Après celui du 1er mai, c’est au tour du grand rassemblement de l’été de disparaître du calendrier des teufers. L’heure est à des manifestations «à taille humaine», «multisons»… et sans CRS.
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Par FABIEN PAILLOT

       
Le teknival du 15 août n’aura pas lieu cette année, tout comme celui du 1er mai avant lui, faute de participants. Le phénomène des rave parties, débarquées d’Angleterre au milieu des années 90, ne s’essouffle par pour autant. Les teufeurs continuent de vibrer chaque week-end, partout en France, au rythme des basses saccadées de la musique techno. Mais ils rechignent désormais à organiser ces deux grandes messes annuelles, points d’orgue du mouvement, sur des terrains réquisitionnés par l’Etat et ceinturés par les forces de l’ordre.

«sarkovals». Les ravers n’ont pas repris le chemin de la clandestinité, mais ils se veulent responsables. «On joue avec la loi et non plus contre elle. Mais c’était le seul moyen de continuer», assure Mik Izif, DJ et membre du sound system Sono Pirate. Lassés des saisies de matériels à répétition, les organisateurs ont appris à s’accommoder d’une législation «créée pour ne pas fonctionner». Ils prônent aujourd’hui le dialogue, louent pour la plupart les terrains qu’ils occupent et vont jusqu’à souscrire des assurances pour les couvrir en cas de problème. But affiché : prouver qu’ils peuvent organiser ces fêtes de manière autonome et responsable. «Les "sarkovals" [grands rassemblements à l’époque où Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, ndlr] n’étaient qu’une mode amplifiée par les médias. La plupart des teufeurs ne cautionnent pas ces gros événements et souhaitent un retour à des fêtes à taille humaine», résume Mik Izif.

«Instaurer un climat de confiance», tel est le mot d’ordre défendu par la mouvance techno. «On veut montrer patte blanche», confirme Rabin, membre de l’association Technotonomy qui fait office, dans le Grand Ouest, de médiateur entre sound systems et pouvoirs publics. «Il s’agit de peser de tout notre poids face aux institutions et surtout d’être pris au sérieux», explique-t-il. Une démarche qui semble avoir fait ses preuves. En Bretagne, la préfecture de région entretient des «rapports étroits» avec les acteurs du mouvement. Elle reconnaît qu’avoir en face d’elle des interlocuteurs clairement identifiés a grandement facilité les choses. «Si l’aspect sanitaire et les drogues restent une préoccupation, le mouvement en lui-même n’est plus un souci», y affirme-t-on.

«Esprit d’antan». En Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire, les rassemblements de plusieurs dizaines de milliers de personnes ont ainsi laissé place à de plus petites manifestations réparties sur plusieurs départements. Des fêtes plus fidèles à «l’esprit d’antan» que les organisateurs ont rebaptisées «multisons» pour se refaire une image. «Les teknivals étaient devenus ingérables et humainement pauvres, juge Rabin. De cette manière, on en revient à un côté intimiste et passionné, tout en étant plus ouvert au dialogue.» Seul point noir, selon l’associatif, l’opposition des élus locaux «de gauche comme de droite». «Les clichés ont la vie dure, plaisante-t-il. Mais ça, c’est peut-être parce que notre culture a longtemps privilégié le secret.»

L’entente cordiale qui prévaut dans certaines régions est loin d’être la règle sur l’ensemble du territoire. L’accord des pouvoirs publics serait notamment difficile à obtenir dans le Sud, assurent les ravers, même lorsqu’ils bénéficient d’un bail ou de l’autorisation du propriétaire et proposent un projet viable.

Rentrée en vigueur en 2002, la loi n’impose qu’une simple déclaration préalable en préfecture. Mais le gouvernement a mis en place toute une série de garde-fous. Des mesures qui instaurent de facto un régime d’autorisation laissé à l’appréciation de l’administration. «Avec cette loi, personne n’a jamais réussi à obtenir une autorisation. Toutes les raves légales ont été organisées par d’autres biais», ironise Lionel Pourtau, sociologue à l’université Paris-V et spécialiste de la mouvance techno. Le chercheur tient pourtant à relativiser cette différence de traitement entre régions : «Le mouvement breton a toujours été structuré, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Et le jeu de chaises musicales imposé au corps préfectoral oblige régulièrement ces acteurs à reprendre le dialogue à zéro.»

Fêtes privées. Les sound systems ont malgré tout su tirer profit de la législation. Sous la barre des 500 personnes, les raves ne sont pas soumises à déclaration auprès des autorités et s’assimilent à des fêtes privées. Une marge de liberté qui convient bien à Mik Izif. «On retrouve un public de connaisseurs et les fêtes redeviennent de meilleure qualité. Aujourd’hui, on ne fait plus de politique, on privilégie le message musical.» Pour limiter l’affluence, Internet et les messageries vocales sont même délaissés. Les organisateurs se limitent à l’impression de quelques flyers, le bouche-à-oreille faisant le reste.

Autonomie contre responsabilités, un deal finalement équitable aux yeux des teufeurs. Moins visibles, les raves s’implantent durablement dans le décor. «Plusieurs générations se sont succédé et le renouvellement est toujours très fort. On est bel et bien sur une constante», analyse Lionel Pourtau. «Le mouvement techno a plus de 25 ans, rappelle Rabin, il serait peut-être temps de le prendre au sérieux.»


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