Des tags dans la série Homeland pour dénoncer son racisme
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La production a fait appel à trois street-artists sans se douter qu'ils allaient détourner les graffitis afin de moquer la série américaine. Deux d'entre eux ont expliqué leur happening à « L'Orient-Le Jour ».



La mésaventure arrivée à la production de la série Homeland vient rappeler qu'il serait peut-être temps de prêter attention à ce qui apparaît dans le champ de la caméra, et d'arrêter de négliger le travail des graffeurs et la langue arabe.
Embauchés en juin dernier à Berlin par la production américaine pour réaliser des graffitis afin de rendre les lieux de tournage plus réalistes, trois artistes ont choisi de « hacker » la série américaine avec leurs tags. Le plus insensé ? Aucun membre de l'équipe – que ce soit pendant le tournage ou le montage – n'a fait attention aux inscriptions en arabe. Probablement trop focalisée sur d'autres éléments, la production s'est fait prendre à son propre jeu par les trois artistes qui travaillaient sous leurs yeux. Résultat, le deuxième épisode de la cinquième saison a bien été diffusé sur la chaîne américaine Showtime le 11 octobre et il a une drôle de saveur. Subrepticement, l'inscription Homeland est raciste apparaît à la faveur d'un plan rapide dans le décor censé représenter un camp de réfugiés syriens situé à la frontière libano-syrienne. D'autres inscriptions avaient été réalisées, mais sont invisibles à moins d'ausculter l'épisode image par image.
Mission (tout de même) réussie pour l'Égyptienne Heba Amin, l'Allemand Don Karl alias Stone, et l'Égyptien Caram Kapp – travaillant à Berlin depuis 15 ans. Le trio* à l'origine de ce trolling géant souhaite ainsi dénoncer, au mieux, les nombreux errements scénaristiques et caricatures de la série, au pire, le racisme inhérent à chaque épisode. Deux d'entre eux ont bien voulu expliquer les raisons de leur action.

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« Al-watan mesh mosalsal » («Homeland» n’est pas une série).


Comment avez-vous eu l'idée de détourner les tags ?

Don Karl : La production voulait simplement des écritures en arabe sur les murs, peu leur importait le contenu. Les graffitis étaient là comme un supplément visuel pour nourrir leur fantasme erroné du Moyen-Orient. Personne n'a regardé ou vérifié ce que l'on faisait, cela montre bien le peu d'intérêt qu'ils portent à la région qu'ils souhaitent dépeindre... On a donc décidé d'utiliser cette occasion pour diffuser notre message.
Caram Kapp : Pour nous, détourner les graffitis était la seule raison de travailler sur ce tournage. Si la production avait fait des recherches sur nos travaux précédents et nos regards critiques respectifs, ils ne nous auraient pas
embauchés...

Qu'avez-vous voulu dénoncer ?

D.K. : Ceux qui ne connaissent pas le Moyen-Orient peuvent trouver que la série Homeland est un bon divertissement ou penser qu'il s'agit simplement d'une fiction. Mais pour les autres, surtout les habitants de la région, beaucoup en ont marre d'être dépeints de cette manière par la série. Par exemple, dans un épisode de la saison 2, un chef d'al-Qaîda rencontre un commandant du Hezbollah, ce qui est un non-sens total. La scène est censée se dérouler dans la rue Hamra à Beyrouth (NDLR : montrée telle un nid de terroristes insalubre). En réalité, tout le monde sait que cette rue est ponctuée par de nombreux cafés, bars et des femmes qui marchent librement.
C.K. : Dans la série, les personnages arabes et asiatiques sont soit des réfugiés, soit des terroristes, ils n'ont pas d'autres rôles. La dernière saison est construite sur des faits réels (NDLR : les fuites d'un lanceur d'alertes), mais tout est montré d'une manière extrême et caricaturale.
D.K. : La série colporte des erreurs volontaires, des stéréotypes et justifie la torture de la même manière que 24 heures chrono le faisait auparavant. C'est de la réelle propagande qui influence l'opinion américaine et plus largement la diplomatie au Moyen-Orient.

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Le tag « Homeland est raciste » apparaît subrepticement sur un mur.


Pensez-vous que votre « happening » puisse changer le regard que l'Amérique porte sur le Moyen-Orient?

C.K. : J'espère, de manière un peu utopique, que cela permettra aux gens de s'ouvrir aux autres, de se rappeler que l'on partage la même planète malgré nos différences.
D.K. : C'est un peu prématuré de penser que cela peut influencer l'opinion américaine à propos de ce genre de sujet. Nous voulions faire rire les téléspectateurs dans un premier temps et faire réfléchir sur la manière stéréotypée dont sont dépeints les Pakistanais, les Afghans, les Libanais et plus largement les Arabes. Notre action fait beaucoup parler dans le monde entier, cela veut dire que nous avons touché une corde sensible.

*Coauteur des livres « Arabic Graffiti » et « Walls of Freedom », l'activiste et éditeur de 46 ans Don Karl travaille étroitement avec les graffeurs de Moyen-Orient depuis plus d'une décennie. Il connaît bien ses deux camarades Heba Amin (35 ans, professeure à l'Université américaine du Caire) et Caram Kapp (34 ans, designer graphique) qu'il côtoie depuis plusieurs années.



Source : l'orient le jour