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apash · Team FTP

27-12-14 13:33:35

08-09-12 · 1 715

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Azyle est une légende du graffiti parisien pour tous ceux qui s'intéressent au métro. Très discret tout au long de sa carrière de writer qui a duré près de 15 ans, l'artiste entretient un rapport privilégié avec Karim Boukercha, auteur du livre Descente Interdite, qui dresse son portrait

L’histoire commence un dimanche matin de mai 1990, sur la ligne 13. Trois adolescents sont postés dans un wagon qui les conduit vers le 7ème arrondissement de Paris. Là-bas, en dessous des Invalides et de l’ambassade d’Italie, dorment paisiblement une douzaine de rames qui, paraît-il « sont défoncées tous les week-end »… Ce jour là, il y a Evil et Jek, mais aussi un petit nouveau, d’une quinzaine d’années, qu’ils ont invité à « faire » son premier métro. Ils ont été intrigués par ses tags un peu partout dans la Courneuve d’où le gamin est originaire. Jusque-là, il écrivait Asi.06, mais comme ça ne sonnait pas terrible, Abdik, son acolyte de la toute première heure qui n’avait de cesse de le voir grimper partout pour poser lui conseille de signer Asile : « Ça t’irait vraiment bien, je t’assure… ». Vendu.

Voilà maintenant le petit groupe qui guette sur le quai de la station Varenne où se trouve un des dépôts de métro les plus prisé du moment. Asile est impatient. Trop pour ses deux ainés qui ne veulent pas prendre le risque de descendre tant qu’il y aura encore du monde et qui, surpris, regardent « le petit » y aller sans leur demander la permission. Ces premiers tags à la Krylon blanche engendrent des vapeurs qui se sentent jusque dans la station.

« Putain, Asile, arrête tes conneries! » .
Rien à faire, plus rien n’existe pour lui, immédiatement happé par l’âme du dépôt. Bien sûr il a peur de l’inconnu, des bruits, ou des éventuels flics en planque, mais il s’y sent bien. Comme chez lui. La seule chose qui lui pose problème c’est qu’il manque de place. Les rames sont déjà ruinées par l’artillerie lourde d’un des groupes phare de l’époque et proche des rappeurs des NTM, les 93 MAFIA CREW, qui règnent en maîtres sur la ligne. Les Kea, Mam, Swen, Arys, Keys, Acide, et tous les autres visages menaçant que l’on aperçoit dans le clip, « Le monde de demain », filmé par Mondino l’année suivante. Il pose sur les moteurs. Au moins là il y est seul et ne sera pas effacé. Quand il ne trouve pas de petites places restantes sur la carrosserie, pour poser ses signatures qu’il délimite ensuite soigneusement par un trait. Déjà ce besoin de se séparer des autres. S’approprier son espace. Il a presque fini les « deux noires – deux blanches » qu’il porte à la ceinture quand Evil et Jek le rejoignent enfin. Eux posent à l’encre photo noire, bien foncée, et qui jaunit avec le temps. Ses bombes terminées, il décide de faire les intérieurs avec sa dernière munition, un misérable petit feutre Conté rouge, quand il entend Evil lui crier :

« Asile! Court! Court! Y’a du monde! »,
avant de détaler. Trop tard pour fuir. Le coeur qui bat, il préfère s’allonger entre deux banquettes. C’est surement les GIPR, la nouvelle unité de sécurité du métro, qui a la réputation de frapper facilement. Quand ils ne peignent pas le visage (ou la bite, c’est arrivé !) des mecs qu’ils serrent. S’ils l’attrapent, il leur dira qu’il explorait les lieux avec sa clef à pipe de 10 qui ouvre les portes des wagons et qu’il a croisé des tagueurs. Il est petit, ça va p’t’être passer? Il n’aura pas la réponse tout de suite car ce ne sont pas des bruits de rangers et de menottes qu’il entend maintenant mais bien ceux de nouveaux sprays. Ceux des AC18, « Association des criminels du 18ème », Opium, Coast et un autre mec, qui sont aussi venus honorer le dépôt, et qui après présentation, le prennent en pitié et lui prête parfois la bombe, quand ils le voient souffler sur la poussière des rames pour poser avec son petit marker ridicule.
L’équipe improvisée progresse maintenant vers une bifurcation où ils sautent de joie quand ils tombent sur des rames vierges. « Des blancs, putain!!! ». Hyper rare sur cette ligne qui a été la première à subir les assauts des tagueurs dés 1986 alors que les études menées par la RATP estiment que les tags polluent 98% du champ visuel de ses voyageurs. C’est reparti. Ils se divisent pour « taper » les deux cotés quand à nouveau des cris retentissent. L’un d’eux vient de se faire serrer! Cette fois Asile décide d’avancer à tâtons pour essayer de s’esquiver. De son côté Opium en fait de même. Mauvaise idée. Ils tombent tous les deux sur de costauds manutentionnaires qui ont pris le tunnel en sandwich et les tiennent en respect avec des bâtons. Mort. Impossible de s’enfuir. Sauf pour Coast, qu’Asile voit bondir, feinter les ouvriers, avant de disparaître dans le noir du tunnel. Pour Opium, lui et le troisième AC18, pas de miracle, ça sera bien le commissariat central du 7ème. 9 rue Fabert.
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2_Asyl_punition_1990L’Age d’or
C’est ainsi qu’Asile apprend la dure réalité des tapeurs de métro parisien. Une spécialité bien à part dans le monde du graffiti français et il fait partie de la seconde génération. Celle qui en fera sa spécialité. Jusqu’à présent la poignée de tagueurs qui apparaît dès 1984 ne se spécialise pas vraiment. Comme à New-York où le graffiti est né quinze ans plus tôt, on cherche en premier lieu la visibilité. On tag dans les rues, graff le long des berges de Seine ou sur les palissades des chantiers de Beaubourg et du Louvre, sans oublier bien sûr le mythique terrain vague de la Chapelle qui voit naître le mouvement hip-hop français. Les premiers acteurs se penchent bien évidemment sur le métro et posent les bases mais il faudra attendre 1989 pour que la RATP sature sous le poids du nombre d’adeptes qui ne cesse de croître. Le métro devient alors le terrain de jeu le plus convoité et le plus prestigieux pour cette nouvelle vague d’activistes. La compétition fait rage et la loi du milieu est simple. Il s’agit d’en faire un maximum, avec le plus de style possible. De son coté, la RATP, sommée par ses voyageurs de réagir, n’a d’autre choix que de déclarer la guerre aux tagueurs, sur le terrain bien sûr, mais aussi dans les médias, leur fournissant, malgré elle, un adversaire naturel à défier.
C’est dans ce contexte qu’Asile entre en piste, que cette première arrestation n’a en rien découragé. Bien au contraire. Alors que les manutentionnaires l’escortent jusqu’au quai, il hallucine :
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« On est entrés par Varenne sur la 13, et on ressort par La tour Maubourg sur la 8 ! ».
Ses yeux photographient échelles, portes, tunnels. C’est immense ! Il y a tellement à faire ! La prochaine fois, il faudra juste être plus professionnel. Il faudra également venir seul, car même si son mensonge « du môme qui se promène » est passé auprès des flics, ces derniers ont fait croire aux deux AC18, que « le petit les avait balancés ». Déjà qu’il n’avait pas apprécié attendre Evil et Jek… Il lui faut également régler ce problème de visibilité. Trouver le moyen de sortir de cette masse de signatures qui finissent par s’annuler entre elles. Avoir l’exclusivité sur son nom. Ne laisser aucune place aux autres. Qu’il n’y ait plus de vide et que la rame lui appartienne. C’est ainsi qu’il décide d’aligner méthodiquement ses tags, comme le ferait un élève qu’on punit au tableau, et comble tous les wagons qu’il prend pour cible. Dans le milieu on appelle ça une punition. Quelques tagueurs en avaient déjà fait auparavant mais jusque-là, aucun n’avait eu l’idée d’en faire sa marque de fabrique. Asile, qui affine sa calligraphie, et change pour Azyle, s’accapare la pratique, qui s’impose littéralement à lui.

4_Azyle_Punition_ 1990En cette rentrée des classes 1990, et alors que ses parents, usés par ses errances scolaires, le mettent dans le lycée autogéré de Paris (LAP), Azyle décide de frapper un grand coup. Tant pis pour les études, et le contrat moral passé avec la famille, qui pensait que dans une structure moins contraignante leur fils, qui a tant de problème avec l’autorité, se prendrait en main. Ils ne se seront pas totalement trompés car il n’y a que dans le tag qu’Azyle trouve de l’amour pour la discipline. Il se refugie dans le métro et organise ses journées de façon militaire.

7h – il se lève pour faire croire qu’il va à l’école.
8h – il pointe en cours.
8h30 – expédition pour chercher de nouveaux entrepôts, roder et voler son matériel.
De 11h à 14h – session tag.
De 14h a 18h – à nouveau recherche de dépôts, rodage et vols.
18h30 – retour à la maison obligatoire.
19h30 – repas en famille.
22h – préparation du matériel pour le lendemain, mélange d’encre, remplissage… De 1h à 6h – faire le mur deux à trois fois par mois pour aller faire un dépôt à pied ou en vélo.

Et ça paie. Le mouvement dont il se tient à l’écart se demande qui peut bien être ce tagueur qui œuvre seul, là où tout le monde agit en équipe. Après avoir accompli « le Grand Chelem », à savoir taper toutes les lignes, il décide de se concentrer sur la sienne, la 7, afin de marquer encore plus les esprits. Il veut que les 80 trains en rotation portent son nom. Il y parvient dans un temps très court. Présent dans tous les intérieurs des premières classes en cinq couleurs différentes. Cinq passages minimum donc. Même pugnacité sur les extérieurs sur lesquels il va jusqu’à réaliser des punitions où il ajoute jusqu’à l’obsession des mini-tags entre les tags. Atteindre cet état où il se dit qu’il ne peut pas faire mieux car il ne peut pas faire plus. Azyle aime signer ; il ne fera plus que ça. Même quand, pour évoluer, la plupart des tagueurs de sa génération se mettront à faire des graffs, il ne suivra pas la mode. Ne comprenant pas qu’un lettrage coloré soit plus estimé qu’une belle signature. C’est ainsi que choix après choix, Azyle devient un ovni dans le paysage graffiti français qui calque le modèle new- yorkais. Il ne lui faudra pas plus de six mois pour se faire un nom dans cette scène foisonnante, qui ne le sait pas encore, va bientôt subir un brutal coup d’arrêt… Car, dans l’ombre, la RATP est en train d’achever son plan de « Reconquête du territoire », lancé deux ans plus tôt. C’est ainsi, avec la plastification des rames pour empêcher les encres de pénétrer dans les supports qu’Azyle voit disparaitre ce qu’il appelait « la vraie matière ». Et qu’avec le blocage en dépôt des rames dégradées, doublé de leur nettoyage systématique dans les 24 heures, il voit ces punitions peu à peu privées de visibilité…

À la rentrée scolaire 1992, alors qu’il a tout juste 18 ans, c’est le choc. Plus rien n’est comme avant, tout lui semble mort. Les oeuvres que l’on pouvait voir rouler plusieurs mois jusqu’à présent n’ont plus qu’une durée de vie de quelques jours, et encore. Création d’une brigade anti-graffiti. Pas mal d’arrestations. Plus d’émulation. Beaucoup raccrochent les gants. Ça sent la fin. Pas pour lui, pour qui il est hors de question d’arrêter et qui vit très mal ce sevrage forcé. Il en évite même de prendre le métro, dont il ne supporte plus les odeurs et qui lui rappelle trop de souvenirs. Nostalgique, aigre, l’ennui le gagne. Largué socialement, il en arrive même à envier ses potes qui ont des devoirs à faire. Il décide de raccrocher les wagons de la vie normale et intègre la seule école qui veut bien de lui. Un centre de formation technique où il se découvre de véritables aptitudes pour les métiers manuels. Totalement coupé du milieu, et persuadé que plus personne ne peint encore des métros, il continue tout de même à descendre. Juste par instinct de survie. Pour se prouver qu’Azyle n’est pas mort…
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4_azyle_punition_1991Fin de la première partie.
La semaine prochaine, Karim Boukercha vous raconte la suite du parcours d’Azyle au cours des années 2000.
L’évolution du mouvement et de son style, mais aussi l’arrivée de la police…

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De la punition à la saturation…
C’est pendant les grandes grèves de 1995 qu’Azyle renaît, lorsqu’il tombe par hasard sur une petite boutique de bombes de peinture près de la Gare de l’Est.
Il en franchit la porte, assez étonné de voir qu’un magasin spécialisé dans le graffiti ait pu ouvrir alors qu’il pensait le mouvement décédé. Déjà à « son époque » les points de ventes n’étaient pas légion. La tradition était au vol et les graffeurs qui concédaient d’acheter leur matériel devaient se rendre aux Puces de Montreuil, chez « MJ Spray » à Père Lachaise, ou encore chez « Alim Color » à Aulnay, où ont leur cédait des Sparvar pour « 20 francs la bombe, et 100 francs les six. » Azyle est de ceux qui ne dépensent pas. Pas le choix car par d’argent. Chez Monoprix il s’approvisionne en Krylon noire et blanche, chez Graffigro et au Bon Marché en Marabu « Do it », quand ça n’est pas dans une constellation de magasins automobiles, pour les Auto-K, Altona, et autre Multona bien solvantées. Pour les encres, c’est BHV, Samaritaine, ou une multitude de commerces au surnom des stations de métro où ils sont situés.
Azyle est maintenant l’intérieur de la boutique où il découvre l’existence de nouveaux fanzines que le vendeur le laisse feuilleter. « On n’ On« , « Paris Connexion« , « Keep Rollin », « Xplicit Graff-X » dans lesquels il constate, choqué, qu’on peint encore dans le métro de Paris ! Son ego en prend un coup. Il reconnait SES dépôts, SA ligne, et n’y voit aucun vestige de ce qu’il a fait. Ça lui fait mal, d’autant plus qu’il ne se reconnaît pas dans ce nouveau graffiti qui n’hésite pas à changer constamment de pseudonyme pour tromper la police. Sacrilège.

Signer, un autre nom… Quel intérêt !?
Quoi qu’il en soit, il est bien obligé de se rendre à l’évidence, les nouveaux ont pris de l’avance, sont passés à la photo et ont maintenant des supports pour promouvoir leurs actions… Il comprend immédiatement que ça n’est pas avec le seul cliché de son travail, une punition en pleine page dans le premier livre sur le graffiti français, « Paris Tonkar », paru en 1991 et épuisé dans la foulée, qu’il restera dans les mémoires. Sans compter son book, jeté par la mère d’Abdik, chez qui il était caché…

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« I am back ».
Azyle profite des grèves (grand rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte) pour redescendre dans tous ses plans d’époque et revenir déposer discrètement ses nouvelles productions à l’attention des magazines.
En remettant le pied à l’étrier, il s’aperçoit aussi que « la punition », style qu’on lui attribuait, est devenue une pratique courante pour les nouveaux activistes. Il la trouve dépassée, ennuyeuse, impuissante. Comme dans les années 90, il va lui falloir innover s’il veut se démarquer.

Il est hors de question pour lui de faire autre chose que signer.
Nostalgique, il a à cœur de retrouver «la vraie matière» et traque les places qui ont échappé au pelliculage de la RATP. Ici et là entre deux wagons ou en dessous des marchepieds. Fait ce qu’il nomme les « places discrètes », comme les moteurs, les têtes et même parfois en dessous des rames ! Toujours à l’affut des « poses éternelles », il se met à la rayure. Cible pare-brise, vitres, carrosseries et pousse le procédé en passant jusqu’à trois quarts d’heure sur certaines d’entres elles. Ravis de voir que la RATP, ne pouvant les éliminer dans un laps de temps raisonnable, est obligée de les faire circuler.

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Retour vers le futur
C’est dans cette quête de faire revivre le passé qu’il trouvera les prémices de son nouveau style, quand il termine une des ses punitions en faisant gicler ce qui lui reste d’encre dans ses baranes pour les vider. Petit plaisir qu’il savoure en souvenir du temps où il n’était pas rare qu’il soit à court de matériel, en galère pendant une semaine pour faire ses remplissages ou à sec devant une première classe bien punie mais non achevée. Maintenant jeune adulte, traduire ici plus intelligent et organisé dans sa façon de voler, il se constitue des stocks astronomiques de teinture pour cuir qu’il n’a pas de remord à faire couler sur le support, même si elle ne s’imprègne plus dans la matière comme par le passé. Cette fois, dans le dépôt quand il prend du recul pour regarder ses tags auxquels les giclures viennent s’ajouter, il perçoit la force et l’intérêt de brouiller les lignes. Idem le jour où il commence à mélanger les encres, poser de façon plus éparse, et comme il ne supporte toujours pas le vide, compléter les blancs, au point que ses calligraphies commencent à se chevaucher. C’est un paradoxe, car pour se ré-inventer, Azyle va devoir bafouer les principes de base de sa discipline. Tuer la lisibilité de son nom et s’auto-toyer*. (*Toyer = écrire son nom par-dessus celui d’un ennemi). Il mixe les procédés. À ses tags à l’encre, il ajoute des signatures à la bombe qui se superposent, faisant ainsi un pas de plus vers la peinture et l’abstraction. Ses compositions sont plus explosives. Plus anarchiques. Plus impactantes. Il ne punit plus le support : il le sature. Et ça lui plaît, même si cette évolution l’amène à devoir se poser des questions de composition, d’équilibre. Tout en respectant la calligraphie de son « Azyle parfait », qu’il répète à l’infini, pas loin de la transe, pour enfin le trouver.

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Son nouveau style prend forme, en même temps que sa vie d’adulte. Il obtient un bac pro en carrosserie. Se rend à l’armée où il frôle la folie et se fait réformer. Par miracle il parvient à rentrer à l’École nationale des arts et métiers d’art. Le premier élément dans l’histoire de cette institution à y être admis en venant d’une filière professionnelle.

Il n’a pas en tête de devenir artiste. Il veut juste créer et s’exprimer.
Son idée est d’accorder la carrosserie à l’art. Il pense au design, à la sculpture métal. Très bon élément, les profs le soutiennent et le poussent. Il a des facilités pour le dessin, même il s’entête à aller vers l’abstrait. Azyle n’est pas un figuratif. Aussi il se découvre influençable (et n’aime pas ça), lui qui, dans le graffiti, avait toujours tout fait pour se différencier. Il se reconnaît dans quelques peintures des impressionnistes. Chez les élèves, il voit aussi la capacité que les « peu de talents » ont à se vendre. Bien intégré à l’école, soirées, filles, tout se complique quand il rencontre sa première compagne et qu’une histoire trop passionnelle aura la peau de ses études artistiques. Incapable de gérer les deux, il choisit la passion, même si l’école fait tout pour le retenir. Il ne regrette pas l’expérience, tout en ayant très bien compris que ce monde de « l’art officiel » n’était pas fait pour lui, qui voue plus de respect aux artisans. Aux actes, moins qu’aux mots. Alors il gagne sa vie en faisant des petits boulots dans des garages jusqu’à ce que l’intérim lui propose une mission inespérée au bureau d’étude Renault en 1999. Il a 25 ans. Il y entre comme technicien méthode en tôlerie. Il rédige des guides techniques et a son premier enfant, deux ans plus tard. Il monte en grade et conçoit des cours qu’il dispense à des formateurs du monde entier. On lui doit notamment des cours de soudure de renommée internationale. Cette vie professionnelle et personnelle épanouissante (en apparence) ne donne pourtant pas envie à Azyle de lâcher les entrailles du métro. C’est encré en lui. Il a besoin d’adrénaline et peint toujours, à cadence régulière.

Il ne craint pas les arrestations qu’il prévoit en mettant de l’argent de coté pour son « budget amende ».
Le graffiti est intégré à tous ses choix sans que ça soit un questionnement pour lui. Stylistiquement surtout, il voit toujours des choses a innover. Il se trouve peu à peu, même s’il garde en lui un sentiment d’inaccompli. Sa vie de famille, et surtout sa compagne, avec laquelle il entretient des rapports de plus en plus conflictuels, ne lui laisse pas assez de temps pour peindre et le frustre. Il vit leur séparation, en 2005, comme une libération, un des plus beaux jours de sa vie. Un champ libre pour se donner les moyens de vivre l’existence dont il a toujours rêvé. Mettre à profit toute son intelligence d’adulte dans sa passion adolescente. Peindre quand il veut.

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Le début de la fin
Solitaire dans l’âme, Azyle se laisse aller à ce qui l’avait perdu à ses débuts : rompre avec la règle de l’agissement préparé et exécuté seul. Pour lui, le risque, c’est l’autre. Il fait la rencontre de Vices, un autre amoureux du métro, en novembre 2006 dans lequel il se retrouve adolescent car ils partagent en partie la même vision du graffiti. Il a en tête de faire une année 2007 où il repousse toutes ses limites physiques et mentales. Il n’est pas rare qu’il dorme dans sa voiture avant de pointer au travail après avoir oeuvré toute la nuit. Ne dit rien à sa nouvelle compagne de ses activités nocturnes. (Elle pense qu’il vole des tableaux) Cette fois il a décidé que l’amour ne viendrait pas perturber son destin.

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Dépôts rares, plans à quai, ateliers. Peintures deux à trois fois par semaine, ajouté aux nuits de rodage et de préparations des entrées, Azyle et Vices exagèrent. Ne se soucient de rien. Multiplient les exploits. Et se pensent protégés par les dieux du graffiti quand ils échappent de peu aux arrestations. Illusion de courte durée car depuis plusieurs mois déjà, irritée par ces deux insolents qui les narguent en ne changeant pas de nom, la police anti-graffiti les recherche activement. Ils parviendront à les retrouver suite à un patient travail de recoupement. « Sylvain ! Vincent ! Les mains sur la tête ! » Les deux tagueurs les entendent crier leurs prénoms un soir de juin 2007 alors qu’ils regagnent leur voiture après avoir peint dans le dépôt de Porte de la Chapelle.
La fin de 17 ans de peinture dans le métro pour Azyle.

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La main coupée mais pas la tête
Pour lui, c’est évidemment le choc, mais surtout la frustration. En pleine évolution stylistique, il dit au policier qu’il n’avait pas du tout planifié son arrestation à ce moment et la vit comme une incohérence. Ses saturations commençaient à peine à s’orner de «projections additionnelles», fins traits de peintures projetés sur le support, produisant un effet de lacérations dynamiques. Lui permettant par la même occasion de changer d’échelle de peinture, et dépasser ses limites physiques avec lesquelles il devait composer jusqu’alors. Tant de nouvelles directions qu’il ne pourra pas explorer… Ça le désole. Le reste n’est que détail pour lui. Pour leurs actions en réunion avec Vices, on leur réclame la somme de 581 000 euros. Cette estimation sera révisée par la suite, par la juge d’instruction, qui comprendra bien que la démarche d’Azyle est avant tout une affaire personnelle. D’autant plus que Vices, rattrapé par l’accumulation de procès, fuira la France à tout jamais, suite à cette affaire. Addition finale pour Azyle de 195 000 euros.

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Ne pouvant plus peindre, il conçoit son procès comme la suite de son œuvre.
Il fait appel à un avocat, Maître Jésus (un signe ?). Sa ligne de défense se résume en un mot : la Vérité. Ne concevant pas avoir écrit Azyle toute sa vie, sans mentir, pour qu’on y accole un chiffre erroné, il veut connaître le juste prix de ses créations (selon la police). Combien coûte réellement ce qu’il a fait ? Pourquoi personne ne s’interroge quand il demande comment sont chiffrés les devis et pointe des incohérences sans que la RATP ne réponde ? C’est en tagueur qui classe ses métros par numéro de série doublé d’un technicien appliqué, concepteur de cours méthodiques, rompu au devis, qu’il se plonge dans son dossier et tente de comprendre le mode de calcul de la RATP. Celui du coût et de la quantité des produits utilisée, comme celui de l’immobilisation des rames, ou celui du temps pour nettoyer ses peintures. Il fait appel à un huissier. Démontre qu’il n’en résulte qu’un dommage léger et qu’à condition égale avec les nettoyeurs du métro, on peut nettoyer un mètre carré de dégradations en dix fois moins de temps que ce que la RATP indique, et cela sans que ne subsiste la moindre trace… C’est avec tous ces éléments qu’il espérait être entendu lors de son procès fin 2012. En vain. La juge, amiable, qui l’a pourtant écouté attentivement, a retenu ce que le parquet et la RATP demandaient, exactement. Huit mois de sursis. Cent quatre-vingt-quinze mille euros de dommages-intérêts. Azyle fait appel. Pas pour l’argent. Pour la Vérité. Combien cela coûte-t-il d’effacer sa signature ? Effacer un Azyle.

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lapin · Administrateur

28-12-14 12:34:28

11-07-11 · 13 872

  81 

Article au top merci bien pour ce partage.

Le cartonnage du concorde est tout bonnement mythique, quand à sa rame de 2004 elle a largement tournée aussi.

J'ai appris plusieurs trucs, l'histoire du  clip d'NTM avec le 93 MAFIA CREW,  la définition d'AC18 qui m'avait toujours échappée, et ce putain de parcourt du gars !! Sacrée histoire tout de même.

alexx · Bass skwatteur

28-12-14 16:16:03

09-01-13 · 286

  11 

merci apash pour cette découverte d'un milieu étranger pour moi, une bien belle histoire d'un passionné pour cette art si éphémère.

lapin · Administrateur

29-09-15 13:16:17

11-07-11 · 13 872

  81 



Le procès d’Azyle aura lieu le 17 octobre prochain.

MannaM · Bass Jedi

02-10-15 11:10:35

02-06-15 · 433

  

Merci pour la découverte
Topic captivant et de nombreuse infos qui nous permettent de bien se plonger dans cet univers confidentiel qu'est le graf
Si t'as d'autres artistes à  présenter ça m'intéresse carrément

Konish_SLR · Sound System

02-10-15 11:47:00

30-09-15 · 411

  

Enorme le topic, bien tourné, précis, une vraie biographie !

Le concorde graphé ça reste quand même un trophée de dingue ^^

IVO · Sound System

07-10-15 09:02:08

05-11-14 · 2 121

  15 

Azyle vs. RATP : le juste prix


Azyle est une légende vivante du graffiti français. La RATP évalue le préjudice de ses peintures à 190.000 euros. Un chiffre qui sera contesté, preuves et procès-verbal d'huissier à l'appui, mercredi 7 octobre 2015 à 13h30 devant la Cour d'Appel de Paris, date d'un  procès historique du graffiti qui cible l'opacité des devis constamment produits par la RATP


>>>
http://blogs.mediapart.fr/blog/hugo-vit … juste-prix

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Konish_SLR · Sound System

12-10-15 12:58:46

30-09-15 · 411

  

Article d'actualité, tiré de MédiaPart.

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Azyle vs. RATP : le juste prix

06 OCTOBRE 2015 |  PAR HUGO VITRANI


Azyle est une légende vivante du graffiti français. La RATP évalue le préjudice de ses peintures à 190.000 euros. Un chiffre devait être contesté, preuves et procès-verbal d'huissier à l'appui, mercredi 7 octobre 2015 devant la Cour d'Appel de Paris. Conclusions rendues tardivements et journalistes trop présents à la Cour, la RATP qui préfère poursuivre les graffeurs dans le'ombre des médias a obtenue un renvoie de l'affaire. Ce sera donc le 2 mars 2016, date d'un  procès historique du graffiti qui cible l'opacité des devis constamment produits par la RATP.

Si les arts urbains ont désormais pignon sur rue au musée, dans le marché de l'art et même à l'Assemblée nationale, la première institution qui s'est intéressée à ce mouvement est judiciaire. Article 322-1 du Code Pénal oblige : est puni le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins sans autorisation préalable sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain. Dans sa version pure et dure, le graffiti sur métro n'est pas à vendre et les cotes des artistes frappées par les juges sont négatives… et souvent spéculatives.

Héritage du graffiti new yorkais, le métro est la cible la plus prestigieuse aux yeux des graffeurs dits "hardcores", ce qui a contraint la RATP a revoir totalement sa sécurité (maîtres-chiens, caméras, détecteurs de mouvement, collaboration avec la brigade anti tag) et son matériel (plastification des rames du métro pour protéger la carrosserie contre la peinture). Selon la RATP, le coût des dégradations atteindrait des dizaines de millions d'euros par an… Il est pourtant impossible d'obtenir des chiffres exacts qui isolent les graffitis du vandalisme quotidien (lacération de fauteuils, impacts de projectiles, traitement des déchets et des chewing gums, etc.). Impossible également d'obtenir des chiffres qui n'intègrent pas les moyens mis en oeuvre pour lutter contre le graffiti de manière préventive et qui relèvent pourtant simplement du bon fonctionnement d'un service public.

Conclusion d'une longue enquête digne d'un mauvais polar, Azyle a été arrêté en 2007 après 17 ans de peinture illégale dans le métro parisien (mais aussi sur quelques chars d'assaut de l'armée ou sur le Concorde). Légende vivante du milieu, Azyle s'est imposé dans l'histoire de l'art en affirmant ne pas être un artiste et en restant dans l'ombre de son anonymat et de ses peintures systématiquement détruites. Sa spécialité ? Le style "punition" : il répétait à l'infini son tag jusqu'à en rendre les lettre abstraites et illisibles grâces à des jeux de recouvrements, de superpositions, de projections, de mélanges des matières, des peintures, des solvants et des encres. Estimation du préjudice : 190.000 euros pour les peintures exécutées entre 2004 et 2007 (les autres plus anciennes sont prescrites).

Azyle a avoué les faits - ce qui est rare dans le milieu - mais il conteste les méthodes de calcul de la RATP connues pour être opaques. Payer, oui, mais le juste prix (autour de 40.000 euros selon son avocat). Un jeu d'enfant pour cet ingénieur automobile d'une grande entreprise française et très réputé dans sa discipline (la soudure des tôles). Il décide alors de reproduire devant un huissier (et les journalistes de Clique.tv et de Mediapart) le processus de nettoyage de la RATP et obtient une moyenne qui contredit complètement les estimations de la partie civile. Là où la RATP revendique une heure de nettoyage pour un mètre carré de peinture, Azyle obtient une moyenne entre 2 et 10 minutes en fonction du temps de séchage de la peinture (48h, 24h, 2h) et le temps d'action des solvants anti graffiti sur la peinture à effacer.

Le procès d'Azyle est emblématique des lacunes flagrantes de la lutte anti-graffiti. Mediapart avait rendu compte en juin 2011 du très symbolique procès de Versailles (lire ici) où la Justice s'était montrée clémente envers les 56 prévenus. Depuis, les peines isolées se durcissent, allant parfois même jusqu'à de la prison ferme (lire ici notre portrait de Boris, passé par la prison de Fleury-Mérogis pendant 4 mois l'été dernier). Son complice présumé, Cokney, également mis en examen, avait déjà été condamné lors d'un autre procès en 2014 à 228.000 euros d'amende. Son dossier judiciaire révélait lui aussi de très nombreuses incohérences dans les devis fournis par la RATP et la SNCF. Autant de documents que nous avions publiés dans un ouvrage "Chiaroscuro" (ed. Classic Paris, 2015) et qui faisait de sa procédure judiciaire une oeuvre d'art.

Débat sur la gravité du dommage - lourd ou léger - provoqué par la peinture. Devis en double ou en triple. Facturations multiples pour des mêmes dégradations, mais avec des devis différents (dates de plaintes différentes, estimations de la surface dégradée différentes, estimation du préjudice différent). Devis pour des peintures qui n'ont pas été nettoyées et qui sont sur des rames réformées. Estimation litigieuse du temps de nettoyage des rames et du coût en fonction du jour ou de la nuit. Evaluation du préjudice moral… Azyle va continuer de soulever devant la Justice toutes ces zones d'ombres presque toujours écartées par les juges qui ne rentrent pas assez dans le détail des dossiers liés au graffiti. Une manière pour lui de continuer son oeuvre en essayant de faire jurisprudence.

La tite vidéo qui va parfaitement avec :

Konish_SLR · Sound System

12-10-15 13:08:47

30-09-15 · 411

  

Les commentaires sont toutes fois très intéressants à lire.
Du plus accablants au plus encourageants, du mépris à la gloire en passant par tous les extrêmes.

Je me permet de citer un certain "WATAYAGA", car je me suis reconnu dans sa manière de penser, et son réalisme à l'égard de notre société et de ceux qui la font vivre.

"Que la RATP nous paye pour nous pourrir la vue avec ses publicités à la Kon dont certaines sont d'une violence insoutenable à la vue des enfants de tous âges : c'est cela la vraie déprédation des esprits tellement normalisés qu'ils étouffent dès qu'un petit souffle de liberté leur titille les neurones engraissés à la surconsommation débilitante et bien plus destructrice que les graffitis !
Mais les bons Konformisés réclament leur dose de formol, de métro, dodo, boulot sans fantaisie, sans inventivité, rien que du prêt à penser formaté et surtout pas d'échappée vers le rêve. Ils vont d'une petite boîte bien étroite à une autre où on leur dira ce qu'ils doivent penser, ressentir, pour être dans la norme. Ils ont bien intégré la leçon de l'école où quand on leur posait une question la seule bonne réponse était celle prévue par l'enseignant, éventuellement moins mais surtout pas plus, insolent !
'Alors on s'écrase devant le patron, on harcèle le collègue qui est dans le collimateur pour bien montrer qu'on a les mêmes valeur que les cheffaillons qui ne supportent leur nullité qu'en en écrasant d'autres et on rouspete contre ceux qui refusent de rentrer dans le rang.
"Tu es mon berger oh saigneur, rien ne saurait manquer (à l'abattoir) où tu me conduis"  en rang par deux et sans broncher ni faire un pas de côté...
J'ai pris le métro presque toute ma vie pour bosser, c'est laid, c'est sinistre, c'est bêtifiant, c'est pavlovien seuls les graffitis m'ont fait sortir de ce marasme quotidien abrutissant et aussi les musiciens.
Une heure de trajet aller une heure de trajet retour pour perdre ma vie à mal la gagner et cela - comme le disait un de mes vénérés chef "parce que j'avais choisi - pour des raisons (- bassement, je reconnais à quel point c'est vulgaire - ) économiques - d'habiter loin de mon lieu de travail...." Résultat, j'ai pris mes clics et mes clacs et je suis allée voir s'il y avait une vie ailleurs et autrement....
Eh bien, oui, il y en a une mais il faut l'inventer..."


Edit : Le lien de l'article via le site MédiaPart : http://blogs.mediapart.fr/blog/hugo-vit … juste-prix

Dernière modification par Konish_SLR (12-10-15 13:09:28)

IVO · Sound System

12-10-15 13:13:06

05-11-14 · 2 121

  15 

oserais je dire que c'etait posté ... juste au dessus ... ^^
qui peut le plus peut le moins wink

IVO · Sound System

08-05-16 09:11:48

05-11-14 · 2 121

  15 

Azyle, figure emblématique du graffiti, condamné à 138.000 euros
>>>
http://www.lefigaro.fr/actualite-france … -euros.php

Porygon · Bass Traveller

08-05-16 15:35:27

31-01-16 · 112

  

C'est vachement intéressant !!
Merci pour ce topic vraiment cool !!

Et ça m'a donné envie de creuser ce milieu que je ne connaissais pas, qui a ses codes et ses règles !!

Merci,