Je vous ramène un petit coup dans le passé en repostant ici un texte qui remonte à 2004 que j'avais trouvé sur illegalparty: http://www.illegalparty.com/article3226.html et qui avait été posté initialement sur u-blog.net
Jean-Philippe Bernard, ex-teufeur
vendredi 30 avril 2004
Petit retour en arrière :
:: Nous n’irons plus au Teknival
Source : Jean-Philippe Bernard, ex-teufeur
Ces derniers jours, on ne compte plus les journaux qui font leurs choux gras du phénomène techno de l’été, le Teknival du 15 août.
Devant cette avalanche médiatique assortie de chiffres ronflants (30 000, 40 000 personnes !), on ne peut que se demander où est passé l’esprit originel du Teknival. Ce n’est pas tant qu’il se soit dilué dans les discussions absurdes avec les pouvoirs publics mais bel et bien qu’il ait, hélas, totalement disparu. Initié par le sound system anglais Spiral Tribe au tournant des années 90, le Teknival se voulait le rassemblement des tribus et des sons qui déjà sillonnaient l’Europe. Point de rencontre musical, confrontation des différents sons, espace de liberté où chacun était son propre organisateur, le Tekos était la parfaite illustration d’une anarchie libertaire en train de fonctionner. Un miracle, une utopie pirate.
Il s’agissait de se retrouver quelque part dans un lieu secret, au milieu de la nature, et de faire la fête sous les étoiles jusqu’à plus soif. Les repéreurs avaient à coeur de dégotter les endroits les plus beaux et étonnants, des messages sibyllins circulaient sous le manteau et le voyage jusqu’au son restait un véritable chemin de croix où il valait mieux savoir manier les cartes IGN pour trouver sa route et disposer d’une bonne réserve de cartes téléphoniques pour contacter une info line volatile.
A l’époque, une grosse fête rassemblait au mieux 5 000 teufeurs, 5 000 techno-warriors actifs et concernés. On y croisait les gens les plus improbables et un panel de nationalités à faire pâlir une réunion de l’Europe élargie. Le Tekos était magique, une incursion de l’autre côté du miroir, ceux qui y venaient pour la première fois en repartaient convaincus et d’aucuns qui détestaient franchement la techno se réveillaient quatre jours plus tard fans inconditionnels de hardcore. Je me souviens qu’avant, la canette de Coca était moins chère qu’au bar du coin, que les gens étaient responsables d’eux-mêmes et que la fête ressemblait à une arche de Noé électronique...
C’est bien loin, tout cela. Ironiquement, en cet été 2003, il n’est plus besoin de prendre la route pour aller au Teknival car celui-ci se déroule au milieu de celle-là. Plus besoin de jouer au chat et à la souris avec la gendarmerie puisque tout se déroule dans un climat de concertation quasi cordial et avec l’aval normatif des autorités. Aujourd’hui, alors qu’il suffit d’ouvrir n’importe quel canard ou d’allumer la télé pour savoir où se déroule le Teknival, nous sommes à des années-lumière de ces temps héroïques. Nous avons enfin rejoint les grands festivals de musique dont le Teknival se voulait à l’origine le contraire.
Il y a bien maintenant, d’un côté, les organisateurs et les sons et, de l’autre, le public, simples consommateurs de musique frelatée et de drogues. La drogue, vaste sujet. La spirale infernale était amorcée depuis quelques années. Les dealers professionnels ayant bien compris tout l’intérêt de ce vaste public captif et surconsommateur, ils ont vite repris en main la distribution de substances à la qualité toujours décroissante. En quelques fêtes, on est passé des petites épiceries à la grande distribution, avec les mêmes effets pervers que pour la malbouffe. Reste la musique, présentée par quelques-uns comme l’alibi de ces fêtes différentes. Aujourd’hui, si l’on veut entendre du son intéressant, mieux vaut traquer les petites fêtes qui se posent toujours au fond des bois. Franchement, autant bien s’amuser à 249 personnes avec 2 kilos de bon son et quelques jolis lives, plutôt que de se faire un bad trip sonore au milieu de 40 000 chépers.
Quand on passe de l’insurrection musicale à l’institution festive, on laisse bien des morts sur les bords du dance-floor. L’affaire est pliée, l’esprit de la free s’en est allé danser sous d’autres latitudes. Et surtout, surtout ne m’appelez plus Teknival. L’utilisation de ce nom pour qualifier ces grands raouts électroniques sous contrôle est un manque total de respect pour les sons et les associations qui ont défriché les espaces de liberté qu’on arrivait à voler à la société du spectacle. A la foire aux noms, on pourrait proposer la Fête à Tek-neu-neu, expression qui traduit au mieux la déliquescence de ce qui fut une belle aventure. A propos, à quand l’organisation du premier Tekos indoor à Bercy, avec forêt reconstituée, faux camions et service d’ordre costumé en travellers ?
Jean-Philippe Bernard, ex-teufeur
Source : U-Blog.net
/édith: suppression d'un morceau de phrase juste pour pas choquer ceux qui ont été prendre des coups de matraques en teuf en Europe de l'Est entre 2003 et 2004 :P
Bonus:
la capture d'écran avec tous les commentaires
Gràce à archive.org, on peut encore lire ce post tel quel en cliquant ici.
Dernière modification par izwalito (19-05-16 21:40:57)