturne, les lasers trouent la

poussière stagnante. Les mutoïds traversent la foule hurlante dans une

voiture déconstruite équipée d’un chalumeau qui crache des flammes à

travers le pare brise, et entouré de cracheurs et de jongleurs de feu.»105

La Mutoid Waste Compagny fut la première à présenter sculptures
et performances en free, et elle semble aujourd’hui ‘’indépassable’’.

• Cirkus Road System
La compagnie Cirkus Road System est un collectif d’artistes
français dont la recherche est la liaison des arts de la rue à la scène
électronique. Ils proposent des spectacles dont la composante
essentielle est la pyrotechnie, relevées de performances circassiennes
et vidéos. C.R.S a déjà collaboré avec de nombreux sounds systems. 106

104 L’intégral de ce texte est disponible en annexe à la page.. (photos sur le site d’Alan lodge :
www.tash.gn.apc.org)
105 Idem

106 voir site internet www.cirkusroadsystem.org
Au croisement du Cirque et de la Free Party :71
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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• Desert storm sound system
Desert storm est un sound system anglais107, sous chapiteau, qui
rassemble musiciens et performers. Ils organisent des free party et des
teknivals, mais ont délaissée la musique tekno pour le break-beat (et la
drum’n bass, le ragga, le hip-hop…). Il y a un an, ils ont fait appel à
toutes personnes souhaitant partager leur expérience (artistes de cirque,
musicien, régisseur…), les invitant à rejoindre leur structure afin de
fonder un véritable cirque. Nous n’avons pas eu écho depuis de la
poursuite de leur travail.

Ces trois exemples ne prétendent pas à l’exhaustivité, mais à
pointer l’intérêt que les acteurs de la Free party portent à l’art vivant en
général, et au cirque en particulier. Par parenthèse, on notera que le
mouvement punk avait déjà repris à son compte la figure du clown…
Nous considérons par contre qu’aucune de ces aventures n’a produit le
travail de création nécessaire à l’invention de cette nouvelle forme
artistique qui nous occupe.

Archaos et la fura del Baus utilisent à merveille l’esthétique punk
qui est celle de la free party. Mais lorsque le cirque de caractère se
laisse tenter par la techno, il ne l’utilise que de manière illustrative. La
recherche sur le rapport au public de la Fura est particulièrement
intéressante, mais la compagnie a cessé depuis longtemps son travail
des arts de la piste, pour se consacrer au théâtre, et n’utilise pas a priori
la musique électronique.

107 Voir site : www.network23.org/teknocircus
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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La Mutoïde Waste Compagny a fait un travail de débroussaillage
exceptionnel dans la rencontre de la Free avec l’art vivant, mais son
envie de création ne semble pas dépasser la performance.

Ce n’est certainement qu’une question de temps pour que C.R.S
ou Desert Storm proposent une création aboutie…

III.II. A la convergence du cirque et de la Free Party
Nous allons confronter les caractéristiques des deux univers artistiques
qui nous intéressent pour définir les champs artistiques ou culturels
qu’ils investissent conjointement.

III.II.I. Champ culturel commun
• Art nomade
Le point commun le plus évident entre le Cirque et la Free Party
est l’itinérance. Les new-age travellers, qui ont initié le mouvement
alternatif tekno au nomadisme, sont issus des années soixante-dix et
véhiculent donc cette image de l’art nomade comme symbole de la fête
et de la marge. Le périple déjanté des Merry Pranksters à travers
l’Amérique crée des vocations… La Free party, en épousant le
nomadisme a absorbé un certain nombre de ces valeurs. Elle peut être
considérée comme une conséquence tardive de la vague de renouveau
qu’ont connu le cirque et les arts de la rue vingt ans auparavant.

Les caractéristiques du nomadisme que nous avons déterminées à
partir de descriptions de fondamentaux circassiens sont, selon nous,

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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transposables à l’ensemble des sounds system tekno, de par leur place
évidente dans la famille des arts nomades.

Du fait de leur fonction commune consistant à accueillir la vie et
l’art en tout lieu, on peut assimiler les cercles concentriques des
campements circassiens et tekno : les roulottes sont remplacées par les
camions, posés en cercle et formant l‘arène (on notera la référence aux
jeux romains…), l’équivalent du chapiteau, la toile en moins. Dans cette
enceinte, la piste de danse se superpose à la piste de cirque, délimitée
dans le fond par le sound system, derrière lequel se ’’cachent’’ les
musiciens. La différence réside donc dans l’inversion de la place entre
public et artistes.

Le cirque moderne et la free party sont tous deux nés en
Angleterre, ont ensemencé l’Europe occidentale puis le reste du monde,
avant d’être durement affectés par leur propension au gigantisme.

o
Rapport à l’institution
Nous affirmons que l’art des tekno-travellers se caractérise par sa
construction en parallèle de ‘’l’art institutionnel’’. La free party a été
définie comme rejetant le ‘’tout consumériste’’ de notre société. Les
notions de ’’ zone d’autonomie temporaire’’, ou de ‘’Do it yourself’’
expriment clairement sa position vis à vis de l’institution artistique ou de
la société du spectacle. Il y a volonté de fracture avec le rapport habituel
qu’entretient l’art vivant au public, par la volonté de refuser de mettre ce
dernier dans une position de consommateur, en le hissant au rang
d’acteur de l’événement.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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o
Mode de vie
L’abolition des frontières entre l’art et la vie est d’autant plus marquée
chez ces artistes en raison du caractère illégal de ces rassemblements
et du refus de beaucoup à considérer le ‘’boom-boom ‘’ – désignation
connotée de la pulsation-comme de la musique. Le choix d’un mode de
vie et de création confondus rejoint ensuite la volonté de non starisation
de l’artiste, du nomadisme considéré comme une idéologie.

o
Rapport au sédentaire
L’inquiétude et la fascination que ce mouvement engendre chez le
sédentaire sont flagrant, quand on voit l’effervescence médiatique et la
position extrême du Ministère de l’Intérieur (la free party est une
nuisance sociale..) qu’engendre le moindre de ces évènements d’une
part, et de l’autre l’énorme engouement d’une génération pour ce
phénomène désormais ‘’de masse’’. Le mythe de la liberté fait peur et
attire d’autant plus lorsqu’il revêt les atours sulfureux de l’illicite.
On peut rapprocher le discours de Patrick Bouchain, architecte et
scénographe, sur l’utilisation de l’espace public délaissé et la gratuité de
celui de Manu le malin, musicien de tekno hardcore, sur l’investissement
et la réhabilitation d’espace industriel en friche. Les propos que nous
avons rapportés de Napo, constructeur de structures circassiennes et de
Bruno Tackels, chroniqueur de l’art vivant, sont similaires à ceux que
défend la T.A.Z. Ce rapprochement est encore plus évident lorsqu’on
s’intéresse au point de vue de petites structures. Ainsi le directeur de
Circum Circo : « La pérennité ne se construit que sur l’autonomie. Le cirque

traditionnel ne mourra pas, il s’autofinance. Les questions de durée ne traversent

que ceux qui sont aidés.» 108 Do it yourself…

108 Bisaro Xavier, Art de la piste N°24, op. cit. , p.33.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Individu et collectif
Le questionnement sur la place de l’individu dans le collectif, passe
par cette volonté du membre de la tribu d’être au service du sound-
system, de n’être qu’un ‘’soldat du son’’ (anonyme) afin que se dernier
‘’ne s’arrête jamais’’. Cette question se pose aussi lorsque sur le
Dancefloor, la tekno s’amuse à troubler les sens, qu’il y a dilution de la
frontière entre soi et le reste de la communauté de danseurs enrobés
dans le son. La question du collectif se reflète donc ici aussi dans la
pratique de l’art même.

Un sound system a besoin d’un groupe pour exister, mais la
création artistique est essentiellement musicale (parfois plastique), et
donc le fruit d’un travail souvent personnel (à l’exception du live ), qui
pour émerger n’a pas à se confronter aux différents aspects de la
création collective. La réflexion du nouveau cirque sur cette notion
pourrait certainement nourrir efficacement les sounds systems.

• Art populaire
Ce deuxième point de convergence questionne le concept d’art
populaire. Pour interroger cette notion, nous nous appuierons sur
l’ouvrage de Mikel Dufrenne, Art et Politique.109

Ce philosophe de l’esthétique définit ainsi l’art : « La vérité de l’art, par
quoi l’art est vrai, c’est le pouvoir de révéler ce que le savoir ne peut maîtriser, un
certain visage d’un monde ‘’non administré’’, comme dirait Adorno, où l’imaginaire
célèbre ses retrouvaille avec le réel. » 110

Certains des éléments qui caractérisent l’art populaire et font se
rencontrer le cirque et la Free party recouvrent des notions abordées
précédemment, notamment dans son rapport à l’institution.

109 Dufrenne Mikel, Art et politique, Christian Bourgeois, coll.10/18, Paris, 1974.
110 Idem p.9
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Utopie
Ce que l’Utopie de l’art populaire selon Dufrenne « annonce et
amorce, c’est […] l’éclatement de l’institution : La mort d’un certain art lié à
l’institutionnalisation, mais non la mort de tout art. »111 […] « Loin de renier l’art, elle
s’emploie à lui restituer, au prix de mutations profondes, un sens et une fonction qui
lui ont sans doute originellement appartenu […].»112
« Si un art nouveau doit apparaître un jour, ce sera un art parallèle, un
contre-art »113 .

Rappelons que la T.A.Z est une insurrection qui, elle, n’est pas
directement tournée contre l’Etat.

Pour réconcilier La T.A.Z à l’art populaire, on émettra l’hypothèse
que, à l’aune de l’Utopie, elle est propre à accéder au statut d’oeuvre
artistique : « Et pourquoi n’étendrait-on pas le concept d’art à tout ce qui, accompli

par l’homme est beau : non seulement des produits mais aussi des actes »114 .

o
Rejet de l’inféodation à l’idéologie dominante.
Le cirque et la free party refusent tout discours d’ordre politique ou
social et ne se revendiquent qu’eux même : « L’opération qui aliène l’art est
analogue à ce qu nous avons appelé son idéologisation. Elle consiste à isoler et
mettre en représentation l’oeuvre et accessoirement l’artiste »115 […] « en sorte que
l’art demeure à la fois un monopole et un divertissement ».116

111 Idem, p.232
112 idem p.233
113 Idem p.238
114 Idem p.242
115 Idem p.236
116 Idem p.238

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
La fête
La fête se retrouve dans le cirque et la Free comme espace de
jubilation et de plaisir, en rupture avec l’ordre du quotidien. Dufrenne la

définit ainsi : « Dans la société archaïque, l’action où l’objet s’accomplit en
s’esthétisant, c’est la fête »117

« [La fête] n’est pas nécessairement le règne de la terreur dans la
destruction, hors-rite, elle est retour à l’originaire, où la mort et la vie le
mal et le bien s’échange, mais ce retour est aussi ressourcement, et c’est
pourquoi la fête a des échos. Dans cette expérience, de même que les
valeurs et les définitions basculent entre le réel et l’imaginaire […] »118
« Ainsi, l’art pénètre-t-il profondément ces sociétés : Autant que de
subversion, il est principe d’intégration. En quoi il s’oppose à l’art
institutionnalisé que nous connaissons […] »119

o
Rapport au lieu et au public
Définir l’art hors des lieux institutionnels où la société moderne l’a
enfermé ( ce que Dufrenne appelle « autonomisation de l’art ») importe
autant à l’art nomade qu’à l’art populaire : « Que l’on songe à l’importance des

lieux où les oeuvres sont produites et où elles se produisent »120

La recherche d’un rapport autre au public est imaginé comme « le
spectateur dans la fête qui devient acteur à son tour, comme certains
metteurs en scène rêvent que le spectateur soit provoqué par le jeu des
acteurs et participent à la représentation. »121

Aux vus de ces nombreuses correspondances, nous pouvons
suggérer que l’art nomade est un art populaire.

117 Idem p.234
118 Idem p.235
119 Idem p 235
120 Idem p245
121 Idem p 254/255

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:18:25

19-11-12 · 219

  

III.II.II. Champ artistique commun
Au delà de ce mode de vie et d’idées partagées, cirque et free
party ont des mécanismes et des éléments de leur contenu artistique en
commun.

• Notions mises en jeu
A priori, c’est l’image d’Épinal du cirque nomade, son chapiteau, sa
piste, qui peut travailler la free party, et non ce cirque contemporain né
de la conceptualisation des Arts de la piste.

o
Sémiotique
La free party et le cirque traditionnel partagent leur indifférence pour le
sens et la représentation, leur préférant le signe et la ‘’présentation’’.
« L’art ne truque pas plus le réel qu’il ne l’imite. S’il y a mise en scène, c’est pour
produire la présence, non la représentation »122

o
Mécanismes de construction
Le spectacle de cirque traditionnel et la musique techno ont des
caractéristiques de construction commune (juxtaposition séquentielle et
crescendo pour la structure ‘’dramaturgique’’, avancées par ellipses par
enchaînement de courtes séquences bouclées sur elle-même…).
Il semblerait que le crescendo d’un numéro de cirque et une ‘’montée’’
dans la musique techno cherchent à procurer au public le même effet
libérateur.

122 Idem p.111
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Fond et forme
Le cheminement cahin-caha du chapiteau nomade, constitué toujours du
même mouvement de montage et de démontage, trouverait idéalement
dans la musique techno, en raison de sa nature répétitive, son pendant
pour qu’enfin fond et forme puissent s’accorder.

o
Conception de la musique
La ‘’musique de cirque’’ (traditionnel) et la musique techno sont
considérées comme bruyantes, elles portent à considérer le silence
comme une fêlure, et aiment à envelopper, unifier son public.

o
Vision du monde
Comme la figure du cercle dans le nouveau cirque, la forme
répétitive de la musique techno ramène l’homme à l’absurdité de sa
condition et à l’acceptation de ses limites (nous sommes à l’inverse du
travail sur la ‘’montée’’…). Se laisser dominer par la machine (et se
laisser tenter par une forme d’ ‘’animisme mécaniste’’), ou refuser de
dompter l’animal sauvage, relève de la même conception de la place de
l’homme dans la nature.

Le point de vue de Roméo Castellucci123 offre une perspective sur
cette question:

« L’animal et les machines sont totalement indifférents à la scène. Ils ont

leur propre vie. Ce sont des éléments de désordre. Les machines sont

terrifiantes pour cela. Elles croissent en même temps que l’on perd le

geste, C’est ça aussi la révolution industrielle, la perte du geste. Des

savoirs millénaires sont remplacés par les machines alors que naissent

123 Metteur en scène de la compagnie théâtrale italienne SocietasRaffaello Sanzio qui « depuis vingt ans fabrique
pour la scène d’incroyables fééries […], véritable renouveau dans l’art de la scène » ( Bruno Tackels,
www.spechgesang.net).

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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les études anthropomorphiques sur le geste, ce qui prouve qu’on
commence à perdre la conception du geste. Le geste humain aujourd’hui,
est vide. C’est la machine qui fait les gestes… les machines ont une
capacité psychique qui est l’âme (mentalité animiste des enfants). Sur la
scène, cette énergie psychique est réintroduite avec un point de vue
esthétique. Idem pour l’animal. »124

o
Métaphysique
L’art nomade s’exerce dans un espace qui dilue les frontières entre
le dedans et le dehors. Paradoxalement, il crée l’illusion d’un cocon
fédérateur, où s’épanouit un temps en dehors du temps (le chapiteau est
un ventre, un espace amniotique, les sons techno rappellent ceux qui
nous entouraient avant notre naissance…)
Ils ont enfin en commun


La remise en question du langage verbal au profit du corps.

La volonté de présenter une vision crue de la réalité.

La quête des origines : Le cercle et la spirale sont tous deux dans
une recherche d’essence métaphysique.
Ces derniers éléments en font des arts pouvant revendiquer leur filiation
avec le théâtre de la cruauté d’Artaud.


Le théâtre de la cruauté comme fondement artistique commun
Nous ne nous risquerons pas à étudier ce texte fondateur d’Artaud, mais
nous pouvons prétendre à la mise en évidence, en citant différents écrits
parus dans le hors série d’Artpress sur le cirque et l’essai de Grynspsan
sur la musique industrielle, de la filiation artistique entre le cirque et le
son de la Free Party, dont l’ascendant commun est le happening.

124 Castellucci, Art press N°20, op. cit., p.69
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Cirque et théâtre de la cruauté
« Artaud en 1948, définit une visée très proche de celle des arts du
cirque, de leur expérience du risque, de la mort, de l’obligation de se
forger un corps à la mesure du danger de ce ‘’théâtre de sang, un théâtre
qui […] aura fait gagner corporellement quelque chose’’. On aura compris
que cette anatomie de la cruauté allait connaître une descendance chez
ceux pour qui le théâtre, mais aussi la danse, devaient aller aux limites de
l’être humain.[…] [L’émission radiophonique d’Artaud] Pour en finir avec le
jugement de Dieu – interdite après guerre – va résonner souterrainement
chez ceux qui veulent ‘’réintroduire sur scène un […] souffle de cette
grande peur métaphysique.’’ Tout d’abord, il faut trouver un art qui soigne
le mal par le mal, qui accède au nerf du système. Artaud en est le
précurseur, il annonce ce théâtre de cirque que nous connaissons
aujourd’hui. Il parle de l’acteur comme d’un ‘’athlète’’ doté d’ ‘’un véritable
langage physique à base de signe et non plus de mots’’, et ceci dont le
théâtre est la science : ‘’Le théâtre m’est toujours apparu comme un acte
dangereux et terrible.’’[…] Le cirque, les arts forains, la pantomime,
l’usage des mannequins allaient être un matériau pour atteindre ce
‘’théâtre de la cruauté’’. C’est de la fusion de la théâtralité avec les arts du
corps et du geste, que naît ce nouveau type de cirque-théâtre […] »125

o
Happening et cruauté
« Susan Sontag notait que dans le théâtre et son double d’Artaud, on
pouvait relever trois caractéristiques essentielles des happenings :
l’objectivation ou dépersonnalisation des personnages, l’importance
accordée au visuel et au bruitage, au détriment du langage, une volonté
d’éprouver le langage.126 On ajoutera le déni de la représentation au profit
de l’acte efficace dont le rituel est le modèle. »127

125 Ciret Yann, Anatomie de la cruauté, in Artpress N°20, op. cit. , p.62-63.
126 Susan Sontag, L’oeuvre parle, Seuil, 1966.
127 Pencenat Corinne, Du théâtre du monde au cirque du monde, in Artpress N°20, op. cit. , p.71.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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o
Musique industrielle et Free Party
Les membres de la Spiral Tribe considèrent que la musique industrielle

(et plus particulièrement Genesis P-Orridge, membre du premier groupe

de musique industrielle, et l’un des premiers organisateurs de rave

illégale en Angleterre) a eu une influence majeure sur le concept de Free

party nomade et clandestine, ainsi que sur le son acid House.

o
Présentation de la musique industrielle
« La musique industrielle est un courant musical issu des franges du rock
expérimental et du courant artistique baptisé ‘’happening’’, qui consiste à
exécuter des performances au lieu de présenter des oeuvres d’art finies.
Basé essentiellement sur une instrumentation électronique produisant une
musique agressive et dérangeante alliée à une critique radicale de la
société, la musique industrielle constitue un ‘’underground’’ irréductible.
Depuis l’apparition de ce courant à la fin des années 70, simultanément
au punk, l’écho n’a jamais affleuré à la surface des mass médias, ni son
audience dépassée un cercle de passionné discrets. Et pourtant, son
influence se fait plus perceptible à en juger par les fréquentes références
qui lui sont faites par des musiciens des horizons les plus divers.»128

o
Musique industrielle et théâtre de la cruauté
« A la base du mouvement industriel, il y avait une intention presque
didactique d’exploration de soi et de la société. Dans son rejet du
conditionnement social, il y avait un souci d’informer le public sur une
situation d’oppression inacceptable qu’imposait la société à l’individu. Les
musiciens voulaient montrer la réalité telle qu’ils la percevaient par les
sons et les images. Pour cela, le mouvement industriel a cherché à se
créer une esthétique propre, et même si elle n’est jamais clairement
définie, on la retrouve chez tous les groupes. C’est une esthétique de
l’agression et de la violence dirigée contre le public. La révolte qui sous


128 Grynszpan E., La musique industrielle, esthétique de la cruauté et ambiguïté idéologique,

www.zerez.free.fr/texte/indus/indus.htm

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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tend le mouvement industriel rejaillit en une violence symbolique, pour ce
qui est de la musique, et direct pour ce qui est des visuels. Cette violence
a plusieurs fonctions :


Produire une forte impression sur l’auditeur pour qu’il soit dans tous les
cas réceptifs.

La musique n’est pas uniquement un moyen d’échapper au réel, mais
au contraire de le rappeler avec la plus grande force.

Affirmation d’une immanence de la violence dans tous les rapports
sociaux. La cruauté chez Artaud est la condition de la conscience.

La fonction cathartique. Laisser s’exprimer la violence interne de
chaque individu, en provoquant une décharge libératrice lors du
contact, et qui soulagerait les tensions accumulées. »129
« L’esthétique industrielle s’appuie sur des thématiques et des matériaux
violents, choquant et transgressif, destinés à révéler ou à déclencher des
processus de pensée inhabituels chez l’auditeur, du moins si on compare
avec ce que suggèrent les musiques en vogues à l’époque. Le projet de
théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud apparaît nettement, non comme
une influence directe, mais comme un corpus théorique très proche des
réalisations du mouvement industriel »130

Nous considérerons donc le happening comme une tentative de mise en
application du ‘’projet’’ de théâtre de la cruauté d’Artaud. Ce mouvement
artistique à donc énormément influencé le renouveau du cirque et
l’esthétique naissante de la musique industrielle, cette dernière ayant
elle-même contribué à l’éclosion idéologique et artistique de la Free
party. Cet éclaircissement généalogique a pour but de justifier notre
emploi de la cruauté comme point de convergence artistique déterminant
entre le cirque et la free party.

129 Idem
130 Idem
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Nous avons trouvé de nombreux points de convergence entre l’art
circassien et celui de la Free Party : ils sont tous deux des arts
populaires et nomades, ils ont une vision artistique du monde en
commun qui est en grande partie assimilable a la conception du théâtre
selon d’Artaud.

III.III. Proposition d’une combinaison du cirque et de la
Free Party.

A la lumière de l’oeuvre de Nietzsche, La naissance de la
tragédie"131, nous proposerons une nouvelle forme artistique combinant
le cirque et la Free Party .

III.III.I. Dionysos et Apollon
La naissance de la tragédie, oeuvre de Nietzsche, présente une vision
dionysiaque du monde.

• Ivresse et rêve
Dionysiaque signifie : « un besoin d’unité, un dépassement de la
personne, de la banalité quotidienne, de la socialité, de la réalité,
franchissant l’abîme de l’éphémère ; l’épanchement d’une âme
passionnée et douloureuse et débordante en des états de conscience
plus indistincts, plus pleins et plus légers ; un acquiescement extasié à
la propriété générale qu’a la Vie d’être la même sous tous
changements, également puissante, également enivrante ; la grande
sympathie panthéiste de joie et de souffrance, qui approuve et sanctifie
jusqu’aux caractères les plus redoutables et les plus déconcertants de la

131 Nietzsche, La naissance de la tragédie, Librairie Générale Française, Paris, 1994.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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vie ; l’éternelle volonté de génération, de fécondation, de Retour ; le

sentiment d’unité embrassant la nécessité et la destruction »132

La tragédie fait la synthèse des mythes apollinien et dionysien,
comparés respectivement au rêve et à l’ivresse, deux états de
l’inconscience. Le rêve parle à « l’homme doué d’une sensibilité artistique »
qu’il fait accéder à une « vérité supérieur » à la « perfection".133

Opposé à cette sublimation, l’état d’ivresse dionysiaque, conduit à
une régression vers un fond commun indifférencié de tous les êtres.
Dionysos apporte cette croyance que l’ivresse permet à l’homme de
passer de l’humain au divin.134 Le dionysisme donne accès au « seul êtreje
vraiment existant et éternel, celui qui repose au fond même des choses »135 , ainsi
qu’à ce que l’auteur nomme la Mère des choses. Quand nous atteignons
la région de l’être profond, nous oublions le monde empirique : les
barrières, les censures, les interdits disparaissent, et particulièrement les
limites qui séparent un individu d’un autre (mais aussi l’homme à la
nature), le principe d’individuation est sans effet. L’extase dionysiaque
est un passage privilégié vers l’inconscient collectif : « L’être humain
s’extériorise en tant que membre d’une communauté supérieur »136

Cette émotion communique à la foule l’impression d’être
« environnée d’une multitude d’esprits auxquels elle se sait intimement unie »137 ,

l’extase dionysiaque aboutit à la conscience d’une « vérité naturelle

authentique ».138

• La Free Party, une fête dionysiaque.
132 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.8.
133 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.12
134 voir Harrisson, Prolegomena to the study of Greek Religion, Cambridge University Press, 1903, pp.425, 449453,
cité dans Nietzsche, , introduction, in La naissance de la tragédie, op. cit. , p.14.
135 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.15.
136 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.16.
137 Idem
138 idem


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Le but de l’amateur de soirées technos est de troubler ses sens,
d’atteindre l’ivresse par divers moyens. La musique techno est fondée
sur sa capacité de coercition, sa faculté à déconditionner son public,
pour l’amener dans son espace-temps particulier. Le talent de l’artiste se
lira alors dans sa dextérité à fédérer le dance floor, à guider l’errance de
l’entité dansante. La Free party, dans sa volonté de créer un espace
alternatif, l’envie de s’ouvrir, de découvrir ‘’la vérité’’, engage d’autant
plus à chercher à dépasser ce qui tient lieu de vérité à l’univers
empirique. Le caractère caché, illicite des rassemblements tend à souder
d’autant plus les individus. La quête clairement spirituelle du mouvement
se satisfait pleinement de la conception dionysiaque du monde.

C’est d’ailleurs dans ces notions d’espace de réalité autre et de
dissolution des frontières qu’il faut comprendre un espace/temps
commun à la Free Party et au cirque.

III.III.II. Création artistique

La tragédie, dialectique des mouvements dionysien et
apollinien
Le retour au monde empirique, et au « mensonge de la civilisation »139 ,

s’accompagne de dégoût : l’art comme « expression non fardée de la vérité
peut faire dévier ce dégoût pour l’horreur et l’absurdité de l’existence en images avec
lesquelles on ne peut accepter de vivre.»140

L’artiste, tiraillé entre Apollon et Dionysos, touche le sublime du
bout de ses rêves, et se perd dans les obscurs contreforts de son âme,
confondue avec l’inconscient collectif auquel elle est unie.

139 Idem
140 Idem
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Ces états sont des énergies brutes, que l’artiste doit appréhender :
« nous sommes déjà les images et les projections artistiques du véritable créateur de

ce monde d’art »,141 par l’acte de création artistique « le génie se fond avec
l’artiste originel de l’univers, il pressent quelque chose de ce qui est l’essence
éternelle de l’art. »142

Selon la théorie nietzschéenne, Dieu est un artiste qui, en créant
des mondes, se débarrasse du tourment de sa plénitude et se délivre de
la souffrance des contrastes accumulés en lui-même. Le monde est la
rédemption de Dieu…

Nous sommes, tout comme l’existence et le monde, un phénomène
esthétique : l’art sans création n’est rien, car c’est la création artistique
qui replace l’homme à sa source. Le sens métaphysique est pour
Nietzsche ce qui fait comprendre l’homme comme créateur de son
monde.

La musique est l’art dionysien par excellence, le fait premier et
général de l’être invisible, combinaison de l’ivresse et du rêve. Ce
processus tient de la décharge et de la régénération de l’énergie
dionysiaque dans l’imaginaire apollinien. L’artiste joue de la mesure
( illusion ou vérité supérieur, sublimation) et de la démesure (vérité
naturelle, régression) comme d’une structure dynamique pulsionnelle.143
Elle conduit à la métamorphose de l’enthousiasme dionysien en satyre
(figure originelle nettoyée de son éducation à être humain).
C’est la reconquête de l’Un-primordial : « Au centre du moi qui se nie comme

sujet individuel pour n’être plus que le sujet de la démesure, le seul existant et

éternel. »144

141 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.18.
142 Idem
143 voir kremer-marietti, introduction, in La naissance de la tragédie, op. cit. , p.20.
144 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.20.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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La musique dionysiaque est vu comme le « miroir universel de la
volonté du monde »145 , elle « prête au mythe tragique une signification métaphysique
si insistante et si persuasive que ni la parole, ni le spectacle, sans cette aide
précieuse, ne pourrait jamais l’atteindre.»146

La tragédie met le spectateur sur le même pied que l’artiste : « Il
comprend jusqu’en ses profondeurs le déroulement de la scène et il préfère se
réfugier dans l’incompréhensible… Il voit plus nettement et mieux que jamais et
pourtant il souhaite être aveugle.»147

Le réveil du ‘’combat des dieux’’ en lui fait passer le spectateur au
rang d’acteur.

• Proposition d’une nouvelle forme artistique
Bien sûr, la création artistique est présente dans la pratique de la
Free Party, dans sa démarche d’exploration de l’ivresse dionysiaque
(non, ce lieu n’est pas qu’un supermarché de la drogue…).
La musique tekno est une création en tant que telle mais est aussi un
outil permettant de travailler la foule dansante comme un matériau
artistique.

Dans notre démarche de tentative de fusion entre le cirque et le
sound system, nous identifions l’état d’esprit de la Free Party, dont
l’ivresse du dance floor est une composante, en tant qu’énergie naturelle
brute. Le cirque est considéré alors comme matière apollinienne, pétri de

145 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.23.
146 Idem
147 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.24.


Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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rêve, d’élévation, de sublimation (du moins traditionnellement) : « Le
cirque est le seul endroit au monde où l’homme est capable de rêver les yeux
ouverts.» 148

Le travail de création pour ces nouvelles formes artistiques
tiendrait donc du même mouvement ambivalent que celui qui compose la
tragédie dans son alternance dionysien/apollinien.
Ce raccourci peut sembler réducteur, car c’est caricaturer ces deux
formes d’arts que de les étiqueter l’une dionysiaque et l’autre
apollinienne, surtout après avoir tenté tout au long de ce mémoire de
mettre en avant le caractère cruel inhérent au cirque. Et la musique
tekno joue certainement aussi de la nature apollinienne du raveur.
Cirque et Free party sont déjà deux formes de tragédie : Cette
suggestion aura au moins le mérite d’amorcer la réflexion sur ce sujet.

• En guise de conclusion : Le rire salvateur
Nietzsche considérait que la philosophie tragique comportait une

consolation essentielle : « Nous devenons vraiment, pour de brefs instants, l’Être
originel lui-même et nous éprouvons sa soif insatiable d’exister. »149
Dans son Essai d’une critique se soit-même, il revient sur sa position en
rejetant ce besoin de consolation métaphysique. Il faut simplement
apprendre à rire.

« Elevez vos coeurs, mes frères, haut, plus haut !

« Et n’oubliez pas non plus vos jambes ! Elevez aussi vos jambes, bons

danseurs et mieux que cela :Vous vous tiendrez aussi la tête !

148 Hemingway cité par Pascal Jacob, le cirque, op. cit. , couverture.
149 Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.23.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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« Cette couronne du rieur, cette couronne de roses : c’est moi-même qui
me la suis mise sur la tête, j’ai canonisé moi-même mon rire. Je n’ai
trouvé personne d’assez fort pour cela aujourd’hui.
« Zarathoustra le danseur, Zarathoustra le léger, celui qui agite ses ailes,
prêt au vol, faisant signe à tous les oiseaux, prêt et agile, divinement
léger : -
« Zarathoustra le divin, Zarathoustra le rieur, ni impatient, ni intolérant,
quelqu’un qui aime les sauts et les écarts ; je me suis moi-même placé
cette couronne sur la tête !
« Cette couronne du rieur, cette couronne de roses : à vous, mes frères,
je jette cette couronne ! J’ai canonisé le rire ; hommes supérieurs,
apprenez donc - à rire ! »150


Ce texte mériterait de tourner dans le milieu de la Free Party française.
Depuis qu’il s’est ouvert au grand public, la fleur a fanée : Ce
mouvement a perdu son âme, sa spiritualité. Et comme la dilution est
cruelle, le teufeur moyen se sent obliger d’endosser sa carapace de bad
boy. La Free party aujourd’hui oublie de rire. Elle a grand besoin de
l’effet cathartique du cirque et de ses clowns.

150 Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, in Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit. , p.44
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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CONCLUSION

Nous affirmons donc que la rencontre du cirque et de la Free Party
est évidente parce qu’ils sont tous deux des arts nomades et des arts
populaires. Nous avons mis en évidence que leurs fondements
artistiques commun était les principes exposés dans le théâtre de la
cruauté d’Antonin Artaud. En définissant la Free party comme un art
dionysien et le cirque comme un art apollinien, nous avons fait la
proposition de l'invention d’une nouvelle forme artistique reposant sur la
même démarche dialectique que celle qui féconde la Naissance de la
tragédie selon Nietzsche.

Au sein de la problématique qui est la nôtre, on ne peut faire
l’économie d’une question inhérente à toute démarche artistique, celle
de la dialectique entre construction et subversion :

« La provocation est une (ré)action violente dont le nihilisme peut
étouffer parfois toute velléité constructive »151 .

Savoir si l’on se trouve dans l’alternative ou non semble une
question un peu dérisoire lorsqu’on a la certitude de proposer à son
public un travail artistiquement riche, et donc plus incisif dans son propos
que nombres de rassemblements supposés ‘’rebelle’’ : car la Free Party,
en France en tout cas, a cessé d’être subversive.

L’accès gratuit à l’art demeure une question essentielle posée par
la Free party : elle doit interroger le médiateur culturel. Et le service
public permet a priori à l’art de ne pas avoir à se prostituer à des
contingences commerciales…

151 Grynspan Emmanuel, Bruyante techno, op. cit.
Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Il ne s’agit pas pour ces nouvelles formes artistiques, de créer un
espace-temps autonome au sens de celui de la Free Party. Par contre,
la Free Party est présentée tout au long de ce travail comme porteuse
d’un certain état d’esprit ; la démarche conduisant à la création de ces
nouvelles formes artistiques consisterait à ‘’capter’’ cet esprit particulier
et à l’utiliser comme la coloration artistique à la base du travail de
création. Les compagnies de nouveau cirque ont en commun la volonté
d’afficher un style qui les représente, la singularité de celle que nous
appelons de nos voeux serait donc engendrée par l’essence de la Free
Party. A ce titre l’ivresse ineffable vécue dans cette sphère, mémoire
active, en devient le matériau artistique. Il s’agirait d’ailleurs plus de faire
émerger un ‘’sound system total’’, se dotant d’autres langages artistiques
que la musique (tels que les arts de la piste), plutôt que de créer un
‘’cirque techno’’.

L’innovation la plus importante de ces nouvelles formes artistiques
serait de fondre piste de cirque et piste de danse, afin que le spectateur
soit aussi danseur. Il semble indispensable que l’expérience soit
conduite avec de petites jauges, pour que, tel un rituel, soit recrée
l’intimité nécessaire à l’émergence d’une certaine tension dans le public.

La construction des numéros circassiens dirigés par les mêmes
procédés que ceux mis en jeu dans la création de la musique tekno
ouvre des perspectives du plus grand intérêt artistique : là surgissent les
potentialités d’une fusion radicalement nouvelle.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.



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Lexique

Acid : Son caractéristique, plainte sonore aiguë changeant de timbre,
produite par un instrument musical électronique la ‘’TB303’’. Ajouté au
nom d’une musique, l’adjectif signifie que ce style contient des sons
‘’acid’’.

After : Evénement ayant lieu à la suite d’une fête.

Dance floor : Piste de danse.

DJ : Passeur de disques, créateur d’atmosphères sonores.

Flyer : Tract annonçant un événement.

Free Party : Forme festive techno, rattachée aux sonorités hard core,
qui se caractérise par l’irruption sauvage et clandestine : elle envahit à
l’improviste et sans autorisation préalable, des lieux abandonnés ou
désert, les transformant en territoire festif éphémère. Le droit d’entrée
est régentée par une donation (don d’argent ou en nature).

Hardcore : Branche ‘’dure’’ de la musique techno, caractérisé par des
rythmes rapides.

House : Musique techno caractérisé par l’utilisation de sons acoustiques
issus de la musique noires américaine : funk, soul.

Live : Prestation musicale effectuée en direct à partir d’instruments
électroniques.

Mix : Prestation du Dj. Le mix est le mélange de deux vinyles.

Montée : Crescendo du rythme et/ou de l’intensité de la musique.

Sampler : outil électronique permettant d’enregistrer et de numériser
une durée sonore provenant d’un microphone ou d’un synthétiseur. Les
sons enregistrés peuvent être modifiés par des filtres et des effets
informatiques.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.


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Sound system : Ensemble d’éléments techniques permettant la
diffusion de la musique. Fédération d’individus autour du matériel de
sonorisation et qui vient le poser dans les fêtes sauvages et teknival.

Techno : Désigne un style de musique apparu au milieu des années 80,
à la croisée des musiques électronique européenne (Krafwerk,
Tangerine Dream….) et des musiques noires américaines (soul, funk,
jazz). La techno n’utilise que très peu d’échantillon de sons acoustiques
ou de voix. Il est employé aussi comme adjectif.

Teknival : Festival sauvage et clandestin de la musique techno qui
s’étale sur plusieurs jours. Il accueil plusieurs sound system.

Tekno : Désigne la forme alternative de la techno.

Teuf : Free party.

Teufeur : amateur de fête sauvage.

Travellers : Les voyageurs. Nomades qui vivent en camion. Certain se
regroupent, formant alors une tribu tekno et se déplaçant en petits
convois. Ils disposent alors d’un sound system. Ils peuvent organiser
une fête sauvage quasiment n’importe où et dans un minimum de temps.

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
Vers l’invention de nouvelles formes artistiques.

demoniak01 · Sound System

04-08-14 00:19:38

19-11-12 · 219

  

Bibliographie


• Ouvrages généraux
ARTAUD, Antonin, Le théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1964
BEY, Hakim, L’Art du chaos, stratégie du plaisir subversif, Nautilus, Paris, 2000
BEY, Hakim, T.A.Z – Zone d’Autonomie Temporaire, l’Eclat, Paris, 1997
DEGAINE, André, Histoire du Théâtre, Nizet, Paris, 1992
DUFRENNE, Mikel, Art et politique, Christian Bourgeois 10/18, Paris, 1974
MAFFESOLI, Michel, Du nomadisme, Vagabondage initiatique, Librairie Générale
Française, Paris, 1997
MAFFESOLI, Michel, Le temps des tribus, Le déclin de l’individualisme postmoderne,
la table ronde, Paris, 2000
MAFFESOLI, Michel, L’ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de
l’orgie, Librairie des Méridiens, Paris, 1985
MICHAUX, Henri, Connaissance par les gouffres, Gallimard, 1967
NIETZSCHE, La Naissance de la Tragédie, Librairie Générale Française, Paris, 1994
Le siècle rebelle, Larousse, Paris, 2000.

• Cirque et nomadisme
BILLAUD A., Echkenazi A., Léon M., Droit de cité pour le cirque, Le moniteur
(« Guide Juridiques »), Paris, 2001.
CASTELL, Jean-François, Le chemin de papa, édité à compte d’auteur, 1999
DAVID, Claire, Royal De Luxe 1993-2001, Actes sud, 2001.
DE MORANT, Alix, Scène Itinérante – Emergences, résurgences, mémoire
universitaire, Université Paris X, 1999.
IAN, P., Archaos, cirque de caractère, Albin Michel, 1990.
JACOB, Pascal, Le cirque, du théâtre équestre aux arts de la piste, Larousse/VUEF,
2002.
MERCHAT Daniel, Accueil et stationnement des gens du voyage, Le moniteur
(« guides juridiques »), Paris, 2000.
ROMANES, Alexandre, Un peuple de promeneurs, Ed. Le temps qu’il fait, réed.2000.


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Revues, ouvrages collectifs :
Arts de la piste, trimestriel publiée par HorsLesMurs, Paris
Art Press N°20, « Le Cirque au-delà du cercle », 1999.
Cassandre N°43, « Chantier Nomade », dossier coordonné par De Morant Alix, Hors
champs, sept.-oct. 2001.
Le goliath, guide-annuaire des Arts de la rue et des arts de la piste, HorsLesMurs,
2002.
Scène Urbaine, N°2, « théâtres Nomades », HorsLesMurs, Paris, 2002
Théâtre Aujourd’hui N°7, « Le cirque contemporain, la piste et la scène », CNDP,
MNERT, Ministère de la Culture et de Communication, Paris, 1998.
5500 chapiteaux sillonnent la France, Berdarida Catherine, in le Monde, 28 mai 200.
Dossiers de presses d’Archaos, Cahin-Caha, Cirque Oz, Cirkus Cirkör, La Fura del
Baus, Royal de luxe, centre de documentation de HorsLesMurs, Paris.


• Techno
COLOMBIE, T., Technomades, stock, Paris, 2001
GRYNSZPAN, Emmanuel, Bruyante techno, réflexion sur le son de la free party,
Mélanie Seteun, 1999.
QUEUDRUS, Sandy, Un Maquis techno : modes d’engagement et pratiques sociales
dans la free party, IRMA, Paris, 2000.
RACINE, Etienne, Le phénomène Techno, Imago, 2001.
La musique techno, approche artistique et dimension créative, actes du colloque
« La techno, d’un mouvement musical à un phénomène de société », tome2, édité
par le confort moderne et l’Ardiamc Poitou-Charente, 1998.
No System, pas de référence, ouvrage épuisé.


• Emission de radio, site internet
Renaud Jean-philippe, Sound-system et Free party, cinquante ans de
musique amplifiée, et voyageuse, France-Culture, 2002

www.cahin-caha.com

www.cirkusroadsystem.org
www.horslesmurs.asso.fr


www.network23.org/teknocircus
www.ruigoord.nl/ballon


www.tash.gn.apc.org

www.zerez.free.fr/accueil.htm

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Annexes


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Archaos...

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Au croisement du Cirque et de la Free Party :
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Spiral Tribe, Mutoid Waste & Bedlam

La Spiral Tribe, organisateurs de Free party anarchiques, se sont
associés avec la Mutoid Waste Company, un collectif d'artistes
sculpteurs sur métaux usagers et assembleurs d'engins abandonnés.
Réutilisant les rébus de la société moderne, transformant les déchets
pour célébrer le millénaire, avec toute l'iconographie post-apocalyptique
de Dan Dare et de Mad Max, Robocop et une sensibilité de combattant
dont les ancêtres auraient bien pu être Beowulf. La Spiral Tribe a
également exploré au-delà de la façade de notre vie civilisée. Leur art
est la musique et il s'agit également d'une mutation, un son généré par
les ordinateurs, vaste péripétie de sons et de basses à 20 Kilos de
puissance pour faire pleurer vos yeux. Pas de vibrations ethniques ni de
guitares nostalgiques au coin du feu, pas de rêveries sur les lendemains
qui chantent, parce que s'il y a bien un groupe de gens inscrits dans le
présent, ce sont eux.
De ce monde virtuel et militarisé qui les a vu émerger et qu'ils reflètent,
bien déterminés avec leurs camouflages, conduisant leurs camions
militaires récupérés, vivant dedans, avec leurs grosses chaussures et
leurs crânes rasés.
Leur popularité connut un essor rapide grâce à quelques fêtes en
Angleterre, et vague de paranoïa hystérique qui balaya les esprits de la
population a conduit à une chasse aux sorcières de la Spirale Tribe et de
leurs semblables. Lors d'une fête dans une maison vide à Acton, la
police feignit une attitude sympathique, puis tard dans la nuit commença
à frapper sur les murs puis se rua dans le bâtiment, matraques en avant.
Ils détruisirent le matériel de musique et frappèrent les gens au sol. La
Criminal Justice Bill autorise ce genre d'action imbécile et fasciste.

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La loi concerne les tsiganes, les nomades, les rassemblements, les
manifestations pacifiques, réprime la Techno musique en partie ou
complètement caractérisée par une succession de pulsations répétitives.
La conséquence est un exode vers la terre promise, L'Europe et au-delà;
tandis que l'Angleterre serre la vis, renforce la soumission à la culture
consumériste, l'inertie, l'énergie de la scène Techno fuit. Nous sommes à
la fin du XXème siècle, la Spiral Tribe et les Mutoid errent dans les
paysages désolés de la république Tchèque, en Europe de l'Est.
La scène Free party Anglaise que nous avons laissé derrière ressemble
à un bébé kétaminé les yeux tournés vers Goa. Nous avons pris le train
à Victoria Station et 24 heures plus tard nous étions à Prague. Nous
avons rencontré un homme de Preston qui avait fait la même chose et
revendu son billet de retour ! Qu'est-ce que ça signifiait pour lui ? Perdre
son boulot, quitter sa petite amie, la vie nocturne de Preston. Les autres
gens que nous avons rencontrés, un garçon nommé Luke, dont le frère
vit à Prague, organise des soirées et fait venir des Dj's d'Angleterre pour
jouer dans les clubs de Prague. Dans les bars autour de la gare centrale,
nous avons rencontré des jeunes fans de la Spiral Tribe, des étudiants
faisant le tour d'Europe durant leurs vacances, un trio de gros buveurs
irlandais, des têtes de Mohican familières du circuit des fêtes. Nous
avons entendu les nouvelles de l'endroit où se situe le festival, des
rumeurs et des anecdotes furent échangées, la Spiral Tribe s'est
connectée avec le réseau souterrain pragois.
Pour les novices, la référence sont les Merry Pranksters, Ken Kesey,
Mountain Girl etc. Une réécriture des circuits cérébraux à travers l'usage
du LSD 25, un reconditionnement de la conscience comme si les
anciennes notions se dissolvaient dans le bain d'acide.

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Ils sont les héritiers des Pranksters. Le concept hippie a perdu tout
potentiel mais la subversion ne peut être démodée, c'est inconcevable et
inconciliable. Ce qui dénote en revanche, c'est que les Pranksters
portaient d'étranges et effrayants accoutrements, peinturlurés au dayglo,
non-conformistes gesticulant et baignant dans un positivisme Prankster.
Le monde scintillait autour d'eux et l'homme marchait triomphalement sur
la lune. Autour d'eux le monde quittait sa cuirasse grisâtre des années
50 pour le Technicolor des sixties. Mais ces nouveaux venus sont plus
inquiétants et sombres, un sorte de vision nihiliste de l'oppression
policière, une explosion de vibrations exprimant la crainte des enfant du
monde occidental, paysages urbains de pierre et d'acier pourrissant, où
la vie est une zone de combat, où dans un cri d'aliénation on s'effraie
mutuellement et mortellement. Les rêves d'une génération sont exprimés
pas ces hors-la-loi, et quels rêves, quels cauchemars !
Sur le site d'Hostomice en Tchéquie, on aperçoit un Mig, avion de
combat russe de la IIème guerre mondiale, monté sur une remorque.
Des véhicules militaires dont les roues sont plus hautes qu'un homme,
sont regroupés tout autour. Dans une large cage de 3 m de haut pend
une créature de métal dont la tête soudée se tord vers le ciel dans rictus
à la Bacon. Dans la confusion nocturne, les lasers trouent la poussière
stagnante. Les mutoids traversent la foule hurlante dans une voiture
déconstruite équipée d'un chalumeau qui crache des flammes à travers
le pare-brise, et entouré de cracheurs et de jongleurs de feu. des gens
sont assis en cercle sous des bâches, d'autres jouent avec des chiens
excités. la police d'ici nous a aidé sourit une jeune française aux yeux
brillants ailleurs ils nous tirent dessus dit-elle mimant des tirs en l'air.
En journée il fait trop chaud pour bouger. Un lac dans les environs attire
les gens et de leurs chiens. On distingue des corps endormis dans
l'ombre. Seul les soleils rayons du soleil les sortent de leur inertie.

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Une journée particulièrement chaude évolue au crépuscule en tempête
électrique, et tous émergent des campements et des véhicules pour
danser dans un tourbillon de poussière. L'électricité fait craquer l'air, et
parmi les rafales fraîches et le vent chaud, les vibrations montent,
acides, tangibles. Les Spirals s'accordent avec une précision diabolique
à la brillance de la nuit. Impossible de se soustraire aux rythmes,
l'atmosphère est faite de ce violent chaos d'ultrasons hurlants. Les
projettent dans le futur, fusant vers le ciel, et soudain une voix samplée
retentit : YOU DON'T KNOW WHAT YOU'RE DEALING WITH [tu
ignores à quoi tu as affaire]. C'était l'expérience de la Spiral Tribe,
enflammer les pierres, le ciel, la poussière, les gens, tout ensemble
projeté en l'air dans la zone du numéro 23.
Pour d'autres la paranoïa prend une tournure insidieuse. Un garçon
effrayé de 15 ans, issu d'une école publique, cherche un lieu sur
Megatripolis et affirme que la Spirale Tribe a sélectionné 5 jeunes
personnes dont lui et que tout autour, dans l'herbe, sur les pierres et
dans la poussière, apparaissent des lettres qui forment des mots se
rapportant à lui. La Spiral Tribe vous rend paranoïaque mais c'est bien
comme cela. Leur existence porte une signification cosmique dans un
monde qui perd sa raison d'être en se coupant des traditions
ancestrales. En chamanes du XXème siècle, ils nous montrent que nous
faisons fausse route. Le temps est venu menacent-ils d'éveiller la
planète. Et pour le plus aigre des cyniques, il y a quelque chose en eux
de super galactique/futuriste qui reste impénétrable par le cynisme. J'ai
eu l'impression très nette en face des enceintes, au son des basses,
qu'une guerre était déclarée au reste du monde. Et personne d'autre ne
sait monter des fêtes aussi fantastiques.

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Au cinquième jour la Spiral Tribe coupa le son et les Mutoid rangèrent
leurs sculptures sur la demande du maire pour mettre fin aux
réjouissances. La manière dont il parviennent à traverser les frontières
demeure un mystère pour la plupart. L'iconoclaste équipage se fait
passer aux yeux des douaniers suspicieux pour un cirque ambulant. En
fait il s'agit d'un cirque nomade possédant tous les paradoxes de la
représentation populaire du cirque. En dehors de la société, parodiant la
société, telle une pantomime de clowns et de danseurs, véhicules
défoncés dans une arène poussiéreuse, avec un avion de chasse tel un
substitut d'éléphant parfaitement incongru dans le paysage est-européen

Nel Stroud

République Tchèque, été 1994

Au croisement du Cirque et de la Free Party :
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